IDRISSA SECK : UN SILENCE MINÉRAL

Il est évident qu’il attend son heure. Et l’ancien Premier ministre sera bien présent en 2017. Idrissa Seck doit avoir le sentiment de vivre le destin de ces hommes politiques qui sont restés à mi-chemin du sommet de la montagne. Il ne sera ni le premier, encore moins le dernier. Beaucoup de convoqués, peu d’élus.
Des monstres sacrés de la vie politique comme Moustapha Niasse (actuel président de l’Assemblée nationale), l’ancien ministre d’Etat Djibo Kâ (l’une des plus longues carrières ministérielles) ou encore l’ancien ministre d’Etat et ex-numéro deux du régime socialiste, Ousmane Tanor Dieng, ont tous perdu des élections présidentielles.
Plus loin dans le temps, Lamine Guèye, ancien président de l’Assemblée nationale, qui a participé à la mise aux pieds à l’étrier au président Senghor, n’a jamais réussi à devenir chef d’Etat. Donc, le destin d’un homme politique n’est pas toujours présidentiel.
Arrivé deuxième en 2007 derrière son ancien mentor, Me Wade, l’ancien maire de Thiès n’est pas parvenu à capitaliser cet acquis, alors que les « autres » avaient décidé de boycotter la présidentielle qui allait consacrer le deuxième mandat du « Pape du Sopi ». La cause ?
Malgré son emprisonnement suite aux accusations portées contre lui dans ce que l’Histoire retiendra comme « l’affaire des chantiers de Thiès » conclue par le fameux « protocole de Rebeuss », -une négociation menée par la notaire Me Nafissatou Cissé, alors intermédiaire entre lui et Me Wade, il va suivre la méthode du secrétaire général du Pds, à savoir la capacité à négocier. L’opinion prendra mal ses rencontres avec celui qui l’avait fait mettre en prison.
Et tous deux ont perdu dans cette stratégie. Si le président Wade a réussi à rester 12 ans au pouvoir, l’ancien maire de Thiès, lui, malgré son engagement et « la garde de la maison » lors de la traversée du désert de « maître », n’aura connu que 04 ans de pouvoir.
Quand démarre l’affaire des « chantiers de Thiès », Idrissa Seck est bien isolé. C’est le début du lexique des milliards dans l’entourage de Me Wade. Officiellement, surfacturations entre « grappes de convergence » et marchés destinés à moderniser la capitale du rail, le patron de « Rewmi » se verra conduire en prison.
Officieusement, il n’aura fait que prendre au mot son ancien mentor : « les grands bandits ont un code d’honneur qu’ils respectent jusqu’au moment du partage du butin ! » Toujours est-il qu’ils ont été les deux grands perdants de la présidentielle de 2012.
Les Wade perdent le pouvoir et le maire de Thiès arrive seulement en cinquième position lors du scrutin. Son postulat de devenir le quatrième président de la République du Sénégal ne s’est pas réalisé.
« Tortuosités »
Le temps a fait son œuvre. Dès après l’accession au pouvoir de Macky Sall, il observe un délai de décence, avant d’attaquer. Il quitte la majorité présidentielle et s’inscrit dans l’opposition. « Il faut fouetter votre cheval », dit-il au nouveau président de la République, alors en visite à Thiès, faisant allusion à l’animal symbole de l’Apr, le parti présidentiel.
Mais d’importantes personnalités ont quitté « Rewmi », au motif de « tortuosités » de son fondateur, les mêmes accusations que ce dernier avait formulées à l’endroit du secrétaire général de l’Urd, Djibo Kâ, lors de l’entre-deux tours de la présidentielle de 2000...
Depuis lors, c’est le silence. Un silence minéral, tellement il est bruyant. Quand un homme politique ne parle pas, refuse de s’adresser aux médias, il devient attractif. Tout le monde se demande à quoi il pense ou ce qu’il prépare. Serait-ce payant ? Surtout qu’Idrissa Seck pourrait s’inviter dans le débat pour la succession de Me Wade à la tête du Pds !
Le président du Conseil départemental de Thiès ne sera ni le premier ni le dernier à adopter cette stratégie. C’est une sorte d’exil médiatique. Alain Juppé, que ses condisciples surnommaient « Amstrad » à l’Ena de France, en raison de ses capacités d’analyse, avant de revenir en force sur le devant de la scène, après, lui aussi, ses déboires judiciaires, s’est « exilé » de longues années au Canada, refusant de s’exprimer sur quelque sujet que ce soit.
Pour revenir au Sénégal, l’une des figures de l’alternance de 2012, l’ancien ministre et maire de Saint-Louis, Cheikh Bamba Dièye, est devenu lui aussi aphone, malgré l’ampleur des débats qui ont cours.
Muet comme le pont Faidherbe. Si cette stratégie n’est pas de tout respect pour les électeurs, elle a quand même ses vertus. Elle permet la réflexion et l’introspection, en attendant des jours meilleurs. Et Idrissa Seck est quand même dans une démarche somme toute logique : quand on ne trouve pas les mots justes pour exprimer ce que l’on ressent, le silence vaut alors son pesant d’or.