L’HONNETETE DES SENEGALAIS A L’EPREUVE DE LA SURVIE
Conformite a la morale
Au bord de la plage de Yarakh, comme dans les rues du village de Hann, la vague de regrets de l’effritement du fond d’honnêteté des Sénégalais est une onde de choc. Les témoignages concordent sur la désincarnation de cette valeur. Toutefois, certains croient qu’il y aura toujours de gens qui ne transigeront pas sur bien des principes de la morale.
Au quai de pêche de Hann village, un jour de dimanche, des vendeuses, sous leur parasol, exposent plusieurs espèces de poisson sur les étals. « Venez voir, c’est un poisson frais », crie une vendeuse toute trempée par la coulée de sueur qui dégouline de son front. Tout autour, une autre use d’autres artifices. « Aujourd’hui, il n’y a pas de poissons. Le prix est abordable. Vous ne pouvez pas trouver mieux », s’adresse une vendeuse à deux clientes à la quête de bon poisson à bas prix.
Le marché grouille. Les prix diffèrent d’un étal à un autre, comme les arguments avancés pour fixer les prix. Les clients se perdent dans ce marché très animé. La recherche de profit est une loi du marché. Personne n’y peut rien. Elle met à rude épreuve certaines valeurs. « Il y a toujours de la boue, là où l’eau stagne. Je voudrais dire que certaines personnes ne seront jamais malhonnêtes. Pour rien au monde. Je suis ici depuis 5 ans. J’ai connu des personnes qui ont des comportements exemplaires. Elles respectent leurs engagements », confesse Fatou Faye qui réside à la Cité Police de Pikine.
Elle est assisse sur le rebord d’un muret du petit Hangar. Elle est loin des tumultes. Vêtue d’une robe fleurette avec une dominance de couleur jaune, Daba Diouf s’adonne au mareyage depuis un an. La conservation de certains principes est une lutte permanente.
« Il est difficile, pour beaucoup, d’être honnêtes tout le temps. La vie est devenue trop chère. Il y a des personnes qui sont prêtes à tout, y compris à dire des contrevérités pour survivre. C’est dommage. Par contre, il y a aussi ceux qui resteront honnêtes jusqu’à la fin de leur vie », nuance Daba Diouf.
LA TENTATION D’UNE VIE FACILE
Les rares pêcheurs arrivent. Des femmes bondissent de leur banc de fortune. Elles courent. Elles se bousculent. Chacune cherche à avoir les bons poissons. Depuis que la pêche est dans le creux de la vague, la méfiance structure les rapports.
« J’avais remis de l’argent à un pêcheur avant qu’il n’aille en mer. A son retour, il nie avoir reçu de l’argent. J’avais déposé une plainte. Depuis 25 ans, je n’ai déposé que deux plaintes. Depuis lors, j’ai décidé de ne plus déposer de plainte car beaucoup ne sont pas dignes devant l’argent », confesse Djibril Fall trouvé sous l’imposant hangar où étaient déposés pêle-mêle des caissons, des caisses de poissons derrière des camions frigorifiques.
Il tire tous ces revenus du mareyage depuis 1982. C’est 3 ans plus tard qu’il a acheté sa première voiture 404. Il a remporté jusqu’ici le combat contre la tentation d’une recherche injuste de bénéfice. « Mes activités m’ont permis de construire deux maisons à Yeumbeul. Je les ai vendues pour acheter une maison à Guédiawaye. Je n’ai jamais contracté un prêt dans une banque. J’essaie de vivre avec le peu que j’ai. C’est la solution si nous ne voulons pas nous exposer à des comportements réprouvés par la morale », conseille Djibril Fall.
LOGIQUE DE SURVIE
La logique économique développe sa propre morale pour reprendre la formule du sociologique. Par conséquent, le souci de réussite structure les modes de comportements. Dans le village de Hann, la répartition spatiale des concessions peut aider à conserver des comportements vantés et chantés par les griots. Mais ici, dans les coins des rues, des « villageois » ont développé aussi des réflexes de méfiance.
« La malhonnêteté ambiante incite chacun à la méfiance, parfois vous voulez aider une personne qui est dans le besoin, vous hésitez parce que vous n’êtes pas sûr qu’elle ne cherche pas à vous soutirer tout simplement de l’argent », défend une étudiante qui a requis l’anonymat.
La désincarnation des valeurs suscite de l’indignation au sein de la masse. Dans les universités, elle est analysée sous plusieurs angles. Pour le sociologue, Dr. Daouda Badji, la perte des valeurs est inhérente au fonctionnement de la société sénégalaise. « Le fonctionnement de la société sénégalaise est bel et bien à l’origine de la crise des valeurs qui pourrait faire penser au déclin des valeurs d’égalité, de justice, de solidarité », s’insurge le sociologue.
Toutes les personnes interrogées élèvent la voix pour la restauration de nos valeurs. Il suffit, pourtant, de se conformer juste à la vertu pour que l’honnêteté soit une attitude partagée.