«IL Y A UNE CRISE DE VALEURS DANS LA SOCIETE»
DJIBY DIAKHATE, SOCIOLOGUE

Selon le sociologue, Djiby Diakhaté, l’existence de l’adultère dans la société sénégalaise résulte d’une crise des valeurs qui émane de l’éloignement de l’individu par rapport à certains faits importants pour une cohésion sociale.
Qu’est-ce qui explique l’infidélité féminine ?
L’adultère résulte de la crise des valeurs. Et cette crise, trouve sa réponse dans l’éloignement. L’éloignement de l’individu par rapport à la famille qui a toujours été la cellule sociale de base à l’intérieur de laquelle on inculque à l’individu des principes éthiques qui par la suite donnent une orientation aux conduites de la personne. Ce qui fait que lorsque l’individu sort de la famille, il n’a pas honte mais, a le scrupule de faire certaines choses. Cela veut dire qu’il a intégré des principes, des valeurs qui intérieurement l’obligent à avoir un type de comportement qui satisfait l’honneur de la famille toute entière. Aujourd’hui, la famille a tendance à ne plus assumer ses responsabilités et sa mission de formation par rapport à l’individu. Le deuxième éloignement, c’est par rapport aux modèles.
Nous sommes dans une société qui développe des contre-modèles. Au Sénégal, l’honnêteté est devenue un délit, cela veut dire qu’on est en train de prendre des contre-modèles comme des modèles. Naguère, la femme avait comme référence : sa mère ou sa grand-mère qui étaient de bonnes épouses. Aujourd’hui, ce sont des contre-modèles qui sont offerts aux jeunes, notamment à travers la télévision et Internet. Il y a aussi, l’éloignement par rapport aux ressources. La pauvreté gagne du terrain. Le mal-vivre prend des proportions élevées. Lorsque la pauvreté se développe dans un contexte où la famille ne joue plus son rôle et que les modèles sont des contre-valeurs, à partir de ce moment là, il y a des dérapages.
L’adultère s’explique aussi par la recherche de ressources dans un contexte de pauvreté de plus en plus accrue. Il y a aussi l’éloignement par rapport à la communauté. Dans les sociétés traditionnelles, il était difficile de poser des actes déviants parce que la communauté surveillait tout le monde. On ne pouvait pas se permettre de verser dans la marginalisation parce qu’après on était en prison communautaire. La prison n’était pas un espace carcéral, éloigné, mais c’est dans la communauté qu’on vous enfermait. Personne ne parle avec le coupable, ni souhaite être son ami et à partir de ce moment, la femme est emprisonnée. Aujourd’hui, il n’y quasiment pas de surveillance communautaire. Il y a une sorte d’anonymat qui a tendance à se développer notamment dans les espaces urbains et périurbains. Les déviants bénéficient d’une marge de liberté de plus en plus grande. Ces phénomènes d’éloignement nous ont installés dans une situation où l’adultère a tendance à être légitimée.
Quelles sont les conséquences de l’adultère sur le couple et la société ?
La conséquence est d’abord un sentiment de frustration aussi bien du côté de l’homme que de la femme. L’adultère déséquilibre le couple. Si par ailleurs, le couple a des enfants, il est clair que s’ils sont au courant, c’est un choc terrible qu’ils vivent. Ce qui peut constituer un handicap. Pour leur développement. Il y a souvent des enfants qui auront des difficultés à faire de bons résultats à l’école ou sont incapables d’avoir de bonnes décisions psychologiques ou encore un bon comportement parce qu’ils ont été profondément choqués de ce qu’ils ont entendu de leurs parents. L’infidélité est un manque à gagner économique qui peut être important pour la société. En réalité, le couple qui a été déstabilisé par le phénomène d’adultère, s’il travaille n’aura pas toute la concentration pour faire sa tâche convenablement. L’adultère fait naître chez le conjoint un niveau de stress très élevé. Il peut devenir un problème de santé publique. Il existe des personnes qui ont des maux divers, des problèmes d’équilibres psychiques, car ils ont le stress lié à la vie du couple et à son instabilité.
Existe-t-il un lien entre culture et l’infidélité ?
On peut considérer que lorsqu’une culture est très permissive, libérale et l’acteur est libéré dès le bas âge, cela peut être la porte ouverte à certaines formes de délinquance. Par contre dans une culture plus exigeante, plus austère, plus regardante et en même temps plus inclusive et mettant l’accent sur le fait que tout le monde doit être ensemble, développe l’esprit de communauté, cette culture ne laisse pas une grande place à des actes déviants de ce genre. Malheureusement, avec le phénomène d’occidentalisation, le Sénégal est en train de développer des cultures libérales, ce qui fait que l’acteur revendique un espace d’autonomie beaucoup plus grande qui consiste à dire : je suis libre, je fais tout ce que je veux. Personne n’a le droit de s’immiscer dans ma vie privée. Maintenant très tôt, des jeunes ont leur appartement et ça ne choque plus personne.
Quel est l’impact des réseaux sociaux sur le phénomène ?
Il y a des moyens de communication qui facilitent les rencontres et les contacts et dès fois même les négociations. Cela crée un nouvel espace qui vient s’infiltrer dans la culture et qui occupe une place de plus en plus grande, notamment les jeunes scolarisés vivant dans les centres urbains. Ce qui fait que maintenant cela devient un peu difficile de savoir la vraie prostituée. Aujourd’hui, il y a une prostitution qui se fait à distance dans l’intimité et la discrétion la plus totale.
Existent-ils des solutions à l’infidélité féminine ?
La solution est d’aller vers le phénomène de proximité. Il faut rompre avec l’éloignement et aller vers la proximité. Il faut que le ministère de la famille joue sa partition en termes de renforcement des ménages. C'est-à-dire, qu’est-ce qu’on peut faire pour que les ménages puissent disposer de suffisamment de ressources dés le bas âge. Il faut aussi revoir l’école sénégalaise, il faut qu’on ait une école sénégalaise et non une école au Sénégal. Une école qui reflète les modèles sénégalaises et soutient la culture. Une école d’ouverture et d’enracinement. Il faut aussi appuyer les promoteurs et producteurs culturelles. Il faut qu’on cesse de penser que la culture c’est simplement le folklore. La culture est une identité qu’il faut défendre. Faire en sorte que le théâtre local et le cinéma se développent. Il faut aussi qu’il ait une production culturelle vivante qui permet de contrecarrer ce qui vient de l’extérieur. Il est aussi nécessaire d’avoir des politiques publiques orientés vers la lutte contre la pauvreté.