LE TRAIN, LOCOMOTIVE DU PEUPLEMENT DE TAMBACOUNDA
Ville cosmopolite eu égard à la symbiose ethnique et au brassage culturel qui la caractérisent, Tamba doit une partie de son peuplement à l’implantation de la gare ferroviaire, un des symboles historiques en quête d’une seconde vie. Reportage
Ville cosmopolite eu égard à la symbiose ethnique et au brassage culturel qui la caractérisent, Tambacounda doit une partie de son peuplement à l’implantation de la gare ferroviaire, un des symboles historiques en quête d’une seconde vie. Plusieurs versions recueillies affirment que les chemins de fer ont joué un rôle déterminant dans le processus d’installation des populations qui venaient notamment du Mali
Véritable carrefour de communautés ethniques et ville culturelle, l’histoire de Tambacounda semble se confondre avec celle des chemins de fer qui auraient grandement contribué à son peuplement. Une petite incursion dans les locaux de l’ancienne gare ferroviaire permet de se rendre compte du rôle prépondérant qu’ont joué les chemins de fer dans l’accroissement démographique et la reconfiguration de la ville de Tambacounda. Dans le quartier Dépôt qui abrite les infrastructures ferroviaires, le décor est tout simplement austère. Des bâtisses imposantes en état de délabrement avancé accueillent le visiteur. L’hôtel de la gare a presque perdu son charme d’antan. Avec le temps, les façades des bâtiments se sont décolorées sous l’effet de la pollution et du rayonnement solaire. Les ordures jonchent la cour transformée en parking ouvert pour les véhicules. Des commerçants y érigent également leurs étals. A quelques mètres de là, se trouve la gare devenue méconnaissable, faute d’entretien.
De l’autre côté, on aperçoit les bureaux des cheminots et la station-service. Ici, tout est à l’arrêt. Aucune machine ne fonctionne. Bref, le train ne siffle plus à la gare de Tamba. Pourtant, cette infrastructure reste un patrimoine et un symbole dans l’histoire de la région du Sénégal oriental. Elle a contribué à l’agglomération de la ville de Tambacounda devenue, au fil du temps, une grande métropole avec la construction du chemin de fer Dakar-Bamako et la création du camp des cheminots.
Accroissement du peuplement
Selon plusieurs sources concordantes recueillies sur place, l’implantation des chemins de fer serait à l’origine de l’accroissement du peuplement de la ville de Tamba. «Tambacounda a été créée à la faveur de la venue du chemin de fer qu’on appelait le ‘’Dakar-Niger’’. Tous ceux qui ont vécu notre temps ou avant nous connaissaient bien la valeur économique de cette infrastructure. C’est pour cette raison que les populations étaient venues progressivement s’installer pour avoir du travail et s’activer dans les échanges commerciaux. Cette ville était devenue un point de commerce assez important», rappelle Mountaga Dabo, instituteur à la retraite depuis 1996 et ancien président de la commission culture du Conseil régional de Tambacounda. Le nom du quartier qui abrite la gare renseigne également sur la contribution déterminante de l’arrivée des habitants.
D’après M. Dabo, lorsque le chemin de fer fut installé, ceux qui y travaillaient avaient commencé par habiter près du dépôt, l’endroit où stationnaient toutes les locomotives et autres machines. Ce quartier, le plus ancien, selon certaines sources, tire son nom du dépôt des machines de la gare. «C’est l’un des plus vieux quartiers qui a accueilli les premiers employés de la voie ferroviaire composée essentiellement de Bambaras, de Mandingues, de Wolofs, de Khassonkés, de Peuls… », indique M. Dabo. Celui-ci précise que les Khassonkés étaient essentiellement en charge de la main d’œuvre des chemins de fer. Venus du royaume de Khasso, des membres de cette communauté étaient déjà bien employés. Le premier lotissement du quartier ‘’Dépôt’’a eu lieu en 1926. Les premiers habitants étaient composés d’ouvriers bambaras et wolofs, puis mandings», renseigne-t-il.
Des Maliens, premiers à s’installer
Trouvé dans son jardin sis derrière l’une des concessions familiales, Mamadou Silima Coulibaly a la lourde tâche de perpétuer le legs de son père qui fut le chef du quartier Dépôt. «Ceux qui ont fondé ce quartier venaient notamment du Mali. Parmi eux, il y avait des agriculteurs, des éleveurs et des chasseurs, mais aussi des employés de la gare qui ont fini par construire leur domicile dans les parages de l’hôtel de la gare. D’autres communautés comme les Wolofs, les Peuls ont rejoint progressivement le quartier», souligne l’actuel chef du quartier. Le premier chef de quartier s’appelait Batou Diarra. Il a été désigné par le chef de canton à l’époque. Puis Souley Coulibaly, ensuite Moussa Diallo et Boubous Coulibaly, décédé en 2016, lui succéderont.
Kékouta Diallo, octogénaire, est un infirmier à la retraite. Il est le grand frère de l’actuel chef du quartier «Pont» situé non loin du célèbre cours d’eau Mamacounda. Il confirme la thèse selon laquelle l’implantation de la voie ferroviaire a bien poussé plusieurs ethnies à habiter les premiers quartiers de Tambacounda. «La création de la gare a permis de développer des opportunités d’emploi avec des offres de travaux manuels. Les populations des localités environnantes ont rejoint progressivement Tamba afin de trouver une activité génératrice de revenu», témoigne Kékouta Diallo.
D’anciens cheminots témoignent…
Sous un grand arbre proche de la gare, se réunit un groupe de personnes composé majoritairement d’anciens cheminots à la retraite. Ceux-ci devisent sur l’actualité. L’évocation du nom chemin de fer suffit pour briser la glace et changer de sujets de discussion. Un air nostalgique se lit sur leur visage. Ils se souviennent de l’âge d’or de la gare ferroviaire. Lansana Traoré était mécanicien avant de prendre sa retraite en 2018. Son père fut cheminot. Il avait quitté Goudiry pour venir travailler à la gare de Tamba en 1950. Il se rappelle les beaux moments vécus et les témoignages de ses parents. «La plupart de ceux qui officiaient dans cette gare, dès son ouverture, venaient des villages traditionnels environnants comme Tamba Socé, Kothiary, Ndiit. Par la suite, ils ont fini par construire leurs domiciles avant d’y rester définitivement», confie M. Traoré. A l’image de ce dernier, nombreux sont les cheminots qui, en raison des activités professionnelles du chemin de fer, se sont installés définitivement à Tambacounda. C’est le cas de Ninamba Traoré, agent des télécommunications à la retraite. Il faisait partie de l’équipe chargée d’assurer la liaison téléphonique entre les gares. Il insiste sur le fait que la voie ferroviaire a joué un rôle prépondérant dans le peuplement de la ville de Tambacounda. «A l’époque où les trains reliaient Dakar et Bamako, les transactions commerciales connaissaient une forte dynamique. Certains voyageurs, qui pratiquaient des activités comme l’agriculture, l’élevage, le commerce, sont restés à Tamba. Ceci a même contribué à l’élargissement de certains quartiers comme celui de Dépôt», se souvient Ninamba Traoré, nostalgique.
Aujourd’hui, le vœu ardent de ces cheminots est de revoir les trains siffler à nouveau pour permettre aux centaines de pères de famille de reprendre leurs activités. Pour le syndicaliste Tidiane Diallo, la seule option pour réussir la relance des chemins de fer Dakar-Bamako demeure l’acquisition de locomotives. Il fait remarquer que toute l’expertise locale est disponible pour mener à bien la reprise des activités. A ce titre, il appelle à impliquer le personnel qui est laissé en rade dans les négociations.
Tamba Socé a contribué à la première vague de peuplement
Le village de Tamba Socé aurait joué un rôle essentiel dans le peuplement de la ville de Tambacounda, si l’on se fie à certaines sources. Des versions recueillies témoignent de l’apport considérable de cette localité dans l’avènement des premiers habitants de Tambacounda. «Tamba Socé a joué une partition importante dans le peuplement de la zone, d’autant que c’est dans ce village que les responsables de la gare faisaient les recrutements pour les chemins de fer. C’était le seul village qui était dans la zone au moment du démarrage des activités de la gare. Les populations venaient travailler le matin pour rentrer le soir ; avec le temps, certaines ont fini par rester et s’installer définitivement», relève l’instituteur à la retraite, Mountaga Dabo, notable à Tambacounda.
Sur la question du peuplement de la ville de Tambacounda, Mady Ndiaye, guide touristique et animateur d’émissions culturelles à la Rts Tamba, se montre prudent et nuancé. Selon lui, plusieurs versions ont été avancées. La première soutient que ce sont des habitants de Tamba Socé qui ont fondé la ville de Tambacounda. Leur argument, dit-il, est fondé sur le fait que Tamba Waly, l’ancien chef du village de Tamba Socé, fut un chasseur. C’était durant ses heures de chasse qu’il a découvert l’endroit où est bâtie la ville de Tambacounda. D’autres sources estiment que c’est un Malien du nom de Moriba Diakité qui ferait partie des premiers à habiter la ville.
Reconnaissance aux grandes figures de Tambacounda
Le Conseil départemental de Tambacounda entend rendre hommage à certaines grandes figures qui ont marqué l’histoire de la ville de Tambacounda, notamment celles-là qui ont joué un rôle historique et contribué au rayonnement de cette localité. Cet acte de reconnaissance, selon le secrétaire général du conseil, Hubert Ndèye, se fera à travers l’attribution de noms à des rues, des places ou des édifices publics. A ce titre, le Conseil a mis en place une commission de recensement des infrastructures. Une seconde commission chargée du choix des personnes a été également créée. «Elles sont toutes en train de travailler pour faire parvenir au Conseil départemental des propositions afin de concrétiser cet ambitieux projet des autorités locales. C’est un travail que nous menons avec l’implication de toutes les parties prenantes comme les communes et autres segments», indique M. Ndèye.
Sur ce même registre, le Conseil municipal compte faire de la Semaine des arts et de la culture, organisée en 2015 et en 2016, une vitrine de promotion et de valorisation du patrimoine culturel de toutes les communautés vivant à Tambacounda.