LA FRANCOPHONIE COMME LEVIER D’INFLUENCE POUR L’AFRIQUE
Dans un monde où incertitudes et fragmentations géopolitiques ne font que croître, asseoir une influence africaine doit être une priorité stratégique. La Francophonie politique et institutionnelle pourrait être le levier de cette influence africaine

« Les pays de l’AES se retirent de l’OIF » « L’AES tourne le dos à la Francophonie » « Le Niger abandonne le français comme langue officielle »
Tels sont les titres de journaux qui ont suivi les annonces, entre mars et avril, des États membres de l’AES, le Mali, le Burkina-Faso et le Niger. La toute dernière, l’abandon du français comme langue officielle par le Niger est d’un symbolisme affligeant ; le premier président de la République du Niger, Hamani Diori fut un des «pères fondateurs» de la Francophonie institutionnelle, avec le Président sénégalais Senghor, tunisien, Bourguiba et le Prince Norodom Sihanouk du Cambodge.
C’est également au Niger, à Niamey, que fut signé le 20 mars 1970 la convention portant création de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), une organisation de 21 États et gouvernements, autour d'une langue commune, le français afin de promouvoir les cultures de ses membres et d'intensifier la coopération culturelle et technique entre eux ». L’ACCT est devenue l'Agence intergouvernementale de la Francophonie en 1998 et en 2005 l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
La Francophonie politique et institutionnelle aujourd’hui, c’est :
93 États et gouvernements, dont 56 membres de plein droit, 5 membres associés tels que les Émirats arabes unis et le Quatar, 32 observateurs comme l’Angola, l’Argentine, la Gambie, l’Irlande, le Mexique, le Mozambique, la Pologne, la Thaïlande, l’Uruguay.
1,2 milliards d’habitants sur 5 continents et 16% de la richesse mondiale
La 5e langue dans le monde, après l’Anglais, le Mandarin, le Hindi et l’Espagnol, avec 380 millions de locuteurs estimés.
Et La 4e langue sur Internet.
Ces chiffres sont disponibles en ligne, sur le site de l’OIF également ; je les reprends pour illustrer l’absurdité d’avoir fait partie de ceux qui ont initié une telle organisation pour la lâcher. Un mouvement gigantesque, qui va au-delà de la France, à qui ces États semblent malheureusement circonscrire cet outil de coopération multilatérale. La Francophonie ce n’est pas la France et aujourd’hui, ce n’est pas seulement « cet outil merveilleux, la langue française » trouvé « Dans les décombres du colonialisme » pour reprendre Léopold Sédar Senghor, mais un outil puissant d’influence géopolitique.
Un levier d’influence qui était principalement aux mains des dirigeants africains, de par leur légitimité dans son existence d’abord mais également par le nombre de locuteurs en français et la représentativité en perpétuelle progression de leur population dans l’espace francophone. Les estimations en 2070, selon l’OIF, sont de 500 à 800 millions de francophones dans le monde dont une majorité de jeunes qui vivront en Afrique.
Dans un monde où incertitudes et fragmentations géopolitiques ne font que croître, asseoir une influence africaine doit être une priorité stratégique. La Francophonie politique et institutionnelle pourrait être le levier de cette influence africaine, mais pour cela, ne faudrait-t-il pas continuer à se l’approprier et non s’en désengager ? Ne faudrait-t-il pas la voir comme partie prenante de notre souveraineté internationale, « partagée », et non comme une menace ? Une Afrique forte dans une Francophonie forte, continuant à présider aux destinées d’une structure mondiale influente comme elle l’a toujours fait, à une exception près*, s’impliquant activement dans les actions de coopérations multilatérales éducatives, culturelles et politiques pour le bénéfice de ses membres et de leur population. Le champ politique, l’économie, les enjeux environnementaux, l’innovation technologique, le numérique, la solidarité internationale, la formation et l'insertion professionnelle des jeunes, l'égalité de genre, le développement durable, sont tous des domaines d’influence à investir pour les États africains au sein de la Francophonie.
Dans un contexte de guerre de l’information, une perspective francophone solide, avec une expertise avérée, des médias de référence ainsi qu’une langue et des contenus très présents sur Internet participent à établir l’influence de la Francophonie. De par des initiatives de luttes contre les désordres de l’information et pour la régulation mondiale des plateformes numériques, l’OIF joue également sa partition dans la cyber-géopolitique.
Quant à la Francophonie économique, en cette période de guerre tarifaire imposée par le géant hégémonique américain, elle pourrait également avoir un rôle crucial dans la restructuration qui est train de se jouer sous nos yeux. Il est important de se rappeler que la Francophonie c’est 20% du commerce mondial de marchandise, 14% des réserves de ressources énergétiques et minières, 16% du PNB brut mondial, 1,2 milliards d’habitants et 93 États et gouvernements. Une force économique, politique et culturelle dont la locomotive est le continent africain. Une réalité qu’il faut embrasser afin d’en tirer le meilleur profit.
Les clés d’une Afrique souveraine
La paix et la stabilité que peuvent garantir des institutions démocratiques fortes ainsi que des partenariats stratégiques mondiaux sont les clés d’une Afrique souveraine.
Un continent qui subit certes des transformations politiques, sociales et économiques inédites mais qui est la deuxième région du monde à la croissance économique la plus rapide après l’Asie. L’Afrique abritera également 29,9% de la population mondiale projetée en 2063 dont 30,8% en âge de travailler seront en Afrique subsaharienne. Un fort potentiel pour le continent, mais aussi d’énormes défis à relever pour assurer de meilleurs lendemains à cette jeunesse.
Une jeunesse « panafricaine » qui rêve de souveraineté, de ce qu’on entend le plus souvent. Cependant, il serait opportun de faire la distinction entre la souveraineté et un souverainisme aveugle, qui prône, le repli sur soi au détriment de son peuple. Un souverainisme prôné par des régimes qui n’ont pas été élu démocratiquement, sont autoritaires, peu enclins à la contestation civile démocratique et qui ont paradoxalement délégué la défense de leur intégrité territoriale à des troupes étrangères, de mercenaires, comme Wagner. Un autre paradoxe est que ces souverainistes ne trouvent aucun problème à se lier à un régime comme celui de la Russie qui n’hésite pas à menacer la souveraineté d’autres États. Cet élan populiste, entretenu par les rancœurs envers la France, amène peu à peu à une mise au ban des institutions internationales et à une dangereuse dépendance envers un allié de circonstance qui fait lui-même face à de grands défis.
La Souveraineté de nos États africains pourrait reposer sur des institutions fortes, un processus démocratique ainsi que sur « une souveraineté partagée », gage d’une certaine représentativité dans les affaires internationales et dans la coopération multilatérale dont nos pays sont tributaires au même titre que la plupart des moyennes puissances.
À l’Assemblée générale des Nations Unies, le bloc africain constitue le plus grand regroupement régional avec 54 votes et trois sièges non permanents au Conseil de sécurité, ce qui en fait une voix décisive. Le rôle central de l’Afrique dans l’ordre international s’est fait sentir au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, par les nombreuses abstentions africaines aux résolutions condamnant la Russie et le non-alignement de nombreux États africains. Le ballet diplomatique qui s’en est suivi pour rallier des États africains, en une succession de visites de Hautes délégations et de Chefs d’État de la Russie, de la Chine et des pays occidentaux a sonné comme une reconnaissance de l’influence africaine.
Sur le plan économique L’Union africaine (UA) avec L’Agenda 2063, se veut « le moteur de la croissance et du développement économique de l’Afrique » par une coopération et une intégration accrue des États africains ». La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), mise en place le 1er janvier 2021 à cet effet, vise à créer un marché de 1,3 milliard de personnes, basé sur la libre circulation des activités et des investissements. Ce qui représenterait un PIB de près de 2600 G$ US, l’Afrique devenant ainsi l’une des plus importantes zones de libre-échange du monde.
L’Afrique dont nous rêvons, celle que nous voulons intégrée, souveraine et prospère est donc à portée de main. Pour l’achever il serait important de faire taire les armes, de travailler à la cohésion et à la cohérence de nos États. Il serait également opportun d’user de tous les leviers d’influence qui sont à notre portée, dont la Francophonie.La Canadienne Michaëlle Jean qui a dirigée la Francophonie du 5 janvier 2015 au 3 janvier 2019.