"C’EST UNE ABSURDITE QUE DE LEGIFERER POUR UNE CORPORATION EXCLUSIVEMENT"
MOUSSA PAYE, JOURNALISTE A LA RETRAITE
Membre fondateur du Synpics, de Sud communication, Moussa Paye a travaillé au Ministère de la Communication jusqu’à sa retraite en 2011. Dans cet entretien, il aborde avec franchise les questions controversées qui agitent la presse sénégalaise.
Qu’est-ce qui explique, selon vous, l’absence de viabilité des entreprises ?
Cette notion d’absence de viabilité pourrait être relativisée par l’expérience de l’Hebdomadaire Afrique Nouvelle, certes adossé à l’Eglise catholique, qui a traversé les rigueurs de la période coloniale, les aléas de la lutte pour l’indépendance pour ne s’éteindre qu’aux années 1980. La presse issue du volontarisme professionnel comme Promotion de Boubacar Diop, Le Politicien de Mame Less Dia et Le Devoir de Pathé Mbodj, notamment, ont pu mener à bout leur expérience sans soutien de l’Etat - sinon l’un quelconque de ses démembrements ou de ses personnalités - sans une entreprise de presse et en s’astreignant à une rigoureuse austérité.
La transition vers les groupes de presse embryonnaires comme Wal-fadjri, Sud Communication, Le Témoin et le Cafard Libéré, est ainsi faite. Ces groupes sont encore là pour l’essentiel. L’absence de viabilité est un facteur introduit par les rapports nécessairement conflictuels au pouvoir d’Etat, à la concurrence et aux normes de gestion capitaliste en une période récente du processus démocratique. L’absence de viabilité est apparue avec la tentative de domestication de la presse par le pouvoir d’Etat et l’acquiescement ou non de certains patrons de presse à cette offre de libéralités occultes. Qui ont fait débat, notamment, entre le président Wade avec le groupe Sud ; entre Wade, le ministre Thierno Lo et le patron de presse Mandiambal Diagne ; et entre Wade et Sidy Lamine Niass, notamment.
Le fonds d’appui à la presse prévu par le Code donne à l’Etat la possibilité d’être le plus grand bailleur de la presse. Cela ne constitue-t-il pas, selon-vous, un risque de vassalisation de la presse ?
Non. Le risque de vassalisation de la presse se trouve dans la sempiternelle affirmation de certains patrons de presse que la presse privée ne peut pas survivre sans subvention de l’Etat. Or, l’expérience des Sociétés nationales sénégalaises qui, toutes, ont fait faillite, montre l’incapacité de l’Etat à développer des sociétés ou groupes. Selon les normes capitalistes inhérentes, qui sont l’investissement, la rentabilité et la gestion rigoureuse. La presse du pays n’a jamais été aussi féroce avec le régime de Wade, que quand celui-ci a porté l’aide à la presse de millions à milliards.
Le nouveau code discuté par les patrons de presse profite-t-il aux reporters ?
La réglementation de la presse repose sur deux charpentes juridiques, une loi sociale qui est à l’avantage des journalistes, la convention collective et une loi autoritaire de mon point de vue, qui réglemente le rapport de la presse à la société. La Convention collective des journalistes et techniciens de la communication sociale, établie et arrêtée après négociation entre les entreprises de presse et d’information du Sénégal et le Synpics et appliquée en 1990.
Suivant la règle de la partie la plus diligente, le président Abdou finit au cours d’une séance de travail inoubliable, par décider que c’est le projet du Synpics qui sera négocié, malgré la tenace insistance du ministre André Sonko à imposer son projet de convention collective, une copie moins avantageuse de la nôtre. L’audience révélera un André Sonko qui n’était pas un chérubin et un Djibo Ka, ministre de tutelle, couvant jusqu’au bout ses administrés et défendant leurs intérêts. La deuxième charpente juridique est donc la loi 96-04 du 2 février 1996, laquelle est un nécessaire dépassement de celle n° 79-44 du 11 avril 1979 qui porte les scories de la période où la démocratie n’était pas encore dite « illimitée ».
Pour répondre à votre question, au regard de ce qui précède, je vous dirai que toute loi est le fruit d’un rapport de force entre ceux qui l’initient et ceux auxquels elle est appliquée. Cette loi qui est en gestation est un pacte entre le pouvoir et le patronat de presse, mené par une aile qui s’est imposée comme le principal locuteur et concepteur des projets de presse, dans un contexte trouble où la fragmentation de l’organisation des journalistes en de multiples entités, a relégué leur organisation représentative, le Synpics, au second plan.
Ainsi, le code en gestation porte des promesses de bonheur aux entreprises, à travers un statut spécial ; alors que les questions des intérêts matériels et moraux des journalistes restent entières, à part une hypothétique dépénalisation des délits de presse. L’adoption de cette loi avant l’élaboration d’une convention collective montre que la préoccupation du pouvoir et des patrons n’est pas l’amélioration des conditions morales et matérielles des travailleurs de la presse. Mais que leur priorité est respectivement pour le pouvoir, d’asseoir son hégémonie sur la diffusion de l’information, des idées et du savoir et pour le patronat de presse d’émerger comme oligarchie financière.
"L’adoption de cette loi avant l’élaboration d’une convention collective montre que la préoccupation du pouvoir et des patrons n’est pas l’amélioration des conditions morales et matérielles des travailleurs de la presse."
Que pensez-vous de la dépénalisation du délit de presse ?
L’application judiciaire de cette disposition rompt effectivement l’égalité des citoyens devant la loi : l’article 30 de la loi en vigueur, spécifie que la protection légale accordée au journaliste ne s’applique pas aux personnes ressources auxquels il aura fait appel pour commenter ou analyser un évènement. Ce qui veut dire que pour une faute partagée, le journaliste échappe par absolution à une peine de prison ; alors que son invité qu’il aura ainsi stimulé, non. C’est une absurdité que de légiférer pour une corporation exclusivement, omettant même les techniciens et les nouveaux métiers annexes de la société de la communication. Il ne faut pas rêver : la justice des Etats-Unis emprisonne encore des journalistes pour le simple fait de refuser de révéler sa source.
Que répondez-vous à ceux qui soutiennent que la déprisonalisation expose les citoyens aux abus des journalistes ?
Le problème serait donc les abus des journalistes ? La solution ne saurait être un privilège de droit où l’abuseur et l’abusé ne courent pas les mêmes risques face à une situation légalement encadrée par le droit à l’information et la liberté d’expression, et qui déraperait du délit d’opinion vers la diffamation.
"La justice des Etats-Unis emprisonne encore des journalistes pour le simple fait de refuser de révéler sa source. "
Le code prévoit une commission de validation d’acquis pour ceux qui n’ont pas de diplôme de journalisme et ayant une licence plus trois années d’expérience… Ne s’agit-il pas là d’une faille trop grande dans le verrouillage du métier ?
Le statut de stagiaire pendant trois ans n’est pas légal, de surcroit après une licence. Que vaut ce statut bâtard sur trois longues années si cette commission de validation si elle n’est pas de pure formalité peut le remettre en cause ?
Le nouveau code prend-il suffisamment en compte dans sa réglementation la presse en ligne ?
La presse en ligne devrait-être soumise à la même réglementation que le reste de la presse, sauf que le contrôle du contenu est impossible à cause de son caractère global. Les déboires actuels des Etats-Unis d’Amérique montrent que la répression dans ce secteur n’est plus du ressort des entités nationales, quelle que soit leur puissance. Mais qu’un consensus universel sur les impératifs de transparence dans la gestion des affaires du monde est nécessaire et que ce consensus est plombé par l’entretien du secret militaire dit de défense, par les puissances hégémoniques ; lequel secret couvre les projets de guerre et les actions subversives des services spéciaux de par le monde.