LAMINE GUEYE, 50 ANS APRÈS
Le juriste sénégalais est l'initiateur et le rapporteur de la loi du 7 mai 1946, permettant aux indigènes des colonies françaises d'Afrique d’obtenir la citoyenneté française
Lamine Guèye est un acteur principal de la politique sénégalaise et africaine. Avocat, il adhère à la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO) puis est élu maire de Saint-Louis. Le juriste sénégalais est l'initiateur et le rapporteur de la loi du 7 mai 1946, permettant aux indigènes des colonies françaises d'Afrique d’obtenir la citoyenneté française. Le premier Africain juriste décède le 10 juin 1968 à Dakar à l’âge à 76 ans.
Lamine Guèye est né le 20 septembre 1891 à Médine, au Soudan français (actuel Mali). Après des études traditionnelles coraniques, ses études secondaires, il devient instituteur-stagiaire. Brillant étudiant, il obtient une licence de mathématiques. Affecté à l'Ecole normale William Ponty en septembre 1920, il enseigne les mathématiques. Le jeune enseignant sénégalais avait notamment comme élève Félix Houphouët-Boigny qui deviendra son collègue à l'Assemblée nationale française, leader du Rassemblement démocratique africain (RDA) et président de la Côte d'Ivoire (1960-1993).
Très tôt, Lamine Guèye s'engage en politique, en 1912, il participe à la création de la « Jeunesse sénégalaise », un mouvement de revendication politique, puis milite à la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO). En 1924, le sénégalais rachète le journal L’AOF, une publication qui soutiendra ses actions politiques.
Premier juriste africain
Soutenu par le SFIO, il devient maire de Saint-Louis, mais il subit quelques revers politiques notamment aux élections législatives de 1928 où il est battu par Blaise Diagne aux élections municipales de 1929 et aux élections législatives de 1930. Déçu, Lamine Guèye quitte le Sénégal et s’installe en France. Il étudie le droit puis devient docteur avec en poche deux diplômes d'études supérieures spécialisées (DESS), un en droit privé et un autre en droit romain.
En France, c’est l’époque du début de l’ébullition intellectuelle, culturelle et politique entre les étudiants africains, antillais et noirs américains. Lamine Guèye rencontre celle qui deviendra son épouse, la Guadeloupéenne Marthe-Dominique Lapalun née à Basse-Terre. De cette union est né un enfant unique : Iba. Le garçon devenu avocat comme son père avait un avenir prometteur, mais il décèdera très jeune.
Le couple a adopté une fille, Renée, future épouse du Guadeloupéen Maurice Carlton né à Saint-Claude, avocat au barreau d'Abidjan. Il est aussi le premier athlète guadeloupéen à participer à des Jeux olympiques (1936) dans les épreuves du 100 mètres et du 4 x 100 mètres. De retour au Sénégal, Lamine Guèye est avocat auprès des tribunaux et cours d’appel de l’AOF (les colonies françaises en Afrique occidentale). En 1931, il est nommé conseiller à la Cour d'appel de l’île de la Réunion. Durant trois ans, le magistrat exerce comme président de la chambre correctionnelle et de la Cour d'appel.
Défenseur des tirailleurs sénégalais
En 1934, à la mort de Blaise Diagne, son opposant politique historique, un groupe de jeunes étudiants sénégalais lui demande de revenir à la politique. Lamine Guèye se présente donc aux élections législatives mais il est battu par Galandou Diouf. Il ne désespère pas. En 1935, il travaille à réorganiser le Parti socialiste sénégalais (PSS). Deux ans plus tard, en février 1937, il est nommé conseiller à la Cour d’appel de la Martinique. Lamine Guèye quitte alors le Sénégal pour s'installer aux Antilles.
En 1940, le juriste abandonne la magistrature pour être simple avocat et regagne le Sénégal. Brillant, Me Lamine Guèye défend plusieurs municipalités d’élus africains confrontés aux puissants hommes d’affaires et commerçants et négociants bordelais. Il plaide au procès du maire de Saint-Louis contre la Compagnie française de l'Afrique Occidentale (CFAO). Il assure la défense des personnalités africaines en litiges avec les autorités coloniales, comme les tirailleurs sénégalais inculpés lors des évènements survenus au camp de Thiaroye 1er décembre 1944.
En 1946, il devient maire de Dakar et a pour acolyte le jeune Léopold Sédar Senghor. Reconnu pour ses compétences, Lamine Guèye sera nommé sous-secrétaire d'État à la Présidence du Conseil du gouvernement de Léon Blum en 1946. Il sera l'initiateur et le rapporteur de la loi du 7 mai 1946, la loi « Lamine Guèye », qui octroie la citoyenneté française à tous les « indigènes » des colonies françaises d'Afrique. Il sera aussi auteur d’une autre loi concernant des cadres fonctionnaires. Cette loi rend illégale toute discrimination de soldes ou des indemnités « basée sur des différences de race, de statut personnel, d'origine ou de lieu de recrutement ».
Rupture avec Léopold Sédar Senghor
L’année 1948 marque une rupture avec Léopold Sédar Senghor. Ce dernier crée son parti, le Bloc démocratique sénégalais (BDS). Deux ans plus tard, Lamine Guèye se présente aux élections législatives, mais il est battu par Abbas Guèye, soutenu par Senghor. Le politicien, malade, s’installe en France pour se soigner. C'est alors qu'il est nommé délégué de la France auprès des Nations unies. Lamine Guèye revient dans son pays natal en 1957, dirige le Mouvement socialiste africain (MAS) puis devient sénateur français.
En 1958, dans le cadre des négociations pour l’indépendance des pays africains, Léopold Sédar Senghor et Lamine Guèye se retrouvent et s’unissent pour contrer d’autres élus et leaders africains préférant l'autonomie pour les territoires de l'AOF plutôt que de créer une Fédération. Le Sénégal rejoint alors le Mali pour former la Fédération du Mali. Le Mouvement socialiste africain (MSA) et l’Union progressiste sénégalaise (UPS) fusionnent. Lamine Guèye prend la direction politique de l'UPS. Le politicien fait son entrée dans l’hémicycle comme député UPS à l’Assemblée constituante du Sénégal. Il décède le 10 juin 1968 après une intense vie politique.
Bibliographie
Étapes et perspectives de l'Union Française, Paris, 1955
Itinéraire africain, Paris, Présence africaine, 1966