VIDEOL'ESSAI QUI DÉBOULONNE LES IDOLES AFRICAINES
Chiffres à l'appui, Joël Té-Léssia Assoko ose l'impensable dans "Enterrer Sankara" en déconstruisant l'héritage du héros burkinabè. Tandis que l'AES et le régime sénégalais revendiquent cet héritage, le journaliste signe un plaidoyer pragmatique

(SenePlus) - Dans un essai aussi incisif qu'érudit, le journaliste économique Joël Té-Léssia Assoko s'attaque à l'héritage de Thomas Sankara et aux penseurs africains contemporains qui perpétuent, selon lui, des mythes économiques préjudiciables au développement du continent. Intitulé « Enterrer Sankara, essai sur les économies africaines », ce premier titre de la collection « Pépites jaunes » des éditions Riveneuve fait déjà polémique, rapporte Jeune Afrique.
« Ceci n'est pas un brûlot », prévient la quatrième de couverture. Pourtant, l'ancien rédacteur en chef adjoint de Jeune Afrique n'hésite pas à remettre en question l'héritage du révolutionnaire burkinabè, figure intouchable pour de nombreux Africains. Chiffres à l'appui, il déconstruit les politiques économiques mises en œuvre et les choix, parfois contradictoires, du capitaine qui n'est resté que quatre ans au pouvoir.
Selon l'auteur, Thomas Sankara représente un mythe « d'hérésies économiques », bien qu'il lui concède des idées novatrices en matière de santé et d'éducation. Ce que regrette particulièrement le journaliste franco-ivoirien, c'est que Sankara ait réussi à installer l'idée que la « révolution » soit la voie à suivre, une perspective qui mènerait à une impasse selon lui.
« Enterrer Sankara, c'est métaphorique », confie l'auteur à Jeune Afrique. « L'objectif, c'est de dépasser cet héritage. On ne peut pas résoudre les problèmes contemporains de l'Afrique avec ce référentiel des années 1980. D'autant qu'à l'époque, déjà, les politiques économiques de Sankara étaient vouées à l'échec ».
Le livre ne s'arrête pas à Sankara. Joël Té-Léssia Assoko élargit sa critique à plusieurs intellectuels africains influents comme Kako Nubukpo, Felwine Sarr, Achille Mbembe ou encore Célestin Monga. Tous sont accusés de perpétuer des idées utopistes et une tendance à « l'apitoiement sur soi ».
« Lorsque l'on met en avant de nouvelles façons de penser l'humain, de penser l'économie, c'est mentir à l'Afrique et se mentir à soi-même », écrit-il sans concession, selon Jeune Afrique. L'ouvrage s'inscrit néanmoins dans une réflexion plus large sur les modèles de développement du continent, avec une volonté affichée de pragmatisme.
La publication de cet essai intervient à un moment où la figure de Sankara connaît un regain d'influence. Comme le rappelle Jeune Afrique, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko prônent, à l'instar du capitaine burkinabè, la fin de la dépendance à l'Occident et placent le souverainisme économique au cœur de leur programme. De même, les juntes militaires au pouvoir dans plusieurs pays du Sahel revendiquent l'héritage sankariste.
Face à cette tendance, l'auteur regrette que ces régimes aient « l'émancipation politique comme seul programme » et délaissent les questions « technico-économiques » au profit d'envolées lyriques sur l'asservissement par l'aide au développement, la dette illégitime ou la prédation néocoloniale.
Pour le co-fondateur du think tank L'Afrique des idées, « la première loi de la pauvreté est l'économie ». Sa conclusion est sans appel : l'émergence du continent ne se fera qu'à condition d'une hausse significative et continue de la productivité.
À travers cet ouvrage de 151 pages, Joël Té-Léssia Assoko lance un pavé dans la mare des idées reçues sur le développement économique africain. Reste à voir comment les héritiers intellectuels de Sankara répondront à cette provocation assumée.