"IL EST TEMPS POUR L’AFRIQUE D’AVOIR SA MONNAIE"
AZIZ SALMONE FALL, ALTERMONDIALISTE
Rencontré à Dakar dans le cadre du Sommet social africain, Aziz Salmone Fall, enseignant en Relations internationales et en Sciences politiques au Canada, revient, dans cette interview, sur les nouveaux enjeux géopolitiques du monde. Ce membre du Groupe de recherche et d’initiative pour la libération de l’Afrique montre notamment le rôle combien déterminant que doit jouer le continent africain dans cette nouvelle reconfiguration.
Qu’est-ce qui a motivé votre présence au Forum social africain à Dakar ?
Je suis venu au Forum social africain pour parler de trois choses. D’abord, le panafricanisme central, le projet de développement que nous proposons pour le continent africain et qui est tout à fait incompatible avec ce qui se passe aujourd’hui. Je veux également parler de la recolonisation du continent africain.
Celle-ci est rampante, ignorée de la plupart de nos concitoyens. Elle prend pourtant forme. Elle se traduit par des entraves, l’impunité des firmes transnationales et de ceux qui s’enrichissent illicitement sur le dos des populations.
Aussi, je suis venu parler du caractère géopolitique et géostratégique du continent africain à l’orée du XXIème siècle. Ce qui se traduit par les nouvelles formes que revêtent l’impérialisme, dans ses nouvelles considérations. Je vais, à ce propos, montrer un film qui s’appelle « Africom go home ». Le film revient sur comment nos pays ont été dessaisis de l’espace décisionnel international.
Comment les Etats africains sont de plus en plus fragilisés par toutes sortes de dé- rives. Cela passe notamment par l’instrumentalisation du terrorisme. Com- ment nos armées sont, petit-à-petit contrôlées, par les états- majors occidentaux pour, en fait, permettre un contrôle du continent africain, sur ses ressources naturelles notamment, et son avenir.
Ceci peut paraitre une théorie du contrôle, mais ne l’est pas. Les pays de l’Ocde et de l’Otan ont, en réalité, perdu sur le terrain économique et leurs croissances deviennent de plus en plus faibles. Les économies africaines sont, dans ce même temps, de plus en plus fortes et correspondent à celles de certains pays de l’Asie et de l’Inde.
Les pays africains qui commencent à comprendre, sont tentés d’avoir de nouveaux partenaires, dont les Chinois, les Indiens, etc., et cela inquiète le pré-carré occidental. Dès lors, le terrorisme a été mis en avant, alors que celui-ci regorge de réalités et motivations beaucoup plus complexes et profondes, que ce qu’on en dit.
L’Afrique est devenue l’arrière- plan de cette stratégie de lutte contre le terrorisme. D’abord, par la déstructuration de la Lybie. Et là, on a des groupuscules qui ont été soutenus par des puissances du Golfe qui, eux- mêmes, sont dans une logique de conservation de leurs intérêts. Puisqu’il faut déstructurer les économies africaines, on voit également dans le même temps le démantèlement du Maghreb.
De quoi traite votre film documentaire ?
Le film est un document de contre-propagande et de sensibilisation, aux fins non commerciales, et d'usage d'archive et de consultation. Ce document vidéo est une interprétation personnelle de l'enjeu géopolitique africain et mondial. Le film s'adresse aux dirigeants africains, aux panafricains, aux internationalistes et à la jeunesse africaine préoccupés de la condition de l'Afrique dans le système mondial. Il compare la vision des pères progressistes du panafricanisme à celle des tenants de la domination et leurs alliés locaux.
L'objectif de ce document est d’apporter une contribution subjective au suivi de la déclaration « Africom go home », signée par une cinquantaine de personnalités et d’organisations africaines et allemandes qui s'opposent à la présence de l'Africom en Allemagne comme en Afrique.
Il montre, entre autres, comment à partir de l’or détenu en Amérique, en France et en Angleterre, les Allemands, après la destruction du mur de Berlin, veulent reprendre ce métal précieux qui leur appartient.
Cela leur est impossible. Entre temps, les Chinois ont injecté plus de mille tonnes d’or dans l’économie américaine. On leur demande de revaloriser leur devise. Ils acceptent le principe tout en demandant à ce que leur or leur soit retourné.
Et comme les Américains et les Français ne disposent plus de cet or, ils instaurent un climat fait d’instrumentalisation de conflits. Le film montre également comment au sein même des puissances néo-colonialistes il y a des rivalités. Comment ils s’espionnent les uns des autres.
Que voulez-vous dire par là ?
La recolonisation est en train de prendre de nouvelles formes. C’est des satellites, des drones, un système qui coopte l’essentiel de nos états-majors et veut faire croire que l’on est incapable de faire face au terrorisme, du fait de la fébrilité de nos Etats.
Par exemple, dans le cadre du virus Ebola, les Amé- ricains vont t’envoyer 300 soldats au lieu de médecins. Mais on ne peut pas blâmer les pays occidentaux de faire cela, car ils le font dans leurs intérêts. C’est nous autres Africains, qui ne comprenons rien à tout cela, qu’il faudra blâmer.
Quelle réponse proposez-vous pour faire face ?
L’Africanisme est la seule réponse possible face à une pareille situation de recolonisation. Il faudra rester uni, comprendre que l’élaboration de micro-nations constitue le principal ennemi de l’Afrique. Il faut avoir le courage de dire à l’Union africaine, censée nous représenter, qu’elle ne doit pas se laisser coopter par ces systèmes.
C’est pour cela que j’encourage à regarder ce film « Africom go home ». Nous sommes malheureusement sous- informés, nos Etats dessaisis de certains de leurs droits. Ils ne fonctionnent plus dans leurs espaces de souveraineté. Dans ce film, nous montrons la nécessité de maitriser nos ressources naturelles, nos connaissances, notre économie, notre autosuffisance alimentaire, pour pouvoir compter sur notre propre force.
Il est également nécessaire d’avoir notre propre monnaie, une banque centrale, la capacité de contrôle de notre compétitivité au niveau international, retrouver pleinement la marge de manœuvre de nos Etats. Cela passe par une autonomie collective et panafricaine. Si nous tendons vers cela, nos pays se développeront probablement.
Toutes les personnes qui sont sur la ligne de front sont intimidées mises parfois dans des situations difficiles, mais cela fait partie de la lutte. Thomas Sankara est l’un des rares qui a osé parler, c’est pourquoi il a été éliminé, suite à un complot international. Ce qui est dommage, c’est qu’on est souvent dans la solitude quand on mène ce genre de lutte.
Dans le film, nous revenons largement sur le cas de Kadhafi, comment il s’est allié à ceux-là mêmes qui vont, par la suite, l’assassiner. Des alliés avec qui il s’était engagé dans la lutte contre le terrorisme.
Que revêt de particulier le comportement de Thomas Sankara vis-à-vis des Occidentaux ?
Thomas Sankara a très vite compris qu’il fallait compter sur nos propres ressources et sur une autonomie collective panafricaine. Il a redonné le pouvoir aux femmes, aux paysans à ceux qui font vraiment fonctionner l’économie. Il a voulu remettre l’élite dans le sens patriotique. C'est-à- dire qu’il n’y est pas d’enrichissement illicite, de détournement de deniers publics. Il avait compris la nécessité d’instaurer de nouvelles relations avec les puissances occidentales.
Des échanges équitables dans les relations économiques, une protection de nos marchés intérieurs. Excédentaire ou déficitaire, il fallait se soutenir. La révolution du Burkina était panafricaine. Thomas Sankara n’a fait que mettre en pratique les idées de Patrice Lumumba, Mehdi Ben Barka, Gamal Abdel Nasser, Amilcar Cabral.
Il est nécessaire de se prémunir d’une volonté politique. Il faut juste agrandir la marge des Etats, faire en sorte qu’ils soient intègres dans leurs dimensions managériales. C’est ce que Thomas Sankara voulait faire et voilà le pour- quoi il a été assassiné.