POISSON D’AVRIL, MODE D’EMPLOI
Tant mieux si la presse veut bien plaisanter avec son public, mais qu’elle le fasse bien, mieux que certains gags d’une mièvrerie et d’une inconvenance effarantes
Le 1er avril (comme chaque année à cette date), une bonne partie de la presse (à travers le monde entier) a sacrifié à la désopilante tradition de servir à ses publics du poisson d’avril, c’est-à-dire une fausse information à objectif de plaisanterie. En fait, le poisson d’avril est ce que, dans le jargon des journalistes, on appelle un marronnier, c’est-à-dire un fait d’actualité, pas important dans certains cas, très important dans d’autres, qui revient à intervalle régulier, mais dont les lecteurs, auditeurs, téléspectateurs ne comprendraient pas qu’il ne soit pas traité en tant qu’actualité par la presse.
Beaucoup s’y laissent prendre selon l’ingéniosité des journalistes à concevoir ce canular qui doit dégager de la vraisemblance pour prendre des crédules à ce jeu. Il pourrait aussi receler plein d’humour, pas de cet humour forcé qui fait plutôt rire jaune ou qui ne fait pas rire du tout…
Mais plutôt de cet humour dont le polémiste et pamphlétaire français Jean Edern Hallier disait être «le tranchant de l’intelligence». C’est dire qu’il faut avoir de l’intelligence à revendre pour être un humoriste pertinent.
Mais, dans les colonnes de nombre de journaux sénégalais qui consacrent la page 2 de leurs éditions à des informations brèves et au style que leurs rédacteurs veulent truculentes, la pénurie d’humour ou l’inspiration pour ce style est compensée par des exagérations, des expressions toutes faites, récurrentes, inadaptées. Pour dire le moins. Rien de comparable avec cet inspiré poisson d’avril paru dans Wal fadjri ou Sud Hebdo (ancêtre de Sud Quotidien) de 1991 ou 1992 et «annonçant» la distribution gratuite de poulets aux abords du stade Iba Mar Diop ! Beaucoup de gourmands furent vus rôdant aux alentours- et pas juste pour vérifier, mais pour bénéficier de la manne et de l’aubaine.
Oui, le 1er avril 2015, nous avons entendu sur les radios, lu sur l’internet et les journaux de ces poissons d’avril trop grossiers pour faire rire. Cas, par exemple, de ce «Wade s’est suicidé» ! Ne pouvait-on pas trouver mieux que cette plaisanterie de mauvais goût et qui, en dernière analyse, n’en est pas du tout une.
Dans le poisson d’avril, on n’est pas loin de la diffusion de fausse nouvelle, un délit puni par le code pénal. Sauf qu’on plaiderait bien la bonne foi si le procureur s’autosaisissait de la faute ou qu’une victime décidait de l’attaquer en justice.
Le public semble être de moins en moins naïf, se met sur le qui-vive à chaque 1er avril et détecte avec sagacité les plaisanteries inscrites dans une certaine une tradition- à moins qu’il ne faille parler de convention sociale- née en France, en 1564. Le public n’est donc plus dupe et des internautes ont senti le canular du 1er avril dans l’annonce de l’annulation du combat Balla Gaye II-Eumeu Sène prévu pour le 5 avril, «Macky Sall (qui) fait libérer 'en catimini’ Karim Wade»- ce dernier étant incarcéré suite à une condamnation, le 23 mars dernier, à six ans de prison par la Cour de répression de l’enrichissement illicite.
Il y a surtout que la tradition du poisson d’avril s’essouffle. Quand une radio en fait, elle se voit obligée de révéler ce gag dans la journée même ; alors qu’un journal écrit ne le fait que vingt-quatre heures après, c’est-à-dire à son édition du lendemain- si évidemment la parution n’intervient pas un week-end. Les journaux périodiques, les mensuels notamment, en sont, pour ainsi dire exclus de cette «dégustation» du poisson d’avril. Le défunt Télé-Mag, le magazine mensuel des programmes de la Rts (Dieu que ce journal fut de bonne facture et digeste et riche !) l’expérimenta à ses dépens en servant un poisson d’avril qu’il ne put révéler qu’un mois après, au lieu du jour même du 1er avril !
Tant mieux si la presse veut bien plaisanter avec son public, mais qu’elle le fasse bien, mieux que certains gags d’une mièvrerie et d’une inconvenance effarantes.