Kalidou Diallo : "Je suis un frustré du Pds... Karim Wade me snobe"
Kalidou Diallo confirme presque tout. Le Quotidien avait ébruité le protocole qui le lie au Président Macky Sall qui l’avait reçu en audience. Il a eu la bénédiction de Wade et compte travailler avec son successeur. Sa démission du Pds se fera avant les Locales, mais avec quelques «si». Mais il se dit un «frustré du Pds» parce que «mis à l’écart» et «snobé» par Karim Wade, ex-patron de la Génération du concret dont il théorisait l’esprit. Kalidou Diallo minimise le «mortal kombat» que lui promet Youssou Touré. Il est, selon lui, son «porte-bonheur».
Kalidou Diallo annoncé à l’Apr. Vous confirmez ?
Tout est parti de la déclaration que j’avais faite à Mbour. Pour le reste, les journalistes sont là pour analyser. J’estime qu’ils peuvent avoir des informations et les recouper et, à partir de là, dégager les tendances lourdes. Donc, le président de la République m’a reçu l’autre jeudi et c’est parce que j’ai eu à lui faire deux textes. Le premier date du 28 mars 2012, soit trois jours seulement après son élection. Ce document de 48 pages porte sur les enjeux de l’éducation en Afrique et au Sénégal en particulier, pour attirer son attention.
Pourquoi un tel document alors qu’il n’avait pas encore pris fonction ?
Oui, c’était important et j’ai remis le document à El Haj Kassé (Ndlr : conseiller du Président) et je l’ai annexé dans le document de passation de service. Il faut dire que dix mois après, il n’y a pas eu de réaction. Je lui ai encore renvoyé le document, mais en y ajoutant quelques autres considérations parce qu’entre-temps, j’ai créé l’Association d’appui au développement et à la qualité de l’éducation pour tous en Afrique (Adeqet) qui reprend toutes les initiatives que j’avais prises sous mon magistère et qui traitaient également de la question des daara modernes. (…)
Est-ce que, justement, c’est cette question des daara qui a motivé votre audience avec Macky Sall ?
J’ai écrit une correspondance au Président et, à travers son directeur de cabinet, il a dit qu’il est prêt à me recevoir ; ce qu’il a fait. Pas seulement pour la question des daara, mais sur des questions nationales, politiques et stratégiques. Macky Sall, c’est quand même une vieille connaissance, un militant du libéralisme social. Je ne fais pas le compte rendu de l’audience, mais nous sommes tombés d’accord. J’ai accepté de l’appuyer dans les domaines que je maîtrise bien et dans d’autres aussi. Je précise que lorsque ses services m’ont appelé jeudi à 15h 30-15h 35, j’ai envoyé un message au Président Wade pour lui dire : «Le président de la République Macky Sall me reçoit aujourd’hui à 15h 30.» Et j’ai été accompagné avec quelqu’un dont je préfère taire le nom. Ce n’est pas un responsable de l’Apr, mais quand même qui est dans le gouvernement. Donc, 5 minutes après, le Président Wade me rappelle lui-même et me dit : «Je te félicite pour ton courage et ta loyauté car tu aurais pu ne pas le faire. Et, par expérience, je sais que quand un chef d’Etat vous appelle pour des problèmes du pays, il ne faut pas hésiter.» Jai fait de même avec le Président Macky en lui disant que j’ai déjà informé le Président Wade et qu’en sortant d’ici je vais lui rendre compte de nouveau. Ce que j’ai fait en lui envoyant un mail pour lui dire voilà le résultat…
Et c’est quoi le résultat ?
Le résultat, c’est que j’ai décidé de l’appuyer dans sa politique, aussi bien en matière éducative que partout ailleurs. Jusqu’à l’heure où je vous parle, je n’ai demandé aucun poste et lui non plus ne m’a proposé aucun poste. Donc, nous avons défini les formes et on va les affiner.
Une sorte de conseiller officieux ?
Je ne sais pas comment vous l’appelez, mais on a décidé de définir ça. Je suis un professionnel de la politique. C’est moi qui remplissais pour mon père les cartes de l’Ups (Union progressiste sénégalaise) quand j’étais enfant. Outré par le comportement des Socialistes durant son agonie, j’ai décidé de militer dans l’opposition au Pai (Parti africain pour l’indépendance). D’ailleurs, le plus beau jour de ma vie, c’est quand le Ps, en 2000, a perdu le pouvoir. Juste pour vous dire que j’ai une vision et aux côtés de Macky Sall je la porterai. Par ailleurs, le Pds tel qu’il est configuré aujourd’hui, si on n’y prend garde, c’est le Ps qui va prendre le pouvoir.
Qu’est-ce qui vous le fait dire ?
Le Pds, en tant que force politique d’opposition, aurait pu être cette alternative. Mais force est de constater que les Libéraux sont divisés. De mon point de vue, avec la configuration actuelle de la coalition présidentielle (Ndlr : Benno bokk yaakaar) et par rapport à la position de l’Apr, si on ne rompt pas cette coalition, ça va être difficile.
Pourquoi vous n’avez pas informé le Pds au même titre que Wade ?
D’abord, j’ai un contentieux personnel avec l’actuelle direction du Pds. Lorsque j’ai perdu mon fils en juillet 2012, tout le Sénégal était là, mais aucun membre du Pds. Même le gouvernement de Macky Sall m’a envoyé une délégation en la personne de Mansour Sy. Le seul à m’avoir appelé au Pds, c’est Ousmane Ngom. Pour une personne qui se respecte, ce n’est pas tenable.
Vous leur avez dit ?
Oui, je leur ai dit. Lors des investitures aux élections législatives, on a choisi des candidats de chez moi et de partout sans m’en informer. Je n’ai pas été non plus consulté dans la cooptation des éléments de ma région qui devaient intégrer le Comité directeur. Ce que je considère comme un manque de respect notoire. Mais le contentieux fondamental, c’est que je n’ai pas supporté ma mise à l’écart. Le Président Wade a désigné un coordonnateur qui, à son tour, a coopté un certain nombre de personnes pour constituer une équipe. Mais moi, je ne suis associé à aucune réflexion. Je suis à la périphérie, juste bon pour garnir les réunions du Comité directeur devenu un harpon d’exécution. Je dis qu’une personne doit être associée à la réflexion, à l’expertise et non un faire-valoir. Je l’ai dit à deux reprises au Président Wade. Une première fois, le jour de son départ, mais aussi à Versailles, chez lui. Il a promis de rectifier mais jusqu’à présent rien.
Vous êtes un frustré ?
Oui, je suis un frustré du Pds. Je ne le cache pas. Je considère je suis sous-utilisé. De tous ceux qui sont là-bas, personne- je dis personne- d’entre eux n’a plus de capacité politique ou de réflexion que moi. Personne n’est plus «réseauté» que moi, du point de vue des acteurs sociaux.
Et vous comptez mettre vos services à la disposition de Macky Sall ...
Certes on n’a pas parlé de politique, mais il va de soi que mon souhait est que son parti devienne un grand-parti.
On peut donc considérer au jour d’aujourd’hui que Kalidou Diallo est un transhumant ?
Je récuse le terme transhumance.
Un allié de l’Apr alors ?
Non, non…
Que reste-t-il donc de votre militantisme au Pds ?
Je suis encore militant du Pds parce que je n’ai pas démissionné. On ne m’a pas parlé de carte de l’Apr. Je n’ai pas l’ambition d’être un militant de l’Apr ou de diriger quoi que ce soit, même pas une cellule dans mon village natal.
Donc vous décidez d’appuyer le Président Macky Sall dans sa vision éducative, etc.
(Il coupe) Et même politique…
Avez-vous alors gelé vos activités au Pds ?
A ce jour, je ne les ai pas gelées. Je crois aux valeurs du Pds, mais si je ne peux pas fonctionner avec ces valeurs dans le parti, je peux les porter ailleurs.
A quand alors l’officialisation de votre départ du Pds ?
Cette officialisation dépend de deux choses : d’abord de mes prises de position et de ma décision. Je vais les (les Libéraux) écouter. Ensuite, elle dépend de l’évaluation de l’étape suivante…
Autant dire que vous avez un pied dedans, un autre dehors ?
Je n’exclus pas de démissionner. Il ne faut pas l’exclure.
Sauf qu’on ne sait pas encore quand ?
Moi je sais.
Avant les Locales ?
Les Locales c’est trop loin. Je ne sais pas si vous me comprenez, mais le Président et moi sommes d’accord sur tout. C’est très clair. Je souhaite, en vrai «père de la Nation», comme Diouf et Wade l’ont été, en rencontrant tous les partis d’opposition, le Pds en tête, qu’il soit aussi au-dessus de son parti.
Est-ce que le ministère de l’Education vous intéresse ?
D’abord, je considère le ministre de l’Education actuel fait très bien son travail. En ce qui me concerne, j’ai eu une expérience de ce ministère, qui ne me permet pas d’y retourner. C’est vrai que c’est un sacerdoce, mais aussi un ministère ingrat. Je l’ai vécu dans ma chair mais en plus, pour avoir une vie de chercheur et une vie de famille normale, je ne le souhaite pas.
Même si le Président vous le propose ?
Je ne le souhaite pas.
Vous préférez être un conseiller en Education ?
Non. (Il insiste) Franchement, je n’ai pas pensé à un poste. Je suis un militant et universitaire. (…) Je suis plus utile en travaillant dans le secteur de l’Education avec cette envergure ouest-africaine et mondiale plutôt que de m’occuper de grèves permanentes.
Vous voulez travailler avec Macky Sall, mais vous n’êtes pas le bienvenu dans son parti, selon Youssou Touré…
(Il en sourit) Youssou Touré est mon porte-bonheur. Il m’attaque toujours quand je suis en position de force. Je souhaite qu’il continue de m’attaquer. (…)
Vous aviez déclaré avoir 25 000 enseignants de la Génération du concret et pourtant vous avez perdu l’élection. Qu’est-ce qui s’est passé ?
C’est vrai qu’il y avait un contexte particulier de grève des enseignants et ceux de l’Intersyndicale sont entrés dans la danse pendant la campagne. Donc, je peux même dire que les enseignants ont mis le couteau sur le dos du Pds. Au second tour, la plupart d’entre eux n’ont pas joué leur rôle parce qu’on a eu beaucoup de difficultés financières.
Pour les entretenir…
Non, pas pour les entretenir, mais pour leurs frais de transport. En plus, il n’y a pas eu de prise en charge des membres des bureaux de vote. Il faut cependant dire que la plupart d’entre eux sont restés en contact avec moi.
Que devient l’esprit Gc que vous théorisiez ?
L’esprit Gc (Génération du concret) ne peut survivre que si son fondateur, l’autre, le veut. (Sourire)
Pourquoi vous ne voulez pas le nommer ?
Non, c’est Karim. C’est lui qui portait le flambeau ; ce n’est plus le cas. On ne peut pas être plus royaliste que le roi. Depuis que Karim est rentré au Sénégal, il y a cinq mois ou plus, j’ai tout fait pour le rencontrer : bouche à oreille, sms, téléphone, e-mail… Je lui ai même proposé pendant les Législatives, par mail, de présenter une liste. Donc, depuis lors, on ne s’est pas vus. Et je viens aux manifestations pour le défendre.
Il vous snobe ?
Je peux dire, oui il me snobe. Et cela fait partie d’ailleurs des frustrations dont je parlais tout à l’heure.
Vous aviez dit, au lendemain de la défaite du Pds, que Wade a été battu parce qu’il y a eu un vote ethnique en faveur de Macky Sall. Vous le maintenez ?
C’est vrai, je le maintiens. Macky a bénéficié de plusieurs facteurs : son expérience administrative et dans le Pds pour avoir été secrétaire général national adjoint du parti. Il est né dans un milieu pulaar et il porte un nom pulaar, Sall. Il est aussi sérère de culture. Il a bénéficié de l’exode rural. A l’époque Senghor avait choisi le monde rural et il a battu Lamine Guèye, mais aujourd’hui ce sont les villes et les émigrés qui portent les campagnes.
Sauf que ce ne sont pas les sérères et les pulaar seulement qui ont élu Macky Sall…
Je suis d’accord, mais ils ont fait le maximum. (…)