Quand la dramaturgie se meurt, faute de… dramaturges
Le Sénégal a toujours regorgé de dramaturges de talent. Seulement voilà, aujourd’hui que la création théâtrale peine à se renouveler, il urge de susciter ou d’encourager des vocations. Surtout pour animer le joyau que constitue le Grand Théâtre en passe de devenir le palais des spectacles de Dakar.
Des productions livresques parues ces cinq dernières années au niveau national, on ne compte presque aucune dans le registre du théâtre. Nos écrivains s’investissent plutôt dans le domaine des essais, romans, nouvelles et rarement dans la poésie. L’écriture théâtrale leur parait un domaine impossible à explorer.
Conséquence : après en avoir regorgé, notre pays manque cruellement de dramaturges. Mais le plus inquiétant, c’est qu’aucune action n’est initiée pour encourager ou susciter des vocations dans ce domaine. Et pourtant, les grandes productions de Sorano portent pour la plupart la signature de dramaturges sénégalais de renom comme feus Thierno Ba, Amadou Cissé Dia, Abdou Anta Ka et l’alerte et toujours debout Cheikh Aliou Ndao.
Des dramaturges qui ont pu, grâce à la porosité de leur plume, susciter des vocations. C’est ainsi que des écrivains plus jeunes comme Alioune Badara Bèye et Ibrahima Sall sont venus entretenir le jardin déjà bien défriché par leurs aînés. Le quatrième art sénégalais a été ainsi marqué par l’émergence d’une production dramatique de qualité écrite par des auteurs dont les œuvres ont été interprétées, pour la majeure partie, par la Compagnie du Théâtre national Daniel Sorano.
Lequel a eu l’opportunité de mettre en scène les œuvres des dramaturges Thierno Ba et Amadou Cissé Dia qui ont revisité la vie du grand opposant au colonialisme, le héros national, Lat Dior. Leurs cadets n’ont fait que suivre leurs traces avec des textes presque tous axés sur l’histoire de la résistance à la colonisation. On peut ainsi retenir les œuvres de Cheikh Aliou Ndao « L’exil d’Alboury » ou « Le fils de l’Almamy » et tant d’autres créations. Quant à Abdou Anta Ka, il privilégia une autre forme de théâtre avec des créations comme « La fille des eaux », « Gouverneurs de la rosée » etc.
Birago Diop nous laissa son savoureux « L’os de Mor Lam » qui demeure, malgré l’usure du temps, une œuvre d’une brulante actualité et reste la création la plus jouée de Sorano. Il y a eu aussi les créations de Ousmane Goudiam, ancien Procureur Général près de la Cour Suprême, avec « Le procès du pilon ». Quant à feu Mamadou Diop Traoré, il s’était essayé à la satire politique à travers « La patrie ou la mort ». Alioune Badara Bèye suivit la même mouvance que celle de celui qu’il considère comme un maître, Amadou Cissé Dia. Sur le registre historique, il a écrit des œuvres de belle facture comme « Le Sacre du Ceddo » et « Nder en flammes ». Parmi les grands dramaturges que notre pays a connus, il y a aussi Bilal Fall, Marouba Fall ou Ibrahima Sall avec « Le choix de Madior ». Et puis, plus rien !
Cependant, avec la naissance de troupes privées à la fin des années quatre vingt-dix, on a pu assister à l’émergence d’une écriture libérée des pesanteurs historiques grâce à laquelle des œuvres comme « Grand Dakar Usine », une pièce co-écrite par l’écrivain Boubacar Boris Diop et le dramaturge Oumar Ndao, et « Feu rouge » ont pu voir le jour. Les comédiens des troupes « 7 Kouss » et « Gueule Tapée », formés au Conservatoire Douta Seck qui avait rouvert ses portes et encadrés par un coopérant belge, ces comédiens, donc, s’inspirèrent de notre quotidien ou de quelques adaptations d’œuvres belges pour donner de belles représentations.
Aujourd’hui, de jeunes comédiens comme Macodou Mbengue et Ibrahima Mbaye Sopé s’essaient à l’écriture théâtrale ou en adaptant des créations d’auteurs africains ou occidentaux. Malgré leur bonne volonté, cependant, leurs productions restent en-deçà des attentes du grand public. En fait, le moins que l’on puisse dire est qu’il se pose un véritable problème de renouvellement de l’écriture dramatique nationale qui peine à percer avec des œuvres actuelles et majeures.
Résultat : Sorano sert toujours du réchauffé à travers ses grands succès d’hier joués par de jeunes comédiens qui n’étaient pas nés ou étaient en culottes courtes lorsque ces œuvres étaient créées. Et à l’heure où le majestueux Grand Théâtre est devenu la propriété des musiciens, les dramaturges ont là une grande occasion de se remettre à l’ouvrage. La direction du Grand Théâtre peut aussi, à travers ses différentes actions managériales, susciter ou encourager des vocations.
Beaucoup de projets en chantier !