ANNETTE MBAYE D’ERNEVILLE, UNE PHARAONNE BÂTISSEUSE
EXCLUSIF SENEPLUS - Enseignante, journaliste et écrivaine, elle incarne l’engagement artistique de manière universelle, tout en déployant l’univers africain comme la source de son inspiration
Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
La tonalité poétique d’Annette Mbaye d’Erneville est absolue, vivante et vibrante. Elle va puiser aux sources des rites africains pour en faire une bandoulière perlée d’intensité poétique et pour transmettre tout un legs initiatique.
Comme j’aime à le dire souvent, la poésie est un art esthétique fondateur dans la littérature. Elle est à l’origine de notre parole et de notre imaginaire sacré. Avec elle, nous transcendons tout notre héritage culturel fécond et nous sculptons des joyaux pour la postérité. La poésie est un son, elle est une image, elle est un rythme, elle est synonyme d’histoire et de savoirs et elle s’inscrit dans le langage.
Sans hésitation, on peut dire que la création littéraire d’Annette Mbaye d’Erneville appartient à cette catégorie, celle d’une passion poétique qui devient ici une représentation de notre narration symbolique et métaphorique.
Car la tonalité poétique d’Annette Mbaye d’Erneville est absolue, vivante et vibrante. Elle va puiser aux sources des rites africains pour en faire une bandoulière perlée d’intensité poétique et pour transmettre tout un legs initiatique. La sincérité avec laquelle l’auteur poétise nous emporte avec elle de manière immédiate, tout en caractérisant la continuité du langage poétique.
Avant-gardiste de la scène littéraire sénégalaise, Annette Mbaye d’Erneville possède un talent singulier, fait de justesse, de classicisme et d’audace. Sa poésie est l’expression de la vie, de ses déceptions, de ses joies, du souvenir qui surgit douloureusement, de la beauté des rituels, comme une ronde cosmique qui se reforme à chaque étape.
Le style est structuré par une langue imaginative et puisée dans la symbolique africaine. C’est aussi le langage de l’espoir qui prend source dans la figure de la liberté et qui tambourine que « l’Afrique est debout et va vers la lumière. »
Mais c’est aussi une poésie du combat contre l’oppression de l’homme à l’homme, ou encore de l’homme à la femme, qui fouille la mémoire pour dire des « mots de feu » pour éteindre à jamais les flammes de l’injustice et faire revivre une « aïeule guinéenne que tu ne connais pas ».
Elle traduit encore la tendresse pour les femmes qui ont acquis la liberté de « la solitude des nuits d’hiver ». Elle partage son émotion quand « l’exil [est] trop lourd au cœur gourmand de nos vingt ans ».
La poésie d’Annette Mbaye d’Erneville est rare car elle rassemble émotion et combativité, féminisme et union des cœurs, valeurs sacrées et modernité. C’est ce cheminement de rupture transcendante qui fait la puissance et la beauté du chant poétique d’Annette Mbaye d’Erneville.
« Gawlo ! … chante cet homme nouveau
Jeunes filles aux seins debout
Clamez son nom au vent.
Selbé N’Diaye, fais danser ce petit homme.
Tu es un homme, mon fils.
Tu es un homme ce soir.
Ils sont tous là :
Ceux de ta lune première
Ceux que tu nommes pères.
Regarde, regarde-les bien :
Eux seuls sont gardiens de la terre
De la terre qui a bu ton sang
Extrait de « Kassak », Kaddu, Nouvelles éditions Africaines, 1966
Annette Mbaye d’Erneville, née en 1926 à Sokone au Sénégal, est une figure exceptionnelle de longévité dans la poésie négro-africaine. Enseignante, journaliste et écrivaine, elle incarne l’engagement artistique de manière universelle, tout en déployant l’univers africain comme la source de son inspiration. Sa résidence à Dakar représente un lieu littéraire majeur pour tous les écrivains de passage dans le pays. Ses combats en faveur des femmes font d’elle une personnalité très moderne au sein de la communauté littéraire. Son verbe poétique allié à son éloquence investie de justice humaine est une combinaison remarquable qui marque l’histoire littéraire africaine comme un éclat qui continue de briller dans le flambeau de notre civilisation et de notre renaissance.
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