THILOGNE, VILLAGE SOUS PERFUSION
Située à une vingtaine de kilomètres de la frontière avec la Mauritanie, la ville doit une belle chandelle aux émigrés, ses fils de l’autre côté du monde qui s’échinent, au rythme des transferts d’argent, à entretenir la flamme de leur terre d’origine
Thilogne, ville située à une vingtaine de kilomètres de la frontière avec la Mauritanie, doit une belle chandelle aux émigrés, ses fils de l’autre côté du monde qui s’échinent, au rythme des transferts d’argent, à entretenir la flamme de leur terre d’origine accablée par le ralentissement de l’activité économique. Elle cherche son énième souffle face aux effets pervers de l’assistanat.
Thilogne, c’est cette terre du Fouta Toro remplie d’histoire et coincée entre Agnam et Matam. Elle semble perdre son dynamisme économique. Cela, malgré la contribution des émigrés qui ont apporté, à travers la mise en place d’une association dénommée « Thilogne Association Développement »(Tad), de la valeur à la vie de cette localité, jadis considérée comme le premier grand village du Sénégal.
La ville est poussiéreuse et difficile d’accès. Elle est sans grand relief. Des univers contrastés s’y « épient ». Capitale du Fouta au 18e siècle, Thilogne ou Thilouki en pulaar, espère inaugurer, sous peu, des pistes de production comme d’autres parties nord du pays. Les déviations dues à des travaux et leur lot de calvaires de Ndioum à Thilogne fondent ces espoirs. La route est rocailleuse, rendant le supplice interminable. Plusieurs heures sont nécessaires pour parcourir 137 km qui embrassent l’éternité sous une chaleur torride.
Tout au long du chemin menant à Thilogne, le paysage ne laisse pas entrevoir une bonne santé économique. La zone est désertique. Les arbres, peu épanouis, se faisant de plus en plus rares au fil du trajet, dessinent une nature hostile « domptée » par les populations de Thilogne. Ici, la modernité de l’architecture est saisissante avec des bâtiments bien imposants construits par des émigrés. On tire fierté de ces réalisations qui ont apporté un souffle nouveau à la ville. Néanmoins, Thilogne donne l’image d’une ville victime, comme d’autres contrées, d’une certaine indifférence. L’agriculture, présentée comme un levier de développement dans la zone, est en perte de vitesse. Les loumas ou marchés hebdomadaires qui proposent une diversité de produits à bas prix ne sont plus florissants.
L’espoir n’y est entretenu que par l’émigration, seule issue, à leurs yeux, pour sortir de l’ornière et tirer leurs proches de la pauvreté. « J’ai quitté l’administration pour m’exiler et contribuer au bien-être social de ma famille. Ceux qui ont réussi dans notre localité et qui ont réalisé quelque chose sont ceux qui ont tenté l’émigration. Ils ont pu créer de la valeur ajoutée et soutenir leurs proches ». Ces propos de Habib Kâ, actuel président de Thilogne Association Développement (Tad), illustrent, à bien des égards, l’état d’esprit de ses pairs.
Ville construite par ses fils
Amadou Niang qui observe une retraite bien méritée dans sa ville s’est absenté du pays pendant 42 ans. Il a démarré ses pérégrinations par l’Afrique centrale avant de s’installer aux Etats-Unis où il a vécu pendant 20 ans. Il souligne, comme d’autres, que la localité allait s’enliser dans la misère si des possibilités d’émigrer n’existaient pas. « Nous ne serions pas en mesure de survivre sans l’émigration », affirme-t-il avec force tout en orientant notre regard, avec fierté, vers de nouveaux grands bâtiments construits en un laps de temps par de jeunes émigrés établis dans les pays occidentaux.
Cette dynamique migratoire remonte aux années 1970. La plupart des Thilognois estiment qu’ils ont connu une période florissante avec le boom pétrolier du Gabon vers 1977. Ils ont pu ainsi changer le visage de la localité. Toutefois, pour l’ambassadeur itinérant Almamy Bocoum, par ailleurs ancien président du Tad, les ressortissants de cette localité ont visé d’abord des pays africains comme la Côte d’ivoire, le Mali, la Mauritanie, la Guinée avant de s’installer en Sierra Léone, au Libéria, au Congo, puis au Gabon où ils pouvaient trouver du diamant et de l’or. « Leur volonté était de s’enrichir et de soutenir financièrement la famille. Des fonctionnaires s’installaient aussi, dans cette perspective, dans les grandes villes », ajoute-t-il.
Le roman communautaire de Thilogne ne peut s’écrire sans ses ressortissants répartis un peu partout dans le monde. Ils ont eu l’idée de lancer, en 1995, Thilogne Association Développement. Aussi, un festival organisé tous les deux ans leur a permis de gagner en visibilité. Ils ont su se donner les moyens de relever le niveau de vie des populations. Ces âmes généreuses, conscientes de la situation de ceux qu’ils ont laissés au terroir, ont, en premier lieu, réfectionné l’école primaire qui date de 1925 avant de construire d’autres salles de classe, puis quatre écoles, un collège et le lycée de Thilogne. On leur doit aussi, entre autres réalisations, la réhabilitation du poste de santé, la construction des dispensaires et l’installation des forages.
« Tout a été construit par les fils du terroir. Au début, en tant que Thilognois établis en France, nous nous cotisions pour installer des forages, construire des écoles, faire des dons de matériels… La création de la coopération décentralisée par le président français François Mitterrand nous a permis d’accélérer le rythme et de faire de grandes réalisations. Des jumelages et échanges scolaires ont pu se réaliser entre des villes françaises et Thilogne », indique Almamy Bocoum. Cependant, le chantier est vaste. Dans différents secteurs d’activités, des habitants déploient des efforts pour le bien-être social, mais les moyens ne suivent toujours pas. C’est le cas dans les structures sanitaires. Au centre de santé de Thilogne, par exemple, le personnel soignant se donne corps et âme pour mettre un terme aux décès évitables et permettre aux femmes de pouvoir espacer les naissances et d’accoucher dans des conditions idoines ; un travail éprouvant en raison des stéréotypes tenaces et des difficultés financières. Nonobstant, des membres du Comité de santé, malgré leurs faibles moyens, ne se découragent pas.
Aly Sall est un enseignant qui s’investit dans l’amélioration de la santé communautaire, de même que Awa Ndiaye, une « Badianou Gox ». Ils brillent par leur engagement pour la cause sociale.
« Je travaille depuis longtemps dans ce centre de santé. Je ne gagne pas plus de 30 000 FCfa par mois. J’estime que c’est de mon devoir de militer pour le bien-être de mes sœurs et de sauver leurs vies en les sensibilisant », confie-t-elle. Awa se rend dans des zones reculées pour encourager les femmes à fréquenter les structures sanitaires. Mais, soulignent ces deux êtres altruistes, un soutien de l’Etat aurait permis de réaliser plus de résultats tangibles. Des infirmiers du centre sont restés trois mois sans salaire.
L’oisiveté des assistés
Par ailleurs, Thilogne semble perdre son souffle. Il n’est pas à l’abri des effets de la crise économique. L’une des activités les plus prospères dans cette localité, c’est le retrait d’argent. Les populations qui dépendent des revenus migratoires font vivre les systèmes de transfert d’argent, tels que Western Union, Orange Money, Wari et autres. Ces derniers ont fini par développer le culte de la facilité. Le président de Tad, Habib Kâ, reconnaît les revers de cette politique d’assistanat. « Les gens travaillent de moins en moins ici, contrairement aux zones environnantes. Ils sont sûrs de bénéficier du soutien des proches basés à l’extérieur. Il s’y ajoute que l’absence d’une politique d’emploi exacerbe cette situation. Ce sont les femmes qui sont les plus enclines à se débrouiller ici. Elles se lancent dans le commerce et dans différentes activités », explique-t-il. Il déplore aussi le fait que les fonds d’investissement n’aient pas permis de créer des emplois. « On consomme plus qu’on ne produit », regrette Habib.
Les élèves ont la tête ailleurs
Cette situation impacte le système éducatif. Malgré les efforts soutenus du corps enseignant pour des résultats scolaires satisfaisants, il est noté un certain désintérêt des enfants pour les études. Mme Ndiaye est professeur de français et d’anglais au collège de Thilogne. Elle explique qu’il leur faut consentir de grands efforts pour inculquer le goût des études aux enfants. « Ce n’est pas facile. La plupart sont des partisans du moindre effort. A croire qu’ils viennent à l’école juste pour meubler le temps. Ils pensent que l’émigration est la seule voie de réussite », relève-t-elle avec regret.
Pour autant, de l’avis de l’ancien proviseur du lycée de Thilogne Mamadou Sam, il est bien possible de renverser la tendance. Il en veut pour preuve les résultats qu’il a obtenus à force de ténacité. « J’avais senti, dès ma prise de fonction, un relâchement à tous les niveaux. Je me suis battu pour remettre de l’ordre au niveau du lycée. Cela n’avait pas été facile, suscitant même des hostilités. Mais, en mobilisant toutes les énergies, nous avons pu obtenir un taux de réussite de 75 % au baccalauréat », dit-il. Une prouesse dans la mesure où le taux moyen n’avait pas dépassé les 40 %. L’homme est un natif de la localité, mais il a grandi à Dakar. Son successeur essaie de consolider cette dynamique.
Par ailleurs, en dehors des jeunes qui sont des charretiers, ouvriers ou cireurs, d’autres ont la chance de se faire recruter dans les deux menuiseries installées dans la localité.