PAR-DELÀ L'AFFAIRE KARIM
Macky Sall doit cesser d’être ce "monarque républicain" que les constituants de la Vème République française ont créé et dont nous avons hérité en Afrique francophone dans toute son incongruité

Les gens qui ont l'oreille du Président, ses conseillers, notamment ceux en charge de sa communication, ses amis ainsi que ses visiteurs du soir, devraient lui faire voir la signification du retournement de l'opinion publique- au moins en partie- en faveur de Karim Wade à la suite de son incarcération !
Alors que le fils du Président Abdoulaye Wade symbolisait la patrimonialisation des biens publics par le régime de son père, qu'il avait fini par cristalliser autour de son nom toute la rancœur des Sénégalais au point de provoquer les émeutes du 23 juin 2012, ne vient-il pas d'être adoubé par une partie de la population, plébiscité candidat unique du Parti démocratique sénégalais à la prochaine élection présidentielle ?
Alors même qu'il est poursuivi pour enrichissement illicite, crime dont tous les Sénégalais conviennent de la nocivité et demandent l'éradication !
Ce retournement de l'opinion dû plus, qu'aux erreurs de la procédure judiciaire, à des méthodes bien connues : corruption de certaines élites et de certains médias, manipulation de valeurs féodales encore prégnantes dans la société, menaces d'atteintes à la paix sociale.
Mais c'est surtout la méthode et les modalités de la communication du régime du Président Macky Sall avec les Sénégalais qui est en cause.
Il est maintenant démontré qu'il n'est plus possible de diriger ce pays en continuant à parler avec son peuple à longueur d'années à coups de discours de campagne électorale, ponctués de comptes rendus soporifiques et édulcorés des "médias d'État", d'analyses rarement professionnelles et objectives des médias privés, en confiant la fabrication de son image à des "médias internationaux" !
Ce qui est en cause ici, ce n'est pas la "communication gouvernementale", c'est-à-dire des techniques et outils pour faire passer des mots d'ordre et des slogans et pour construire une "image" et, in fine, fabriquer et manipuler une opinion.
Pour communiquer véritablement avec le peuple, il s'agit d'abord de mettre en place un système de médias en rapport avec notre système politique démocratique.
De permettre que les "médias d'État" fonctionnent véritablement comme des "médias publics", c'est-à-dire en toute indépendance des pouvoirs exécutifs et judiciaires ainsi que des pouvoirs d'argent et d'influence.
De s'assurer que les médias privés soient tenus au respect de leurs engagements vis-à-vis du public par le respect strict des règles d'éthique et de déontologie qui les régissent.
Mais il s'agit aussi et surtout que le président de la République établisse un nouveau rapport sur le registre de la communication, avec les Sénégalais.
Le président de la République doit cesser d'être ce "monarque républicain" que les constituants de la Vème République française ont crée et dont nous avons hérité en Afrique francophone dans toute son incongruité.
Le président de la République doit désormais parler directement et régulièrement aux Sénégalais.
Il doit ajouter à ses devoirs et obligations celui d'informer l'opinion publique et notamment "l'opinion publique populaire", celle des plus pauvres et des plus déshérités et pas seulement celle des élites.
En rapport avec le procès fait à Karim Wade, il doit expliquer aux Sénégalais que les autorités administratives et politiques doivent être à leur service et doivent rendre compte de leur gestion, notamment en ce qui concerne les ressources financières dont ils ont été responsables.
Le président de la République doit s'assigner de faire connaître et de partager les valeurs de la République par le peuple qui est généralement motivé par les traditions et coutumes féodales.
Il lui faut expliquer inlassablement que la République est celle de citoyens égaux entre eux, hommes et femmes, par-delà les castes et égaux en droits et en devoirs.
Il s'agit de faire comprendre que notre République est laïque ou pour lever toute équivoque, qu'elle est "séculaire". Qu'elle ne fait pas fi de l'Islam et des autres religions, mais qu'elle constitue une institution spécifique et séparée.
C'est une véritable campagne d'information et de discussion sur ces sujets entre le président de la République lui-même et le peuple qui pourrait amener aux changements de comportements indispensables pour établir les bases de l'émergence projetée par le Plan Sénégal émergent.
Le futur que ce plan ambitieux propose ne peut se réaliser en effet sans la participation consciente et active du peuple débarrassé de ses manières de penser habituelles, de coutumes et même de pans entiers de sa culture traditionnelle.
Le Président Macky Sall a la chance de parler couramment le wolof et le pulaar, deux langues qui sont parlées et comprises par au moins 80% de la population sénégalaise.
Pourquoi ne discute-t-il pas directement avec les Sénégalais du PSE en termes simples, dans ces langues ?
Qu'il explique en wolof et en pulaar le concept et les implications de l'émergence !
Qu'il explique que le futur qu'il leur propose est possible si et seulement s'ils y croient eux-mêmes et consentent les changements de comportements et les réformes structurelles indispensables !
Qu'il appelle les Sénégalais au travail dans la discipline et au respect de la Loi et de l'Ordre tout en les assurant de son engagement à faire respecter les lois et règlements qui s'imposent de la même manière à tous les citoyens de ce pays.
La radio qui est le média par lequel la grande majorité des Sénégalais s'informent et qui plus que tout autre établit une grande proximité, une intimité même avec les auditeurs, serait tout à fait approprié pour un tel exercice.
Pour mobiliser le peuple américain autour de son programme de redressement économique et social (New Deal) face la grave Dépression qui avait ruiné son pays, le 32eme Président des États-Unis d'Amérique, Franklin D. Roosevelt, instituait dès son élection en 1933 des émissions radiophoniques hebdomadaires.
Le succès du New Deal est indissolublement lié à ces émissions radiophoniques. L'émission hebdomadaire du Président américain est même devenue une institution : le Président Obama y a encore recours.
Le Président de la République du Sénégal devrait utiliser aussi la télévision en appoint pour amener ses propos dans les grand-places, les arbres à palabre et dans l'intimité des maisons.
Il lui faut également utiliser l'Internet qui est maintenant accessible à plus de 2 millions d'usagers, en grande partie jeunes, pour récréer un "pinch" à l'échelle de tout le pays et incluant même la Diaspora.
Dites-le donc au président de la République : Monsieur le Président, parlez directement et régulièrement aux Sénégalais ! C'est la condition indispensable pour établir un leadership à même de conduire le Sénégal à l'émergence !