"LA GUERRE EST LOIN D'ÊTRE FINI"
RENÉ BASSÈNE, OBSERVATEUR DE LA CRISE EN CASAMANCE

René Capain Bassène, un des observateurs du conflit en Casamance, livre dans cet entretien réalisé le jeudi 2 avril dernier à Ziguinchor, son analyse sur la gestion de la paix, trois ans après l’accession du Président Macky Sall à la Magistrature suprême du Sénégal. Pour M. Bassène, qui a déjà publié un livre sur le conflit et qui en prépare un autre, dans les jours à venir, «le conflit est encore loin d’être considéré comme fini», à la lecture des actes posés par les uns et les autres.
Vous êtes un des observateurs du conflit en Casamance, pouvez-vous nous livrer votre lecture sur l’avancée du processus de paix trois ans après l’accession du Président Macky Sall au pouvoir ?
Bien, au risque de vous décevoir et de décevoir certains lecteurs, je ne suis pas dans la même dynamique que ceux là qui cherchent à dissimuler la réalité des choses en essayant de faire croire à l’opinion, aux bailleurs et surtout aux autorités que sur le terrain, le processus de paix est sur une très bonne dynamique.
Je crois et c’est le fondement de mon engagement, qu’il est grand temps qu’on dise à l’opinion la vérité sur l’évolution du processus de paix en Casamance. Je ne supporte pas que certains acteurs impliqués dans la recherche de la paix passent leur temps à rapporter des contrevérités à l’opinion. Je ne sais pas à quelle fin, ces derniers cherchent-ils à endormir les populations, mais c’est un comportement déplorable.
Si on suit votre argumentaire, vous semblez dire que le processus de paix sous Macky Sall n’a pas encore connu d’avancée significative.
A mon humble avis et cela n’engage que ma pauvre personne, il n’existe pas encore de processus de paix en Casamance sous Macky Sall. S’il en existe, il est alors stérile.
Dans quel contexte placez-vous alors le travail que sont en train d’effectuer les Messieurs Casamance ou autres facilitateurs dans le cadre de la recherche de la paix ?
A mon niveau, je fais une nette distinction entre les activités des Messieurs Casamance et ce qui est qualifié de processus de paix comme on le voit dans les pays en conflit.
Pouvez-vous, s’il vous plaît être plus explicite en nous disant ce qui diffère entre les activités des Messieurs Casamance et un processus de paix ?
Je peux bien me tromper car je ne suis pas spécialiste dans ce domaine. Mais à mon très humble avis, un processus de paix est selon ma compréhension un ensemble d’activités bien planifiées, qui reposent sur une feuille de route bien définie, dotée d’un contenu et d’une vision bien précise, partagée entre les deux protagonistes et sur la base de laquelle sera déroulé tout un ensemble d’activités, en suivant différentes étapes jusqu’à l’objectif final, c’est à dire parvenir à une issue heureuse au conflit.
Malheureusement, aucun de tous ces éléments n’existe dans ce que sont en train de faire les Messieurs Casamance. Ils évoluent dans l’anarchie ; la concurrence et la calomnie, avec chacun sa méthode et ses activités planifiées sans au préalable, en avoir discuté avec le Mfdc.
Chacun ficèle son programme et va vers «son Mfdc» pour le convaincre à adhérer dans ce qu’il désire mettre en œuvre comme programme. Voici pourquoi, je dis qu’il n’existe pas encore un processus de paix.
En 2012 et 2013, les Messieurs Casamance ont réussi, grâce à leurs interventions, à faire libérer les soldats qu’avait détenus Salif Sadio et les démineurs pris en otage par César Atoute Badiate. Dans quel cadre, situez-vous ces succès, puisque vous soutenez qu’il n’existe pas de processus de paix depuis trois ans ?
Il faut considérer ces succès dont vous parlez, comme étant des activités ponctuelles, menées par certains acteurs face à de malheureux événements et qui ont connu une issue heureuse au grand bonheur des populations. J’insiste encore une fois sur le caractère ponctuel de ces activités.
Et d’ailleurs, lequel des Messieurs Casamance a véritablement fait libérer les soldats et les démineurs ? Je me rappelle qu’il y avait une vraie bataille entre acteurs par presse interposée à travers des déclarations et des communiqués de presse. Chacun cherchant comme toujours à faire croire à l’opinion qu’il a joué un rôle déterminant dans le processus de libération des otages cités ci-dessus.
Je veux savoir lequel d’entre le groupe de Amsatou Sow Sidibé, la Plateforme des femmes et Robert Sagna a fait libérer les démineurs, si on sait que chacun a déclaré avoir amplement contribué à ce succès. Lequel d’entre Robert Sagna et Sant’Egidio a fait libérer les soldats détenus par Salif Sadio ?
Je vous retourne la question ?
Pour ma part, je sais que pour les démineurs, l’Ong Bissau-guinéenne «Mon kou mon» a été déterminante, tout comme l’ont été les autorités gambiennes pour la libération des soldats qu’avait détenus Salif Sadio. Mais pour paraître le meilleur face à l’opinion, les Messieurs et Mesdames Casamance dont certains d’entre eux n’ont toujours pas eu l’opportunité de rencontrer le moindre combattant, se disputaient âprement ces succès.
Ce qui est important à retenir dans ces opérations de libération d’otages, c’est qu’aussi bien Salif Sadio que César, ont précisé dans leurs différentes allocutions, lors de la cérémonie de remise des otages que : c’est des «gestes humanitaires» et qu’ils «invitent l’Etat à ouvrir des négociations.»
Cela confirme encore que c’est des opérations ponctuelles qui n’ont aucun rapport avec un processus de paix.
Quelle analyse faites-vous de l’accalmie constatée en Casamance depuis l’avènement du Président Macky Sall ?
D’emblée, je tiens à préciser que l’accalmie qui prévaut sur le terrain en Casamance ne date pas de trois ans. C’est une situation antérieure à l’avènement de Macky Sall et qui est clairement constatée à partir de l’an 2000 sous le régime du Président Abdoulaye Wade et qui avec le temps, s’est positivement renforcée au grand bénéfice des populations.
N’est-elle pas le fruit des interventions des facilitateurs et autres Messieurs Casamance que vous semblez contester ?
Aucun de ces acteurs n’a obtenu du Mfdc, un accord officiel ou tacite d’une signature d’un cessez-le feu. Sinon quelles ont été les clauses ? Je précise qu’aucun facilitateur n’ose dire qu’il a approché les combattants pour leur faire une telle proposition. Concernant les origines de l’accalmie, les explications sont multiples et diverses. Chaque acteur se la réclame. Chacun soutient y avoir joué un rôle capital.
Même ceux qui n’ont jamais eu le moindre contact avec le maquis ont clamé haut et fort y avoir largement contribué à travers leurs déclarations dans les médias. Contrairement aux propos des Messieurs Casamance, du coté du maquis, les combattants vous répondent que c’est une décision prise à leur niveau de déposer les armes pour prouver leur désir invariable d’aller à la table de négociations, mais également une manière pour eux, de tester la sincérité de l’Etat sénégalais à vouloir ouvrir des pourparlers en vue d’un règlement définitif de la crise.
Mais, l’analyse que je fais de cette accalmie, puisque c’est ce que vous me demandez est la suivante : contrairement à la majorité de l’opinion, je ne me félicite pas de cette accalmie et cela peut étonner voir même choquer certains lecteurs.
Je ne suis pas un va-t-en-guerre ou quelqu’un qui voit partout des échecs, mais c’est parce cette accalmie est pour moi un couteau à double tranchant. Si on l’exploite bien, elle peut nous conduire rapidement vers cette paix tant désirée, mais si on s’y prend mal, elle peut engendrer une recrudescence des hostilités dans la pire des formes.
Elle constitue une sorte de trêve, mais surtout de période d’observation entre belligérants, car en réalité, le conflit est encore loin d’être considéré comme fini. Malgré cette accalmie tant chantée ; rien n’a bougé ou changé aussi bien du coté de l’Armée sénégalaise que de celui du Mfdc.
Les dispositifs militaires ou sécuritaires n’ont pas varié sinon qu’ils ont été renforcés par endroit pour éviter tout effet surprise du coté de l’ennemi. Chaque camp est resté militairement très concentré et vigilant et se prépare à sa façon à la contre offensive et à la guerre tout en observant tranquillement le comportement de son adversaire ou ennemi.
C’est pour dire que malgré les nombreuses déclarations des uns et des autres qui voient en cette accalmie le résultat de leurs efforts, ce calme très précaire et fragile ne repose sur absolument rien de solide et peut fondre à tout moment. C’est ce qui me préoccupe et me tournante, car au moindre incident, les hostilités peuvent reprendre.
L’autre facette trompeuse de cette accalmie, est qu’elle est en train d’endormir les populations qui, lassées de vivre les méfaits de la guerre, ont considéré cette trêve comme le début d’un retour irréversible vers la paix. En effet, avec l’accalmie, les populations ont repris beaucoup d’activités ludiques, cultuelles, culturelles, religieuses et surtout de développement qu’ils ne pouvaient pas mener dans les années 90 à 2000 voir jusqu’en 2005, pour certaines localités parmi les plus affectées par le conflit.
L’accalmie a eu pour conséquences positives, d’encourager le retour au bercail des populations refugiées ou déplacées, la réouverture de certaines écoles et autres infrastructures sociales de base, la quasi liberté de circulation des personnes et des biens, la réouverture des hôtels, le retour des partenaires au développement, la reprise de la culture du riz et autres céréales dans certaines zones.
Bref, la trêve a permis un retour pour certaines populations à une vie quasi normale. C’est pourquoi j’invite vivement les parties en conflit à s’orienter vers des négociations sincères car les Casamançais, de façon particulière, sont fatigués de cette guerre qui a atteint tous les secteurs de leur vie, réduisant ainsi tout un ensemble d’efforts consentis par plusieurs générations.
Est-ce que quelque part la division du Mfdc en plusieurs factions ne constitue pas le principal facteur bloquant ?
Je suis entièrement d’accord avec vous, qu’un Mfdc divisé pose problème et demeure une grande équation à résoudre. Je crois qu’une des missions des facilitateurs, c’est de parvenir à les unir autour de l’essentiel, dès lors que tous sont favorables aux négociations.
Mais hélas, depuis l’avènement du Président Macky Sall, on assiste à un nouveau phénomène : celui de la division «en factions ennemies» des Messieurs Casamance, alors qu’ils étaient supposés aider au retour de la paix. C’est décevant que ces acteurs qui devraient aider le Mfdc à s’unir, se soient inscrits dans une logique de partage du maquis, en renforçant les divisions entre les différents chefs de factions combattantes.
Pouvez-vous être un peu plus explicite à ce propos ?
Bien, il n’y a que trois groupes, qui ont réellement accès au maquis. Mais avec chacun ses combattants et avec chacun l’impossibilité totale de parler et d’accéder aux autres factions. Chacun négocie sa paix à lui avec son maquis. Sant’Egidio n’a accès et ne négocie uniquement qu’avec Salif Sadio. Ahmed Abass Saed et son groupe dénommé «Dialogue humanitaire» ne travaillent exclusivement qu’avec les factions de Compass Diatta et Lamarana. Robert Sagna lui et son groupe n’évoluent que seulement avec le camp de César Atoute Badiate.
En tant qu’observateur, y a t-il des résultats positifs de leurs démarches en faveur du retour de la paix en Casamance ?
En termes de résultats ou d’impacts de leurs activités sur le retour de la paix, je ne vois et cela n’engage encore une fois que ma pauvre et modeste personne, aucun progrès probant.
Sant’Egidio est depuis bientôt trois ans, en train de négocier avec Salif Sadio, sans obtenir de grand succès. Aucun accord de signé sinon qu’en mai 2014, il y a eu un violent affrontement entre les éléments de Salif Sadio et l’Armée sénégalaise, quinze jours exactement après l’annonce fortement médiatisée du cessez-le-feu unilatéral de Salif Sadio. Jusqu’au moment où je suis en train de vous répondre, il n’y a pas de nouvelles avancées dans leurs démarches.
Robert Sagna ; avec son groupe n’ont pas pu obtenir de César, la levée du blocus sur la poursuite des opérations de déminage humanitaire et celui sur la construction des pistes de production le long de la Rn6. Ils ne sont pour le moment dans aucune dynamique de négociation, de quoi que ce soit.
Ahmed Abass Saed, à défaut de pouvoir travailler avec César Atoute, s’est rabattu sur Compass et Lamarana avec qui, il organise à Sao Domingo une succession de séminaires de formation des combattants en techniques de négociation, qui n’ont absolument aucun impact sur le retour de la paix, si on sait que les textes du Mfdc stipulent que c’est aux politiques que revient la tâche de négocier avec l’Etat du Sénégal.
Tous les observateurs ont snobé les factions politiques pour ne se focaliser que sur les combattants pour obtenir plus de visibilité. Chacun voulant montrer ou prouver qu’il a des entrées et sorties dans le maquis.
N’y a-t-il pas d’autres acteurs qui sont en train eux aussi, d’apporter leur pierre à la construction de la paix ?
Outre les groupes de Amsatou Sow Sidibé, la Plateforme des femmes pour la paix, on a le Mouvement M3 K (Kougnils koutikas kouyoqués en Diola) autrement en français : les enfants des combattants sont fatigués, il y a également le Mouvement pour la paix en Casamance, le Mouvement des forces vives de la Casamance, lancé par Pierre Atépa Goudiaby, mais qui peine à s’affirmer sur le terrain en Casamance, certaines Ong comme Usoforal et certains membres de la société civile etc....
Ils ont en commun l’impossibilité pour le moment, de pouvoir accéder au maquis, malgré de multiples tentatives de demandes d’audience. Ils se limitent à des activités essentiellement basées sur le plaidoyer. Ils organisent des marches, des cérémonies de prières, des fora et autres séminaires et se servent des médias pour obtenir une large diffusion de leurs activités auprès de l’opinion nationale et internationale.
Du côté du Mfdc, ces groupes sont mal appréciés et rejetés, car victimes de la rude concurrence entre acteurs. Ces petits groupes d’acteurs s’activent sans grand succès, avec des activités qui n’ont aucun impact réel sur le processus de paix. Car ils n’ont pas un réel accès auprès des principaux groupes en conflit.
Que pensez-vous de l’implication des facilitateurs internationaux ? Sont-ils plus crédibles que les acteurs nationaux sur la question de la recherche de la paix ?
C’est sans doute dans le souci de trouver des acteurs plus efficaces dans la recherche de la paix que les autorités ont accepté de gré ou malgré elles d’élargir ou d’allonger la liste des «démarcheurs de la paix» en ouvrant la porte à de nouveaux démarcheurs de paix provenant cette fois de l’Europe avec Sant’Egidio, des Etats Unis avec le Conseiller spécial pour la Casamance, du Canada dont l’ambassadeur avait annoncé qu’il était prêt à s’investir dans le cadre de la recherche de la paix et même des îles Comores avec Ahmed Abass Saed.
Mais, les facilitateurs internationaux les plus en vue sur le terrain sont le groupe Dialogue humanitaire dirigé par Ahmed Abass Saed et la Communauté Sant’Egidio. Ces deux bien que pourvus de gros moyens financiers et se réclamant d’une certaine expérience dans la résolution des conflits à travers le monde et particulièrement en Afrique noire, ces acteurs étrangers qui étaient absents en Libye, au Libéria, au Soudan, au Mali en Cote d’ivoire , au Burkina Faso, en Centrafrique et présentement au Yémen et en Syrie sont exactement dans la même dynamique que les démarcheurs locaux.
Tout comme eux, ils sont nombreux, avec différentes méthodes et approches, différents messages pour une même cible et pour un même but. On attend de voir le fruit de leurs interventions sur le terrain.
Mais je crains fort que le manque de synergie et d’harmonie dans leurs stratégies les amène au même résultat que celui de nos spécialistes locaux en démarche de paix qui ont l’avantage de mieux connaître le terrain. Je crains que ce soit encore de gros investissements sans résultats probants. C’est dire qu’entre les facilitateurs locaux et ceux internationaux, c’est pour moi du blanc bonnet-bonnet blanc.