VIDEO"NOS ARTISTES N'OSENT PAS PRENDRE DES RISQUES"
LE XALAM
Plein de joie de vivre, l'esprit vif et "jeune", actif, le Xalam 2 n'est âgé que dans l'esprit des gens. Ces musiciens restent jeunes et pleins de vie. Henry Guillabert, Ibrahima Koundoul dit Brams et Baye Babou le talentueux bassiste du groupe ont accordé une interview à EnQuête dans le studio de Guillabert aux Almadies. Une occasion pour retracer certaines grandes lignes de l'épopée Xalam 2 et de parler de leur dernière production.
L'actualité de Xalam, c'est votre dernier album, pouvez-vous nous le présenter brièvement ?
Henry Guillabert : On rêvait de réaliser cet album depuis plus de 15 ans. On voulait surtout le faire au Sénégal. De toute notre carrière, c'est le deuxième album que nous faisons ici. Le premier, c'était aux débuts des années 1970. Nous avons fait cet album pour prouver qu'on a gardé cet esprit, ce son. On est des rescapés du Xalam. On était huit. Certains sont morts, d'autres ont arrêté. Il fallait qu'on fasse un album qui soit dans l'esprit de ce qu'on a toujours voulu montrer. Cet esprit de reprendre des chansons traditionnelles et de retravailler les textes et les sonorités.
Cet album est composé musicalement pour le public nostalgique de Xalam ou pour la jeune génération ?
Baye Babou : C'est surtout pour la jeune génération que nous avons fait cet album-là. Il y a un titre "tagouti" qui rassemble tous les grands rappeurs, ceux qui sont au top. Nous nous sommes ouverts à ces jeunes-là. Il y a des jeunes qui ont toujours entendu le Xalam sans avoir jamais vu les membres du Xalam. On s'est ouvert à eux pour les attirer dans ce que nous faisons. C'est une ouverture pour cette génération.
H.B : On avait un véritable dilemme. Il fallait satisfaire les gens qui sont des inconditionnels de Xalam. Parce que le plus grand fan club de Xalam est constitué par des gens du deuxième et troisième âge. On a commencé très tôt. Ces gens sont les gardiens du son de Xalam. Ils ne tolèrent même pas qu'on dévie un peu. On a voulu satisfaire cette génération et celle de nos enfants aussi qui écoutaient nos chansons. Alors comme le dit Baye, il fallait trouver un compromis. L'idée, c'était de recomposer des morceaux dans l'esprit de Xalam et d'inviter des générations. On a fait un morceau dans lequel le refrain est un peu notre hymne. On a invité des rappeurs dans cette chanson comme Awadi, Dug E Tee, Simon, Xuman et Bakhaw. Ils se sont approprié le morceau comme s'ils étaient des musiciens de Xalam. Ils ont grandi avec notre musique. Du coup, on a trouvé un bon équilibre. Depuis que l'album est sorti, on a un feed back génial.
Ibrahima Koundoul : Il y a 10 ou 15 ans, on avait un truc qui s'appelait "Dooley mboolo". On avait invité des groupes traditionnels. Donc, c'est la continuité avec ce featuring avec les rappeurs dans ce que nous faisons. C'est nous qui étions allés voir ces gens-là à l'époque de "Dooley mbolo". La Xalam a toujours fait ça.
"Dooley mbolo" était un laboratoire musical. Qu'en reste-t-il aujourd'hui ?
H.G : Le Xalam a vécu. Mais quand on est revenu, on a retrouvé notre place. Cela veut dire qu'il n'y a pas eu une sorte de révolution qui a pu nous reléguer dans les maisons de retraite. Il y a eu un progrès musical, c'est vrai. Mais il n'a pas été significatif dans la mesure où on devait tant soit peu nous effacer, même s'il y a toujours des nostalgiques. Si aujourd'hui on arrive encore à remplir les salles et avoir des dates, c'est parce qu'il y a certains qui nous suivent encore. Il y a des musiciens, je ne parle même pas de groupes, mais des musiciens qui ont grandi dans cet esprit Xalam. Et ce sont les virtuoses qu'on voit actuellement. Ils ont grandi sous la houlette de Xalam. Des groupes, il n'y en a presque pas. C'est pourquoi, on existe. Il y a eu un vide qui n'a pas été comblé. C'est dommage. L'esprit de "Dooley Mboolo", c'était de pouvoir réunir différents artistes autour des projets. Les Américains le réussissent bien en faisant travailler des artistes de diverses générations autour d'un seul et même projet.
B.B : Je crois qu'ils n'ont pas cette culture. Il y a plutôt un esprit de concurrence entre les artistes.
H.G : Il faut voir quelle musique on fait ici. On a pris des risques dans la mesure où on faisait ce que tout le monde aimait ici. Et après de la variété à côté. On joue notre musique. Peu importe qu'elle soit du jazz ou autre chose. Aujourd'hui, cette musique existe. Il faut oser. Mais nos artistes n'osent pas prendre des risques. Ils devraient essayer d'élaborer leur musique afin qu'elle soit plus audible et puisse être écoutée partout.
Donc pour vous, la jeune génération devrait avoir plus de courage pour innover ?
H.G : Je dirais plus d'audace. Il faut savoir serrer la ceinture. Nous, quand on a décidé de faire cette musique-là, on a eu faim. Et ce ne sont pas des blagues.
Quel a été votre plus grand calvaire en ces temps-là ?
H.G: C'est quand on a joué à un concert après deux ans de travail sur notre nouvelle musique. On était très enthousiaste à l'idée de la faire découvrir au public. On a commencé à jouer un morceau, deux et les gens ont commencé à partir. Imaginez dans une salle où il y avait pas moins de mille places, il n'y a plus que 30 ou 40 personnes. C'est un calvaire.
B.B : Cela nous a affectés. On en était malade.
I.K : C'était vers la fin de 1976. Ndiaga Mbaye avait joué en première partie. Et quand on a commencé, les gens se demandaient : mais qu'est-ce que c'est que ça. Ils sont partis.
Cela ne vous a-t-il pas découragé ?
Non, on est un groupe. L'esprit de groupe nous a sauvés. On est sorti de ce concert complètement désemparés et stressés. On s'est dit qu'un jour, on sera compris mais que ce ne sera pas ici. La chance qu'on a eue, c'est quelque temps après. Un très grand musicien, You Masekela, est passé par là par hasard alors qu'il était en tournée et nous a entendus. Il a été séduit par ce que nous faisions. C'est ce monsieur-là qui nous a sorti du “guerté thiaff” pour nous amener au “poulet rôti”. Il a parlé de nous à tous les grands musiciens qu'il rencontrait. Ce qui fait que quand nous sommes partis en Europe en 1980, tous les grands artistes savaient qu'il y avait un groupe sénégalais qui avait imaginé une musique de synthèse qui allait bombarder le monde.
Donc c'est cette incompréhension du public qui explique votre longue absence de la scène musicale sénégalaise en ces temps-là ?
H.G : On a été piégé. Parce que je crois si c'était à recommencer, on ne resterait pas aussi longtemps en Europe. Le problème, c'est que quand vous arrivez et que vous êtes adulé, les managers vous prennent. On devait faire trois mois au départ. Au bout des trois mois, on s'est retrouvé avec des cartes de séjour. On n'a pas arrêté de tourner pendant très longtemps. On a enchaîné des dates. Donc, on n'a pas eu le temps de réfléchir sur ce qu'on devait faire. Quand on est revenu en 1984, on a fait une tournée. Et c'est là qu'on devait rester. C'était le moment idéal. On est reparti parce qu'on avait des dates déjà calées. On était venu jouer au Sénégal, mais c'était des concerts de prestige. On était arrivé à un stade où payer le Xalam, c'étaient des sommes importantes. On a fait des concerts un peu partout mais il n'y avait pas de cachets.
Peut-on dire que c'est l'innovation dans votre musique qui vous a valu une invitation au festival de Woodstock ?
H.G : Ohh ! Woodstock!
B.B : Oui ! Woodstock !
I.K : Ohh ! Woodstock !
Il y a quoi de particulier qui explique toutes ces exclamations et cet air nostalgique ?
H.G : Woodstock, c'est un lieu mythique. Nous, quand on voyait le film Woodstock, on se disait : c'est le lieu où il faut aller. Toutes les grandes stars ont explosé là-bas. Quand on partait aux USA, à l'aéroport quand les gens voyaient nos badges avec Woodstock écrit dessus, ils étaient éblouis. C'est un festival de rock mais on nous a invités quand même. C'est vrai que notre musique est très rythmée mais ce n'est pas du rock. Les gens voyaient en notre musique un soupçon de rock, de jazz, etc. Mais toujours avec une base africaine. C'est cela qui nous réconfortait.
Comment définissez-vous votre musique ?
I.K : On dirait que c'est une musique africaine. On y met beaucoup de sauce.
H.G : Papa Wemba a dit dans un article qu'il n'y a pas un grand musicien qui n'a pas un album de Xalam. On n'est pas prophète chez nous. On est presque prophète seulement.
C'est quoi le génie de Xalam ?
H.G : On est audacieux. On aime prendre des risques. Mais des risques calculés. On a toujours eu comme référence les artistes qui ont réussi. On se demandait si on pouvait être au niveau de ces artistes. Et le jour où on a rencontré nos points de mire, on a été surpris. Eux, il nous regardait jouer et nous disaient à la fin qu'on jouait dix mille fois mieux qu'eux. Cela nous motivait. Si on pouvait faire que ce style soit un standard ici, on serait heureux.
B.B : Il faut aussi dire qu'on a été à bonne école. On s'essayait à des standards de jazz très compliqués. On arrivait à les faire en une journée. Chacun faisait sa partie correctement. C'est une bonne école. Cela nous a permis de faire des clubs de jazz. Ce que personne n'a fait ici.
Le Xalam, c'est aussi l'engagement. Vous avez participé à la caravane Gerico pour la libération de Féla Kuti
H.G : (il coupe) Hiii vous ! Vous avez un bon cerveau (rires). J'avais complètement oublié Gerico. Mais, avant même qu'on parte, certaines de nos chansons étaient censurées ici au Sénégal. C'est vrai aussi que hormis cette marche pour Féla, il y avait aussi celle de Mandela. On a même fait Emmaüs pour l'Abbé Pierre. On était le seul groupe à oser titrer notre album “apartheid” en Europe en ces temps-là. C'est pour cela que notre album n'a jamais eu de gros échos. Chaque fois qu'on faisait un concert, il y avait un monsieur qui venait avec sa colombe quand on jouait ce morceau. C'est en ces temps qu'on a permis à Johny Clegg (ndlr alias le Zoulou Blanc) de jouer en première partie de Xalam. Il n'avait pas de scène. C'était au cercle d'hiver.
On dit que l'âme du Xalam, c'était Prosper Niang ; que retenez-vous de lui aujourd'hui ?
B.B : Prosper était un combattant, un rassembleur. Il était toujours devant. Il avait une curiosité insatiable. Il essayait toujours de rassembler d'autres musiciens autour de nous. Il aimait ce qu'il faisait.
H.G : Pros était le fouineur. Nous, on était là mais lui, il sortait et allait vers les gens. Quand il savait qu'il y a un musicien qui est là, il faisait tout pour le trouver et l'amener vers nous. Il était notre porte-parole parce que c'est lui qui allait vers le public. Il était dans les médias et tout. Il cherchait toujours de nouveaux contacts pour nous. Des fois même, on le grondait pour ça en lui disant : Pros, tu sors trop, viens travailler. Pour lui, on faisait des choses merveilleuses qui méritaient d'être partagées. Pros a ruiné sa santé pour ça. Il ne dormait pas à cause de ca. Le public ne voyait que Pros. C'est pour cela qu'on dit qu'il est l'âme du Xalam. Mais Xalam, c'est plusieurs cœurs.
Vous l'avez dit tout à l'heure, vous êtes les rescapés de Xalam. Qu'est-ce qui explique les départs successifs de Ansoumana, Georges Dieng ou encore Yoro Guèye ?
H.G : On ne peut pas expliquer cela en fait. Des fois, c'est lourd de rester en communauté. A un certain moment, on n'a même pas de vie de famille. Yoro, à un certain moment, a eu envie de vivre sa vie en solo. Il s'est marié et cela tombait bien. Il voulait être indépendant et tester sa valeur hors Xalam. Tant qu'on est ensemble on est puissant. Mais des fois, on a envie de se tester soi-même. C'est comme ça dans tous les groupes. Si vous regardez bien, chacun d'entre eux a tenté, après avoir quitté Xalam, de faire un album. Je les condamne un peu parce que je me dis que l'un n'empêche pas l'autre. Je pense que dans leur for intérieur, ils doivent regretter ça.
B.B : Comme dit Henry, on ne peut expliquer ces départs. C'est la vie. Il n'y a pas d'animosité entre nous. S'ils souhaitent jouer avec nous, ils peuvent le faire. D'ailleurs, on leur a adressé des notes de remerciements. Leurs noms sont inscrits sur la pochette de l'album.
Revenons à l'histoire de Xalam, pourquoi l'album Xarit sorti en 1989 n'a pas eu de tournée promotionnelle ?
H.G : Parce que les bandes originales ont brûlé. L'album n'est même pas sorti en France. Tous les morceaux sortis sont des copies. Après cet incident, Pros est décédé. On avait la guigne. Après, Souleymane Faye a dit qu'il rentrait. Alors la vérité est que cet album n'est jamais sorti. Ce qui est sorti ici, ce sont des copies de copies piratées. On ne peut même pas le retravailler. C'est terrible.
I.K : On devait normalement signé avec BMG avec cet album. On les avait rencontrés au cours d'une tournée aux USA. Mais tout est parti en fumée. Il ne restait que deux ou trois titres qu'on ne pouvait pas exploiter. On avait tout pour réussir cet album. Il y avait un gros boulot derrière. On avait osé des choses.
Les allers et retours de Souleymane Faye ne vous handicapent pas ?
H.G : Cela ne nous handicape pas. Parce que très tôt, après Xarit, on a réellement compris certaines choses. Souleymane Faye est un fan de Xalam. Le problème est que Diego nous a montré d'autres visages au fur et à mesure de notre compagnonnage. Souleymane Faye, on l'a accueilli parce que Prosper avait un coup de cœur pour lui. Il l'a vu et l'a fait rapidement venir à Paris. Pros a débarqué avec lui et on l'a testé le même jour. Il connaissait Xalam et a du génie. Il s'est intégré facilement. On l'a mis à l'aise. On a conçu des chansons pour lui. Souleymane Faye, c'était comme un diamant brut comme ça. Nous, on l'a taillé. Ça, on peut le dire. On a du métier et on l'a mis en valeur. Il a adopté divers comportements. C'est après Xarit qu'on a vraiment compris. Maintenant, quand on a besoin de lui, on le paie et il vient jouer. On est en de bons termes avec lui. Mais il n'est pas un musicien du Xalam. Il a eu une période avec Xalam. Il faut que les gens comprennent ça. Il joue ses morceaux qui sont devenus des morceaux cultes. Il en a cinq.
Quelles sont vos perspectives ?
I.K : On a prévu de faire une soirée à Sorano. On veut faire une tournée sénégalaise. On a pour l'instant ciblé quatre régions que sont Dakar, Kaolack, Saint-Louis, Thiès et éventuellement Tamba.
Pourquoi pas le Grand-théâtre ?
I.K : On sent plus Sorano. A Sorano, il y a l'acoustique. C'est une salle de spectacles. Et Sorano est historique. On y a fait de bons concerts. Alors que là-bas, c'est un théâtre, ne l'oubliez pas, construit par des Chinois. C'est une salle de théâtre, donc il y a une sorte de réverbérations. On doit y faire de la symphonie, du ballet et du théâtre.