« Nous avons des objectifs difficilement conciliables »
ENTRETIEN AVEC LE COMMANDANT MAMADOU GUEYE, CHEF DE BUREAU DE LA REGLEMENTATION DE LA DOUANE
Dans le cadre du processus en cours de la réforme du Code général des douanes qui date du 28 décembre 1987, le commandant Mamadou Dièye, Inspecteur des douanes, chef de bureau de la règlementation douanière, chargé de la mise en œuvre de ladite réforme, dégage pour Sud Quotidien les grandes lignes d’une réforme majeure qui devra tout de même faire face à des missions ou des objectifs « difficilement conciliables » d’une administration douanière moderne, tout en étant conforme à la règlementation douanière communautaire.
Le code général actuel des douanes comporte quatorze titres divisés en chapitres, sections et articles, cela va-t-il changer dans le cadre de la reforme?
Les quatorze chapitres seront maintenus, ce qui a changé aujourd'hui en termes statistiques ce sera certainement le nombre d'articles et un peu quelques réaménagements par rapport aux sections et chapitres dans les titres.
Il y a des différences fondamentales entre le code des douanes dans l'Uemoa et celui du Sénégal, pouvez-vous en lister quelques unes ?
D'abord le code douanier de l'Uemoa est un code qui concerne uniquement les procédures et les régimes douaniers et économiques et ne prend pas en compte la partie « contentieux » qui règle les différends qui naissent de l’application de la règlementation douanière. Par ailleurs, il y a certains régimes économiques qui ont été intégrés dans le code communautaire et qui ne figurent pas dans l’actuel code sénégalais. Par rapport aux opérateurs économiques, le code des douanes à venir prévoit que certains opérateurs peuvent bénéficier d’un certain nombre de régimes, alors que dans l’actuel code certains opérateurs en sont exclus. Or, quand on regarde la hiérarchie des normes vous savez que les normes communautaires priment sur les normes nationales et le code national devient de facto contradictoire, sur cet aspect, à une norme communautaire. C’est donc la norme communautaire qui est d’application interne. On a ainsi besoin de faire tout ce toilettage pour adapter le code à nos engagements internationaux. C’est d’ailleurs un des objectifs de la réforme qui vise à avoir un instrument adapté qui respecte ou qui se conforme à nos engagements internationaux.
Les organisations patronales et syndicales ont souvent réclamé une réforme du code dans le sens de le rapprocher du droit commun, avec notamment une dépénalisation de certaines infractions douanières et une plus grande proportionnalité entre celles-ci et la sanction infligée. Peut-on s’attendre à un changement à ce niveau ?
Vous savez, cet aspect n’est pas aussi simple qu’on l’appréhende. Nous avons aujourd’hui deux missions ou deux objectifs qui sont difficilement conciliables, c’est d’abord mettre l’opérateur économique en sécurité tout en préservant les intérêts du Trésor public. Il s’agit donc de trouver le juste milieu. A ce niveau, nous avons fait des aménagements sur le plan du contentieux, permettant de mieux prendre en considération certains aspects mais pour l’essentiel, sachez que, pour mieux protéger ces opérateurs économiques on ne devrait pas se d’avoir une règlementation faible qui, certainement, ne nous permettrait pas de les protéger contre les agressions extérieures. Dans le cadre du séminaire scientifique (ce jour) il s’agit justement de recueillir leurs avis et observations par rapport à l’avant projet de réforme qu’on leur a remis et qu’ils ont eu le temps, je crois, d’étudier et surtout de prévoir des propositions de réforme allant dans tel ou tel sens. Je sais que l’un dans l’autre autour d’une table, nous aimons tous notre pays et il n’y a pas de raison pour qu’on ne trouve pas de terrain d’entente par rapport à cet aspect contentieux.
On parle d’une douane plus « répressive » que partenaire contrairement au slogan ?
Ce que je peux dire c’est qu’à notre niveau, depuis quelques années, si les gens ont bien suivi l’activité douanière, ils doivent savoir que par rapport à toutes ces réformes qui sont entrain d’être mises en œuvre et qui doivent aujourd’hui être traduites dans notre instrument de travail qu’est le code, beaucoup d’initiatives ont été prises pour montrer que la douane est plus un partenaire des opérateurs économiques qu’un gendarme. Ce n’est donc pas la sanction qui est mise au devant au contraire. Je crois même qu’en 2009, d’une on a procédé à une réorganisation de la Direction générale des douanes, avec un nouvel arrêté qui consacre une direction entière appelée Direction de la facilitation et du partenariat avec l’entreprise. Direction au sein de laquelle il y a un volet principal pour traduire en actes tout ce que nous avons comme slogans notamment le partenariat avec le secteur privé. Il s’agit pour eux de mettre en place des procédures beaucoup plus simplifiées et qui permettent de rendre plus favorable le climat des affaires et je crois que ces efforts ont été reconnus à travers le doing business qui permet au Sénégal de prendre une place assez intéressante dans le classement. Cela a aussi permis à la direction générale d’être sacrée meilleure réformatrice de l’année, lors du dernier CPI (Conseil présidentiel sur l’investissement) et j’ajouterai le prix des Nations unies que nous avons reçu sur la base de tout ce que sommes entrain de faire pour améliorer le climat des affaires. Je pense que les actes que nous posons méritent quand même qu’on les apprécie à leur juste valeur.
Il n’empêche, le secrétaire général de la Cour d’appel de Dakar, saisissant le prétexte de la rentrée solennelle des Cours et Tribunaux en janvier dernier, avait fustigé certaines dispositions du code des douanes qui seraient source de « chantage » pour les personnes poursuivies par l’administration douanière. En un mot à la douane, ou on transige ou on va en prison ?
Nous avons tous suivi cette intervention de cet éminent magistrat, Souleymane Deli , et je peux vous dire qu’il a été particulièrement invité à nos travaux à l’instar de beaucoup d’autres professionnels du droit à qui nous avons remis le projet de réforme. Pour vous dire que ce sont des gens que nous respectons pour leurs missions aussi grandes et aussi élevées. Cela dit, pour ce qui est de la douane, il faut voir ces pouvoirs-là par rapport aux missions que nous avons et non pas comme des pouvoirs que l’on donne simplement à l’administration douanière…
Justement est-ce que ce n’est pas le principe d’équité et de justice comprise par tous qu’il faut rechercher même si cela ne vous empêche pas de jouer votre rôle de soldat de l’économie, or avec le triptyque infraction matérielle, interdiction de se prévaloir de sa bonne foi et force probante des procès verbaux… ?
Vous savez l’équité c’est au juge d’en apprécier, la règlementation douanière n’empêche pas le juge d’apprécier quoi que ce soit et d’aller au fond des choses. Dès l’instant qu’il y a des personnes qui sont chargées de juger je peux dire qu’à priori personne n’est à priori coupable ou innocent. Ce principe n’a jamais disparu du code des douanes et j’ai l’habitude de dire à mes élèves à qui je donne les cours de législation douanière qu’ils ont énormément de pouvoir certes, mais n’oubliez jamais que vous avez aussi énormément de contraintes par rapport à ces pouvoirs. Pour chaque pouvoir qui est conféré à un agent des douanes, à côté dans les articles qui suivent, il ya des contraintes à l’exercice de ce pouvoir. Ces pouvoirs sont donc encadrés et c’est ce que nous avons reconduit dans l’actuel projet de code. Mais ce sont des questions importantes et c’est pour cela que dans le cadre du séminaire, il y aura toute une journée exclusivement réservée à la question du contentieux douanier tandis que la première journée sera consacrée à la réforme de façon générale et tous les aspects qui intéressent les opérateurs économiques par rapport à la facilité, la simplification, etc… Tout cela pour dire que la douane ne fuit aucun débat sur ces questions-là.
Par rapport à un désarmement tarifaire induit par les Accords de partenariat économique(APE), n’y a-t-il pas de inquiétudes au niveau de votre corps relatives à d’éventuelles pertes de recettes ?
Le rôle de l’administration douanière est loin d’être confiné à la perception des droits et taxes au niveau des frontières. Avec les Ape, il ne s’agit donc pas de prédire la mort certaine de l’administration douanière qui doit plus axer son intervention sur sa mission économique qui touche au conseil aux entreprises, à la facilitation et à la mise en place d’un ensemble de régimes économiques permettant à l’entreprise d’être encore plus performante tant au plan national qu’au plan international. Cela dit, au niveau de l’UE, les droits de douane n’appartiennent plus aux Etats mais à l’Union, ce qui n‘est pas encore le cas dans nos pays même si on a une union douanière avec un tarif extérieur commun(Tec), on continue encore à avoir des droits qui appartiennent aux Etats et de ce point de vue je pense que la douane garde un rôle assez important…
Tellement important qu’un éventuel manque à gagner en termes de recettes a été tout de même estimé à quelque cent milliards de FCfa…
La réforme en cours c’est une réforme pour l’économie, cela veut dire que cet aspect-là nous l’avons évidemment pris en compte, justement pour mettre au devant le rôle économique de l’administration douanière. C’est tout le sens de ce que nous sommes entrain de faire aujourd’hui en matière informatique et nous avons même dépassé le cap de l’informatisation. Nous sommes dans le cadre d’une dématérialisation totale des procédures de dédouanement. Et si à terme nous arrivons à finaliser la réforme, l’opérateur économique, qu’il soit en France ou ailleurs, pourra non seulement suivre toute la procédure de ses opérations à partir de sa machine, mais aussi payer directement sans bouger de son bureau…
Un payement électronique qui n’est pas encore une réalité ?
Oui, mais le module est là, on est entrain d’y travailler et je crois qu’on est en phase test par rapport à certaines banques et je pense que c’est une réalité qui va bientôt voir le jour.
Une question liée au Programme de vérification des importations (PVI) dont mandat a été donné à Cotecna, cela ne coûte-t-il pas trop cher à l’Etat quand on sait que l’administration douanière devrait, depuis 2001, être assez outillée pour gérer elle-même ce programme ?
Je préférerais ne pas trop m’avancer là-dessus. Je confirme simplement que par rapport au programme en question, ce qui était visé à terme c’est effectivement un transfert de technologie par rapport au scanner qui a été déployé, à l’accompagnement technique, la formation, etc… Jusque-là cela nous a permis de franchir des pas importants dans la modernisation des procédures. Pour le reste, cela appartient aux autorités, qui gèrent les aspects stratégiques.
Dans les grandes lignes de la réforme, qu’est-ce qui va changer dans les procédures de dédouanement notamment en termes de rapidité et de simplification?
Question très importante parce qu’en définitive, ce qui intéresse le plus l’opérateur c’est le gain de temps. Etant entendu que l’opérateur qui gagne du temps gagne de l’argent en fait. C’est pourquoi dans le cadre de cette réforme, on a pris en charge l’ensemble des questions liées à la dématérialisation. Jusque-là, le manifeste était manuel et il fallait des jours pour l’enregistrer et le transcrire, etc… Aujourd’hui, le manifeste électronique est directement téléchargé dans la base de données. Vous quittez les Usa, si vous voulez, dès le lendemain, vous pouvez télécharger votre manifeste dans ce qu’on appelle la plateforme portuaire et à ce niveau, ce manifeste est visible par tous les acteurs qui sont concernés, consignataires, transitaires, banques, tous ceux qui sont connectés au système. En termes de gain de temps on ne peut pas avoir mieux. On est allé plus loin dans le cadre de la réforme, on a fait obligation de télécharger 48 heures avant l’arrivée d’un navire, permettant ainsi à l’administration douanière peut commencer à travailler et les autres acteurs concernés d’anticiper le traitement des déclarations. Quand ce sont des déclarations qui peuvent avoir des bons sans que la marchandise ne soit présente, déjà l’opérateur dispose de son bon à enlever avant même l’arrivée du navire. C’est une innovation majeure qui va permettre de booster les opérations. Un autre aspect de la réforme, sur les régimes, dans l’actuel code, les entreprises à caractère commercial (ceux qui importe de la marchandise pour revendre en l’état) ne peuvent pas bénéficier du régime d’entreposage, contrairement au code de l’Uemoa qui le leur permet. Dans le nouveau code, nous prévoyons justement de nous aligner à ce code communautaire sur cet aspect-là et sur bien d’autres.