IL ÉTAIT UNE FOIS SENGHOR, LE VISIONNAIRE
A L’ORIGINE DU PROJET FRANCOPHONIE
A quelques jours du XVe sommet de la Francophonie, où se retrouveront à Dakar des représentants des 77 pays (57 membres de plein exercice et 20 observateurs), un rappel du rôle que joua Léopold Sédar Senghor dans la création même du concept de francophonie s’impose.
Dans Anglophonie et francophonie , Senghor affirmait : «J’ai regretté, pour ma part, qu’on n’eût pas maintenu, en l’adoptant à nos indépendances, le «Commonwealth à la française» qu’était la communauté. Je le regrette encore aujourd’hui, car les relations entre la France et les pays indépendants d’Afrique -ses anciennes colonies, anciens protectorats et anciens territoires sous tutelle- restent, malgré tout, ambiguës. Ce qui est une mauvaise situation pour toutes les parties.»
La Francophonie s’inscrit donc dans le prolongement de la communauté et des conférences franco-africaines organisées par Georges Pompidou et que Senghor présenta en 1979 et 1980, comme un projet de «communauté organique de la francophonie». Mais quel rôle a véritablement joué Léopold S.Senghor dans la création de l’organisation ?
Mame Birame Diouf, ancien ministre de la Culture, lors de la cérémonie d’ouverture du colloque du Cercle Richelieu Senghor sur Senghor et Francophonie, tenu à Dakar le 29 novembre 2006, rappelait que la Francophonie est, si l’on peut dire, la figure arche type de l’idéal et de l’œuvre «senghoriens».
«C’est le testament qu’il nous lègue, où il nous donne à lire non seulement le monde tel qu’il voudrait qu’il soit, mais aussi les voies et moyens d’atteindre cet idéal. Nous le savons, c’est au moment même où le Général de Gaulle lançait son projet de communauté franco- africaine que Léopold Sédar Senghor se faisait l’avocat d’une francophonie «fille de la liberté et sœur de l’indépendance»», disait- il.
Le projet Francophonie avait identifié, dès l’entame, le refus de la contrainte et toutes les oppressions comme le fondement le plus sûr du dialogue interculturel. Sans perdre de temps, le Président Senghor œuvrera à rassembler les pays adhérant à ces retrouvailles impulsées par un «commun vouloir de vie commune».
Ce fut la création de l’union africaine et malgache, creuset de l’organisation commune africaine et malgache. Dans la revue Esprit, Senghor affirmait que la Francophonie est «un humanisme intégral qui se tisse autour de la terre : [une] symbiose des «énergies dormantes» de tous les continents, de toutes les races qui ne réveillent à leur chaleur complémentaire».
Ce qui fait dire à l’ancien ministre, Mame Birame Diouf, que l’interdépendance, le co-développement et la solidarité des peuples et des nations, dont Senghor s’est fait le chantre n’auraient pu être visés hors d’un contexte de fraternité dans le respect mutuel et le dialogue des cultures. Pour lui, il s’agit là, d’ «une solidarité des esprits facilitant la promotion d’un monde pluriel et garantissant, par cette pluralité même, sa propre durabilité».
Un exemple suffit pour illustrer cette assertion, défendait-il : «Senghor a souvent déploré l’indifférence des intellectuels africains pour leurs propres langues. «Hélas, a-t-il dit, quand, en 1937, dans une conférence à la Chambre de commerce de Dakar, j’ai préconisé l’enseignement des langues nationales, je n’ai trouvé aucun intellectuel pour m’appuyer».»
Greffe de toutes les cultures du monde
Pour l’ancien ministre de la Culture, la Francophonie a permis au Président- poète de résoudre cette difficulté. «Aujourd’hui, l’on ne peut que se réjouir de la multiplicité et de la qualité des programmes d’appui aux langues nationales, développés par les organisations francophones. C’est bien la preuve que nous venons tous à ce lieu de rencontres en sachant qu’il s’agit d’un lieu du «donner et du recevoir» où nous devons nous rendre avec ce que nous avons de plus précieux, notre culture et, d’abord, nos langues», avait-il mentionné.
Non sans omettre d’ajouter que pour Léopold Sédar Senghor, la Francophonie n’est pas une fin en soi. Pour Senghor, rappelait-il, la Francophonie est un exemple. N’a- t-il pas caractérisé son projet en parlant de «Common wealth à la française» ?, s’était interrogé M. Diouf avant de conclure qu’en réalité, la conviction «senghorienne» est que les peuples peuvent toujours trouver, dans la géographie, l’histoire, la culture, des principes qui les feront converger les uns vers les autres.
Et ces lieux et moyens de convergence seront inévitablement entraînés, grâce à l’esprit qui les meut, dans une dynamique de symbiose dont la civilisation de l’Universel.
Bernard Dorin, président d’honneur du cercle Richelieu Senghor de Paris, affirmait d’ailleurs à juste raison que pour Senghor, la Francophonie n’est pas une simple institution, une simple organisation internationale.
«Pour celui qui, avant d’être un homme d’Etat, fut d’abord poète, grammairien et académicien, la Francophonie, c’est avant tout une philosophie, une vision du monde. Père de la francophonie, Léopold Sédar Senghor était en effet un humaniste avant tout. Si ses idées fondamentales sont issues du mouvement d’affirmation noir appelé «Négritude», elles sont également nées des greffes de toutes les cultures du monde», disait-il. M. Dorin de préciser somme toute que pour
Senghor, la Francophonie est aussi, fondamentalement, un projet de développement culturel puisque «le français comme langue représente, au demeurant, une culture de synthèse». «Loin d’uniquement se fonder en un lieu et une culture, comme le voulait la pratique coloniale, la francophonie «senghorienne» se présente plutôt comme une refondation, appelant à la construction de nouvelles bases, à la création d’un nouvel espace collectif», avait-il indiqué.