IBRAHIMA DIOUF, DIRECTEUR DU BUREAU DE MISE À NIVEAU DES ENTREPRISES
"SI LES ENTREPRISES SÉNÉGALAISES NE SONT PAS COMPÉTITIVES…"
M. Ibrahima Diouf, Directeur du Bureau de Mise à Niveau des Entreprises (BMN), diagnostique la place de l'entreprise typiquement nationale, face à la concurrence étrangère.
Le Programme de Mise à Niveau (PMN) a accompagné 119 entreprises avec des investissements réalisés de près de 35 milliards FCFA, sur un total approuvé de 84 milliards FCFA. Une performance qui cache bien des contraintes. Selon M. Diouf, les entreprises sénégalaises sont confrontées à un environnement des affaires pas assez incitatif, une concurrence internationale aiguë. "Une des priorités du Secteur privé est que le Programme de Mise à Niveau soit pérennisé pour améliorer la compétitivité des entreprises sénégalaises. Si elles ne sont pas compétitives en termes de prix ou de produits et services, la concurrence étrangère va les bousculer et certaines pourraient même disparaître. Le PMN a reçu comme instruction d'apporter son concours mais il faudrait que l'État le dote de moyens financiers suffisants. Aujourd'hui, le Programme est essentiellement financé par la France avec l'AFD, l'ONUDI et l'Union Européenne. Ces financements arrivent à expiration et il faudrait penser à la pérennisation pour permettre d'accompagner les entreprises. L'objectif du PMN, c'est primer l'investissement réalisé par les chefs d'entreprise. S'il n'y a pas d'investissements, il n'y a pas de croissance, donc pas d'amélioration du PIB, ni de création de richesses.
Grâce à un environnement des affaires incitatif, l'épargne va financer l'investissement qui va ainsi créer la croissance", indique M. Diouf, ancien Directeur des PME.
Aujourd'hui que le Sénégal s'est inscrit dans une dynamique d'émergence, M. Diouf estime qu'il faut, non seulement, des investissements structurants, de l'État et ses partenaires, mais aussi et surtout, l'implication du Secteur privé qui s'avère indispensable dans ce processus. Pour lui, si le Sénégal en est encore là, c'est parce qu'il n'y a pas encore une véritable densification du tissu des PME. "Le processus dans les pays émergents, à la base, il y a certes les Investissements Directs Etrangers (IDE) qui ont joué un rôle important en termes d'investissements structurants, mais auparavant, ce sont des PME aux mains des nationaux qui ont favorisé la véritable émergence. C'est ce tissu dense de PME a été à l'origine de la création de la classe moyenne, propriétaire de PME qui ont favorisé l'émergence, en tirant vers le haut, avec des revenus accrus, un pouvoir d'achat sensiblement amélioré. Ils ont constitué des éléments décisifs ayant favorisé l'investissement domestique qui a ensuite tiré la croissance économique. Ce processus ne s'est pas encore réalisé au Sénégal. Nous avons plutôt misé sur les IDE et ils ont leurs limites", poursuit M. Diouf. "En pourcentage du PIB, les IDE ne représentent que 2%. Certes, le gouvernement a initié et développé des politiques volontaristes de promotion des IDE, mais notre pays reste insuffisamment attractif, du point de vue économique et institutionnel car pénalisé par sa trop forte dépendance envers une conjoncture défavorable du marché européen, de la France en particulier…".
Pour cet Expert des PME, "n'étant pas un exportateur net de matières premières en dehors du phosphate, de l'acide, de l'or, de l'arachide, du coton et des produits de la mer, le Sénégal ne se positionne pas dans les stratégies de délocalisation des nouvelles puissances émergentes".
Pour promouvoir l'investissement national, le gouvernement avait décidé, en 2007, de la baisse de l'impôt sur les sociétés, passé de 35 à 27%. Selon M. Diouf, c'est l'effet contraire qui a été obtenu. "Les bénéfices engrangés ont été rapatrié et les grandes entreprises, filiales des multinationales, ont beaucoup plus bénéficié de cette mesure que les PME. C'est dire que, malgré les efforts, les multinationales continuent de dominer l'économie nationale. Ce n'est pas une mauvaise chose en soi, mais il faut que ces très grandes entreprises s'allient avec le secteur privé sénégalais et que l'État facilite l'émergence d'entreprises nationales dynamiques dans les secteurs stratégiques. En négociant des prêts concessionnels, l'État peut les rétrocéder au Secteur privé en leur exigeant d'investir dans les secteurs, jugés prioritaires, définis en amont et de manière consensuelle, avec des facilités en termes de taux d'intérêt et de durée de remboursement", suggère-t-il.