L’ÉTAT EN TERRAIN MINÉ
La question du voile relance les discussions entre autorités et écoles catholiques. Si des appels au calme sont lancés, d'autres regrettent l'absence de cadre législatif pour encadrer cette controverse récurrente
Près de cinq ans après la polémique autour du port de voile dont l’interdiction était faite par l’Institution Sainte Jeanne d’Arc de Dakar, voilà que le Premier ministre, Ousmane Sonko, dépoussière le dossier, en tenant les propos ci-après : «L’État n’acceptera plus que les filles qui portent le voile soient récusées dans certaines écoles au Sénégal». L’enseignement privé catholique se sentant ainsi visé, après la polémique de 2019 née de l’interdiction du voile dans une de ses écoles, convoque la Constitution, la loi n°91-22 du 30 janvier 1991 portant orientation de l’Éducation nationale, modifiée, et le règlement intérieur de ses établissements. Face à ce discours ayant suscité indignations et récriminations, les appels au calme se multiplient. Toutefois, cette sortie du Premier ministre pourrait être le début des «Assises de l’enseignement privé» qui permettraient de régler définitivement cette question et tant d’autres comme la part de la subvention allouée à ces écoles privés mais aussi pour promouvoir le vivre ensemble qui concerne tout le monde.
En 2019, suite à la polémique sur le port de voile dans une des écoles catholiques, Bakary Sambe, chercheur et directeur du Timbuktu Institute, avait avancé, dans la presse, que «ceci n’est qu’un saupoudrage en attendant qu’une autre affaire ressurgisse. L’Etat n’a pas de vision de long terme, mais tranche selon le rapport de force». Cette réaction fait suite à l’intervention du gouvernement auprès de l’Institution Sainte Jeanne d’Arc qui a abouti à l’insertion des 22 jeunes filles exclues. M. Samb, poursuivant son a n a - lyse, avait aussi relevé que plus qu’un foulard sur la tête, les crispations proviendraient de la dualité du système éducatif sénégalais avec, d’un côté, l’enseignement arabe ou coranique et, de l’autre, l’enseignement français dispensé dans les écoles privées et publiques
Cinq (5) ans après sa sortie, l’histoire semble lui donner raison, puisque c’est le gouvernement, par la voie du Premier ministre, qui a remis sur la table cette polémique. La sortie de Ousmane Sonko est comme la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Et l’enseignement catholique se sent visé puisque c’est lui qui avait enclenché le processus de l’interdiction du voile dans ses écoles. Une régulation du port du voile dont l’église faisait référence et non l’interdiction, quand on sait que des foulards étaient mis à la disposition des élèves afin d’assurer une conformité au niveau de tous les apprenants. Ce à quoi des parents et élèves ont refusé de se conformer, avant de jeter l’Institution Jeanne D’Arc à la vindicte du peuple sénégalais.
Recevant les lauréats du Concours général 2024, le Premier ministre a avancé : «Certaines choses ne peuvent plus être tolérées dans ce pays. En Europe, ils nous parlent constamment de leur modèle de vie et de style, mais cela leur appartient. Au Sénégal, nous ne permettrons plus à certaines écoles d’interdire le port du voile». Et de mettre en garde en ces termes : « Gare à ces institutions qui refuseront d’accepter une fille simplement parce qu’elle est voilée», a-t-déclaré, le mardi 30 juillet dernier, en marge de la cérémonie de distinction des meilleurs élèves du Sénégal.
Le Conseil national du laïcat recadre les autorités
La réponse de la communauté catholique ne sait pas fait attendre. «Le Conseil national du Laïcat marque son indignation face à de telles déclarations qu’il juge maladroites. Ces propos indélicats de la part du chef du gouvernement de la République laïque et démocratique qu’est le Sénégal sont de nature à heurter la sensibilité des Sénégalais épris de justice et de vérité, plus particulièrement des citoyens à part entière de foi catholique légitimement interpelés par les menaces proférées, sans ambages, contre des établissements privés catholiques», déplore le CNL dans un communiqué en date du 4 août 2024.
Et de souligner : «(…) Au demeurant, le règlement intérieur des établissements de l’enseignement privé catholique n’affecte ni la neutralité de l’enseignement dispensé, ni la liberté de conscience des élèves, ni leurs convictions religieuses. Mieux, il garantit l’organisation scolaire et du projet éducatif propre de l’établissement sans violer pour autant son obligation d’accueillir les enfants en dehors de toute distinction d’origine, d’opinion ou de croyance. En conséquence, les institutions privées catholiques ne sauraient tolérer, au nom de quelque conviction ou croyance, les attitudes et comportements contraires aux principes et à l’esprit de son projet éducatif. Elles demeurent fermes contre les comportements qui sont en porte-à-faux avec les règles de discipline générale et qui sont préjudiciables au vivre ensemble et au bon fonctionnement de tout établissement. C’est le cas, en guise d’exemple, d’élèves s’interdisant de s’asseoir à côté de leurs camarades de sexe opposé en classe ou dans la cour de récréation, refusant de faire la gymnastique dans la tenue de l’école, pour des convictions religieuses, se regroupant et s’isolant dans la cour de récréation pour les mêmes raisons et refusant le port strict de l’uniforme de l’école. (Cf. lettre ouverte du Conseil national du laïcat en 2019)».
Ainsi, «Le Conseil national du Laïcat soutient, à cet égard, les institutions privées catholiques et les encourage à demeurer respectueuses des dispositions de la loi n°91-22 du 30 janvier 1991 portant orientation de l’Éducation nationale, modifiée, qui indique : «Au sein des établissements publics et privés d’enseignement, dans le respect du principe de la laïcité de l’État, une éducation religieuse optionnelle peut être proposée. Les parents choisissent librement d’inscrire ou non leurs enfants à cet enseignement».
Sous ce prisme, ajoute le CNL, «ceux qui ne souhaitent pas respecter le règlement intérieur des établissements privés catholiques doivent s’en prendre à eux-mêmes pour leurs attitudes et comportements d’auto ségrégation et d’auto exclusion; toutes postures en inadéquation avec l’esprit de famille et d’ouverture, du vivre ensemble que promeuvent l’école catholique et le Sénégal. Il revient donc aux parents et aux élèves, qui ont librement choisi ces établissements, de se conformer aux exigences du règlement intérieur et aux objectifs du projet éducatif qui les inspire. La question agitée du voile n’est, sous ce rapport, qu’une conséquence de l’exigence du respect d’une règle générale découlant du principe du vivre ensemble dans une égale dignité et dans le respect de la diversité culturelle et religieuse au sein des établissements d’enseignement privé catholique. Elle doit être circonscrite strictement dans le cadre d’un règlement intérieur auquel les élèves et leurs parents adhèrent en toute connaissance de cause».
Absence de cadre réglementaire
Aux réactions de la communauté catholique, s’ajoutent des messages de soutiens à l’endroit de cette Église ainsi que la voix des politiques, pour s’offusquer, recadrer cette sortie du PM jugée inappropriée ou encore appeler à un esprit de dépassement. Selon ces derniers, le Sénégal est un pays laïc. Le respect des croyances des uns et des autres est garanti par la Constitution. Seulement entre l’enseignement arabe ou coranique et l’enseignement français dispensé dans les écoles privées et publiques, les acteurs soutiennent qu’« aucun cadre législatif n’harmonise l’ensemble»
On se souvient de l’appel de Me Moussa Sarr en 2019 : «afin d’éviter les polémiques et les débats creux comme cela a été le cas pour l’institution Sainte-Jeanne d’Arc, il faut une refonte du système et une loi d’ordre général, pour organiser l’enseignement». L’avocat au Barreau de Dakar de s’interroger : «Pourquoi, depuis l’indépendance, le dossier de l’enseignement religieux n’a-t-il pas été traité pour de bon ?» Sa réponse est claire : «manque de volonté politique. Pourtant, l’État y a tout intérêt afin de pérenniser la cohésion sociale qui existe au Sénégal.»
Idrissa Seck appelle tout le monde à garder à l’esprit l’unité
Selon bon nombre d’observateurs, ce débat n’a pas lieu d’être. «L’école catholique respecte la Laïcité. Nous accueillons toutes les confessions. Seulement, il y a le respect du règlement intérieur qui régit toute école et les pensionnaires se doivent de le respecter, à défaut d’être exclus», a fait savoir Christian Sène. Et d’ajouter : «aujourd’hui, un catholique qui voudrait inscrire son enfant dans une école d’enseignement privé coranique est obligée de se conformer au règlement intérieur dont l’obligation de port de voile et l’enseignement du Coran. Il s’y ajoute, dans beaucoup de ces écoles, le règlement intérieur stipule qu’un non musulman ne doit pas s’y inscrire. Et pourtant, il n’y a jamais eu de problème car nous respectons leur choix. Aux autres aussi d’en faire pareil».
De son côté, le coordonnateur de la coalition «Juste», Aliou Sall déclare : «nous avons également pris note des positions exprimées par le Premier ministre, Ousmane Sonko, et les autorités de l’école catholique, alors que du point de vue légal, l’éducation par les communautés religieuses est reconnue par la Constitution». Et d’ajouter, dans un communiqué daté du 05 aout : «en cette période sensible, il faut promouvoir le vivre-ensemble et éviter toute action ou discours qui pourrait diviser nos communautés. Nous exprimons notre pleine confiance en la capacité de notre pays a surmonter ces défis par le dialogue et le respect mutuel. Ensemble, nous devons continuer à bâtir un Sénégal ou chaque citoyen, quelle que soit sa croyance religieuse, se sent respecte et valorise». Et Idrissa Seck, ancien Premier ministre, dans un post Facebook, d’inviter tout le monde à garder à l’esprit l’unité malgré la pluralité du peuple sénégalais.