LES ÉTUDIANTS ET ENSEIGNANTS PAS CONVAINCUS
RÉVÉLATIONS DU PROCUREUR SUR LA MORT DE BASSIROU FAYE
Le procureur de la République n’a pas encore convaincu la communauté universitaire de l’UCAD. Le SAES et les responsables des étudiants attendent de l’Etat un meurtrier bien identifié ainsi que des commanditaires et non un suspect ayant infiltré la police.
Le procureur de la République a voulu certainement rassurer l’opinion en donnant, avant-hier, les premiers éléments disponibles de l’enquête sur la mort de l’étudiant Bassirou Faye (photo). Il devra cependant trouver des arguments beaucoup plus solides pour convaincre le monde universitaire. Serigne Bassirou Guèye a fait savoir qu’un suspect est arrêté et placé en détention, sans plus de détails sur son identité. Cependant, ni le Syndicat autonome des enseignants du supérieur (SAES) ni les responsables des étudiants ne se sont montrés enthousiastes par rapport à cette révélation. Au contraire, ils considèrent que le procureur n’a pas apporté de réponse à leur vraie question : qui a tué Bassirou Faye ?
Elimane Ba est étudiant à la FASEG. Il fait partie de ceux qui avaient rencontré le Président Macky Sall. "On ne nous a pas encore montré de meurtrier. Or, tout ce que nous voulons, c’est qu’on nous dise que c’est celui-là qui a tué notre camarade. Qu’il soit bien identifié. Toute autre démarche ne nous intéresse pas", prévient-il. Il dit comprendre toutefois que le procureur use de techniques de communication. Mais malgré tout, ils resteront vigilants. Son camarade de la Faculté des Lettres, membre du collectif, ne dit pas autre chose. Tidiane Cissé dit Kabakourou reconnait qu’il y a une avancée. Mais, il attend plus de l’enquête. "L’affaire n’est pas encore tirée au clair. On attend toujours, il y a beaucoup d’ambigüités et de zones d’ombre". Les zones d’ombre, d’après M. Cissé, sont relatives à l’identité du présumé tueur, à son grade, ses motivations...
Le SAES se montre plus perplexe. D’ailleurs que l’identité du suspect soit dévoilé ou caché n’intéresse pas le syndicat. Il a des inquiétudes, des réserves et des interrogations qui sont restées sans réponses. Dans son face à face avec la presse, le procureur a indiqué que le suspect est un policier qui n’était pas mobilisé, ce jour-là. Le syndicat, par la voix du chargé des revendications du campus de Dakar, Ibrahima Dally Diouf, trouve ce fait plus que troublant. "Si la police ne peut pas canaliser ses éléments et qu’ils viennent tirer, c’est extrêmement grave. Cela n’honore pas la police. Cela veut dire que les éléments ne savent pas avec qui ils sont, qui doit être sur le terrain", s’indigne-t-il. Une position qui tranche nettement d’avec celle du procureur qui estime qu’il n’y a pas eu négligence. Ce dernier pense que tout a été fait et que "si quelqu’un décide de s’infiltrer, on n’y peut rien".
Dans tous les cas, les acteurs à l’université ont les mêmes exigences. La satisfaction ne sera de mise que le jour où le vrai tueur sera saisi et sanctionné pour son geste. Le syndicat va même plus loin. "On ne sera satisfait que quand on aura un meurtrier, un ou des commanditaire(s) et que des têtes tombent", avertit M. Diouf.
MOUHAMED EL HABIB TALL, ONCLE DE TOMBONG WALLI
"Ils sont en train de sacrifier un gosse pour des raisons d’Etat"
Après le procureur de la République, c’est au tour de l’oncle du suspect de lui apporter la réplique. Mouhamed El Habib Tall dit Omar s’est dit "surpris" et "peiné" de l’attitude du procureur. "Il parle d’infiltration, ça nous a écœuré. Ils sont en train de sacrifier un gosse pour des raisons d’Etat", s’indigne-t-il. A l’en croire, il n’y a guère eu d’infiltration. D’après lui, Tombong et ses camarades revenaient le jour des faits d’un baptême de fin de promotion. Avant cela, ils étaient positionnés depuis des mois à l’UCAD. Revenus donc au campus pour prendre leurs bagages, leur formateur qui était sur place leur a demandé de venir leur prêter main-forte. C’est ainsi qu’un véhicule et des éléments ont été mis à leur disposition. "Il était en service commandé", affirme l’oncle.
En outre, il soutient que les enquêteurs ont voulu coûte que coûte faire de son neveu le bouc émissaire. "Le hasard a fait que j’étais interné à l’hôpital Principal. Je sortais juste du bloc opératoire. Le chargé de l’enquête a voulu faire dire à l’agent Diandy (un blessé de la police, selon lui) que c’est Tombong le tireur. Il l’a pressé, mais il a fait preuve de courage. Il a refusé. C’est quand l’enquêteur est parti que j’ai dit à l’agent Diandy que celui dont ils venaient de parler est mon neveu. Ils (l’enquêteur et Diandy) ne le savait pas", explique-t-il, outré par le terme infiltration.
IBRAHIMA SOMBEL FAYE, FRÈRE DE BASSIROU FAYE
"Sette Diagne a identifié une autre personne"
Autre réaction, celle d’Ibrahima Sombel Faye, frère du défunt étudiant et porte-parole de la famille. "La personne désignée par le procureur n’est pas le meurtrier de notre frère. Nous doutons à présent de cette enquête. Sette Diagne (ami et camarade de chambre de Bassirou Faye, témoin du meurtre) a identifié une autre personne différente de Tombong Walli et aujourd’hui, il n’est pas en sécurité", a-t-il déclaré sur les ondes de la Rfm.
Sette Diagne joint par EnQuête n’a pas souhaité se prononcer.
ME SIDIKI KABA, GARDE DES SCEAUX
"Le dossier sera confié à un juge"
Dans cette affaire, l’Etat du Sénégal entend apparemment mener une vaste campagne d’information sur les étapes de l’enquête devant conduire à l’arrestation du tueur de Bassirou Faye. De ce fait, le ministre de la Justice a emboité le pas au procureur de la République, en fournissant hier des détails sur les circonstances de la mort de l’étudiant. Sur le plateau du journal télévisé de 20 h sur la RTS, il a confirmé la thèse de l’infiltration avancée par le procureur. Me Sidiki Kaba a indiqué que le policier n’était pas de faction, ce jour-là. "Le dossier sera confié à un juge qui fera des investigations. L’enquête révélera s’il s’agit d’un meurtre commandité. Il dira pourquoi est-il venu. Pourquoi a-t-il voulu régler des problèmes avec les étudiants", a-t-il promis.
Par ailleurs, Me Kaba a insisté sur la rupture enclenchée par le nouveau régime, en soulignant que depuis l’indépendance jusqu’à nos jours, jamais un meurtre n’a été élucidé au Sénégal. "Il y a toujours eu des assassinats sans assassins, des cadavres sans coupables". Il promet que cette dernière affaire ne fera pas partie de la longue liste macabre des assassinats sans suite.