MULTIPLE PHOTOSDIERY DIOR NDELLA FALL ET SARITHIA DIEYE, UNE AMITIE PLUS FORTE QUE LA FORCE DU COMMANDANT
Jom ou l'honneur des chevaliers de
Le courage des résistants africains contre l'occupation coloniale n'est plus à démontrer. Le sens de l'honneur, le "jom" comme on le dit en wolof, était au coeur de leurs actions. Outre Sidiya Ndaté Yalla, héritier des princesses de Nder, dont on a eu à parler ces jours-ci, il y a Diéry Dior Ndélla Fall et le Jaraaf Alieu Codou Ndoye qui sont, pour Abdou Khadre Gaye, de véritables chevaliers de l'honneur. Mais, ce qui nous intéresse cette fois-ci dans le travail du président de l'Emad qu'il a bien voulu nous soumettre, c'est l'amitié qui a existé entre Diéry Dior Ndélla Fall et Sarithia Dièye.
"La vie ne vaut pas la peine d'être vécue si l'on perd son honneur, sa dignité. Telle était la foi de nos pères, chevaliers imperturbables. Ainsi, savaient-ils se battre pour leur liberté, préférant l'exil à la soumission servile et la mort à l'humiliation et se faire humble face à l'intérêt général et la conscience des trois générations : les morts, les vivants et les ‘à naître'", écrit Abdou Khadre Gaye, chercheur-écrivain, président de l'Entente des mouvements et associations de développement (Emad).
C'est, selon lui, grâce à cette foi qu'ils ont pu conserver leur beauté, même dans la pauvreté, même dans la défaite. Cet écrivain-chercheur qui a consacré ses recherches sur le "jom" ou l'art des chevaliers de l'honneur en prenant les exemples de Sidiya Ndaté Yalla, Diéry Dior Ndélla et Jaraaf Alieu Codou a souligné que "malgré les humiliations de l'esclavage et de la colonisation, malgré la désagrégation de nos sociétés et la perte de nos valeurs culturelles, malgré les campagnes de domestication qui ont accompagné et suivi la conquête coloniale, ces héros ont su offrir leur vie en exemple et mériter le respect des générations".
C'est, à l'en croire, la conscience de l'importance du "jom", cette fleur devenue rare, qui fit choisir à Senghor comme devise à notre armée nationale la formule : "On nous tue, mais on ne nous déshonore pas".
Sarithia Dièye tua l'administrateur Chautemps et Diéry Dior Ndella récolta les honneurs
Diéry Dior Ndélla Fall, raconte Abdou Khadre Gaye, président de l'Emad, est un prince du Cayor, né en 1871. Il est le fils du 32e et dernier Damel, Samba Yaya Fall, qui fut destitué par les Français et placé en résidence surveillée à Saint-Louis où il se suicida, en se jetant dans le fleuve, lorsque, le 18 octobre 1891, le colonisateur lui refusa l'autorisation de se rendre au Cayor pour assister aux funérailles de sa mère, qui venait de décéder.
"On raconte qu'à l'occasion de son mariage avec une soeur de Canar Fall, exchef suprême du Baol Occidental, destitué par le colon, Diéry avait reçu de lui, en guise de cadeau, deux esclaves. Bien plus tard, en compagnie du même Canar Fall et de Bocar Thilaas, le chef du canton de Guéoul, il se rendit à Thiès où il vendit les esclaves, alors qu'à l'époque cette pratique était interdite", indique M. Gaye qui ajoute que le 7 avril 1904, ils furent tous les trois convoqués au palais du gouverneur à Thiès, par l'intérimaire du commandant Prempain, pour délit de vente d'esclaves.
Le commandant leur fut alors infligé des amendes, qu'ils payèrent. "Mais Diéry fut retenu, car, en plus de l'amende, il lui fut appliqué une peine d'emprisonnement de 15 jours. Dès que Sarithia Massamba Dièye, ami du prince Diéry Dior Ndella, qui attendait dehors, fut informé de l'affaire, il s'emporta et ainsi s'écria : ‘l'amende est acceptable, mais pas question qu'on emprisonne mon prince ! Jamais je ne l'accepterai !'", fait savoir M. Gaye.
En effet, souligne-t-il, "au moment où les gardes tentaient de ligoter le prince qui se battait contre eux, Sarithia Dièye fit irruption dans le bureau-tribunal, en défonçant la porte. Ils mirent rapidement en fuite les gardes. Dans la mêlée, Sarithia tua d'un coup de poignard l'intérimaire, nommé Henry Chautemps. Une fois son acte accompli, il remit son arme dégoulinant de sang à Diéry. Tous deux sortirent et les griots, sur sa demande, se mirent à chanter les louanges de Diéry. Car, pour lui, l'essentiel était de préserver de toute ternissure la renommée de son prince et la postérité ne devait retenir qu'une chose : Diéry a tué le commandant qui voulait l'humilier."
Recherchés par les hommes du commandant Prempain, Diéry fut tué et son ami exilé en Guyane
"De Thiès, Diéry Dior Ndella, accompagné de son ami et complice, se rendit à Thiaytou, chez son oncle, Massamba Sassoum Diop, puis à Souguér. Après avoir fini de consulter ses parents, il décida de ne pas s'enfuir, mais de rester, de se battre et de mourir".
Toutefois, la chasse à l'homme était déjà lancée et la tête du prince Diéry mise à prix, mort ou vif.
"C'est ainsi que, le 9 avril 1904, alors que Diéry était vivement recherché par les hommes du commandant Prempain, son ami et beau-frère Canar Fall, avec qui il avait répondu à la convocation à Thiès, attiré par l'appât du gain et aussi, certainement, dans l'espoir de retrouver les bonnes grâces du colon, le tua dans une embuscade. Il lui coupa la tête et un bras qu'il déposa, en guise de preuve, aux pieds du commandant. Et, comme cela était de coutume à l'époque, pour dissuader les rebelles à l'ordre colonial, la tête et le bras de Diéry furent embrochés sur une perche et exposés publiquement sur la place du marché de Thiès.
Sarithia Dièye, l'ami exemplaire, fut arrêté deux jours plus tard et exilé en Guyane, après son jugement. Canar Fall, le traître, fut trahi par le colon et condamné à 20 ans de prison. Il se convertira à l'islam à sa deuxième année d'emprisonnement et devint Amadou Canar Fall", narre Abdou Khadre Gaye.