LA NOUVELLE ALTERNATIVE AUX CHEVEUX NATURELS
MODE FOULARD

En forme de nœud ou tressés sous forme de mèche plantée au milieu de la tête, les foulards font rage dans Dakar. Les jeunes filles se l'arrachent et en font des modèles les uns plus savants que les autres. Souci de décence ou simple mode ? EnQuête vous plonge dans l'univers tendance des foulards.
C'est à la mode. Le foulard s'empare de Dakar. Impossible d'arpenter les rues de la capitale sénégalaise sans apercevoir ce tissu aux couleurs multiples noué sur la tête d'une jeune fille. Mode, conviction spirituelle ou simple tendance ?
Une immersion dans l'univers des jeunes filles a permis d'en savoir plus. Il est 16 h au quartier Gueule-Tapée. Quelques élèves du lycée mixte Maurice de Lafosse, se tiennent devant le portail. A cette heure, le lycée commence à se vider. Des élèves s'empressent de rejoindre leurs domiciles.
D'autres forment des groupes pour discuter. Maty Diaw dit suivre la nouvelle tendance. La jeune fille porte un foulard noir, en plus de son uniforme. "Cela ne fait pas longtemps que j'ai commencé à mettre le foulard. Je peux dire que c'est après le Maouloud, J'ai vu que c'est joli et les jeunes filles ont différentes manières de le faire, ça me plaît, car je l'ai toujours voulu".
La jeune lycéenne trouve "tendance" et "fashion" cette nouvelle manière de porter le foulard, en mettant en exergue les boucles d'oreille. "Peut-être qu'avec le temps, on pourra faire comme les voilées, en se cachant les oreilles. Mais pour le moment, on s'en limite à ça".
Maty est convaincue que cela fait partie de la nouvelle mode. Maïmouna ne dit pas autre chose. Trouvée dans son bureau, elle est habillée de manière descente, avec l'inévitable foulard agrémenté d'un nœud serré au front. La jeune commerciale admet avoir été inspirée par une amie.
"Souvent, je l'accompagnais en ville acheter des foulards. Une fois j'ai essayé et c'est parti. C'était à la fin du mois de décembre et depuis, je n'ai de cesse d'utiliser des foulards". Par contre, la jeune Diarra, rencontrée à Sandaga, dit avoir copié sur Lissa de la série "Un Café Avec".
De taille moyenne, avec un visage rond, elle est mordue de foulards. "Je suis élève. Ce que nous faisons, c'est à la mode. Lorsque, je l'ai vu avec Lissa à la télé, je l'ai essayé et c'est comme ça que je suis devenue une habituée".
Par contre, d'autres le portent par moments. C'est le cas de cette fille rencontrée à quelques encablures du même marché :
"Il m'arrive de mettre le foulard quand j'enlève mes tresses. Je mets juste le foulard, dans l'attente de me coiffer à nouveau". Taille fine, élancée, sa copine confirme qu'elle n'est pas "Ibadou", mais a tendance à mettre le foulard. Elle pense même que c'est une mode qui va avec les recommandations de la religion. "J'évite les mèches et greffages, c'est pourquoi, je me suis tournée vers ce nouveau look", dit-elle.
"Les "Ibadous" (voilées) s'y mêlent"
Au quartier Fann, sur l'avenue Cheikh Anta Diop, une demoiselle en foulard rouge, jean serré, le teint clair, donne ses raisons. Toute souriante, elle affirme ne pas suivre la mode. "Je peux dire que je suis une fille voilée. J'ai adopté ce comportement pendant le ramadan. Nous avions un maître coranique qui nous disait ce qu'on devait faire en tant que musulmane. Depuis, je me suis lancée sur cette voie".
Elle poursuit : "je ne suis pas la mode. Je le fais par conviction. Je vois que pratiquement toutes les jeunes filles mettent des foulards. Peut-être que c'est nous qui les avons poussées à suivre cette tendance, je ne sais pas ; mais je trouve que c'est très joli et il y a de nouvelles créations. Mais ça doit être une conviction."
Malgré ses affirmations, on a du mal à la prendre pour une "Ibadou". Car, cette jeune fille porte un jean qui met en évidence ses rondeurs, accompagné d'un haut décolleté, avec de longues boucles d'oreilles.
Ailleurs, sur l'allée qui mène à la cité universitaire Alioune Sitoé Diatta, ex-Claudel, il est 15 h passées de quelques minutes. Le va-et-vient des étudiantes est incessant. Awa Ndiaye, rencontrée au sein de la cité, dit attendre pour le voile. Pour le moment, elle préfère mettre le foulard pour s'adapter progressivement. Elle apprécie par ailleurs la nouvelle tendance. "J'ai commencé à mettre le foulard depuis le secondaire. Maintenant que je suis devenue étudiante, je le fais toujours, parce que la religion le recommande."
Les hommes rejettent ce nouveau look
S'il fait un tabac auprès de la gent féminine, le port du foulard ne soulève pas les foules, du côté de l'autre sexe. Les hommes y voient un certain anachronisme. C'est le cas d'El hadji Fallou Fall. L'étudiant a du mal à comprendre.
"Les jeunes filles portent le foulard, en même temps que des habits sexy. Elles le font pour suivre la mode. Moi, je veux que cela soit par conviction. Si elles portaient le foulard et des habits décents, il y aurait plus de cohérence." Mohamed Ndiaye semble aussi perdu sur les motivations des filles. "Si une fille veut donner fausse impression, en se voilant, elle doit savoir qu'elle se trompe. Mieux vaut l'enlever. Mais, si c'est fait par croyance, c'est bien à mon avis", dit-il.
D'ailleurs, cet autre jeune homme préfère les demoiselles avec les cheveux en l'air. "Les foulards ne marchent pas. Quand elles laissent leurs cheveux briller, ça me plaît beaucoup". Un autre jeune homme se montre véhément.
"Les filles manquent de décence. Certaines le font uniquement par tendance. Si elles doivent se voiler, elles savent comment s'y prendre. Mais, mettre son foulard et laisser voir ses autres parties ou bien voiler une partie de la tête, ça ne colle pas, elles veulent se faire belles, mais elles ne se voilent pas."
Ce monsieur trouvé sur l'avenue Lamine Guèye, sagement assis sur un tabouret, cure-dent à la main, a un tout autre avis : "C'est parce que les cheveux naturels coûtent cher qu'elles tentent de mettre le foulard, car elles ont l'habitude de porter des habits sexy et de faire la sainte", fustige-t-il.
La belle affaire, mais pas pour longtemps
Au marché Sandaga, les vendeurs de foulards se frottent les mains. Le produit se vend tellement bien que des menuisiers se sont transformés en vendeurs de foulards en cette période, pour mieux gagner leur vie. 17 h passées, le rond-point Sandaga refuse du monde. Ce ne sont pas les vendeurs de foulards qui manquent.
D'ailleurs, les jeunes filles s'y intéressent et n'hésitent pas à s'arrêter pour marchander. Ramatoulaye Ba, en foulard, discute les prix devant un groupe de commerçants. Cet artisan qui a aussi rangé rabot et scie, remercie le Bon Dieu, car il dit y trouver son compte. Mais, il soutient que le marché devient de plus en plus saturé.
"Les affaires marchent bien. On arrive à vendre 20 foulards par jour. Mais maintenant, beaucoup s'y mettent, même les "Ibadou" se sont lancées dans la vente. Elles achètent et revendent. En général, nous trouvons le tissu au marché Colobane et on le coupe par pièce. Cela fait presque deux mois que je suis devenu commerçant. J'ai laissé le métier de menuisier pour m'aventurer dans le commerce."
Son voisin Saliou avoue se frotter les mains et achète toujours en gros ses tissus. Moussa, de teint noir, taille moyenne, ajoute qu'il fait de meilleures affaires à la fin du mois, même si le commerce reste fructueux le reste du mois. Lui aussi a été menuisier dans un passé récent.
Le succès du foulard tient aussi au fait qu'il est plus abordable que les greffages et autres articles féminins. Foulard sur la tête, laissant voir ses boucles d'oreille, pantalon noir, Ramatoulaye marchande un foulard de couleur marron.
"J'achète les foulards parce que j'aime les porter. Je n'ai pas le temps de me faire tresser avec les cheveux naturels et autres. Les foulards coûtent moins cher que les cheveux naturels. C'est plus simple et plus joli. A chaque fois, je passe et si je vois une couleur jolie, je l'achète. On se l'approprie à 500 F CFA ou 1 000 F et nous préférons ceux en coton", explique jeune fille.
Selon elle, le fait de laisser voir les boucles d'oreille n'est pas grave. "Ce n'est pas obligatoire de se voiler de la tête au pied, l'essentiel c'est de mettre le voile."
OUZTAZ ALIOUNE SALL
"C'est la tenue de l'islam"
Cette nouvelle tendance interpelle aussi les religieux. Ouztaz Alioune Sall souligne que l'islam privilégie le port du foulard. "Chaque musulmane, dit-il, doit adopter ce comportement, c'est-à-dire, porter le foulard, pour qu'au moins l'on sache qu'elle fait partie de la religion musulmane. C'est la tenue de l'islam. C'est assez explicité sur les sourates du Coran. C'est ce que je peux dire de manière générale".
Ouztaz Alioune Sall ajoute que c'est le minimum de sacrifice qu'une croyante doit faire. Toutefois, le constat général est que les jeunes s'habillent sexy tout en portant le foulard. Le religieux y voit une méconnaissance. "Les jeunes filles s'adonnent à cette pratique sans formation", déclare-t-il. Selon lui, l'enseignement qui suit le port du foulard fait défaut. C'est pourquoi il considère que "c'est tout de même mieux que rien".
Ouztaz Sall ne s'en arrête pas là, il les invite à suivre la formation qui leur indiquera le chemin à suivre, c'est-à-dire savoir comment s'y prendre. "L'habillement d'une musulmane doit être toujours décent et ample. Le Tout-Puissant a dit que l'islam est l'avenir de toujours."
Il encourage les jeunes filles qui se sont lancées dans cette aventure à apprendre le Coran, afin de savoir le comportement à adopter. "De mon point de vue, les jeunes, de manière générale, font des recherches, découvrent de plus en plus leur religion. Ils voient effectivement que ce sont des recommandations, c'est pour cela qu'ils prennent l'engagement de changer de comportement dans le bon sens", dit Oustaz Alioune Sall.
Qui est d'avis que la multiplication des conférences, des traductions, la prolifération des technologies de l'information font que les jeunes s'informent davantage. Pour lui donc, la sensibilisation doit être renforcée. Il reconnaît toutefois que c'est un pas en avant, tout en admettant qu'elles n'ont pas encore tout acquis. "Comme elles viennent de s'initier à ce nouveau comportement, c'est trop tôt pour dire qu'elles doivent connaître tout ce qui est dit sur l'islam. Mais on peut espérer qu'elles vont s'améliorer."
Il conseille aux jeunes filles de faire l'effort de demander conseil à un religieux (imam). Ouztaz Sall lance un appel aux religieux pour une meilleure sensibilisation des jeunes.