LE PREFET DE DAKAR A FAIT UNE MAUVAISE APPLICATION DES DISPOSITIONS DU CODE ELECTORAL
Enseignant-chercheur en Droit public à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, Yaya NIANG décortique la portée de la décision du préfet de Dakar de révoquer Barthélémy Toye Dias de son mandat de maire de Dakar sur la base de l’article 277 du Code élect
Enseignant-chercheur en Droit public à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, Yaya NIANG décortique la portée de la décision du préfet de Dakar de révoquer Barthélémy Toye Dias de son mandat de maire de Dakar sur la base de l’article 277 du Code électoral. Dans cet entretien accordé à Sud quotidien, l’Enseignant-chercheur en Droit public conforte la ligne de défense du maire Barthélémy Dias en estimant que le Préfet de Dakar a fait une mauvaise application des dispositions du Code électoral.
Quel éclairage juridique pourriez-vous apporter à la décision de constat de la démission de Barthélémy DIAS de son statut de conseiller municipal du préfet de Dakar ?
A titre de rappel, la démocratie représentative trouve son siège principal dans le mandat électif, cette habilitation populaire à exercer le pouvoir pendant une durée limitée dans le temps. Ce mandat aussi important, s’il est définitivement acquis, ne peut être remis en cause que dans des cas exceptionnels, limitativement énumérés par la loi. Il en est ainsi, entre autres, des cas de démission du statut de conseiller municipal prévus à l’article 277 du Code électoral. La révocation d’un mandat électif acquis au suffrage universel traduit toujours une défiance de la volonté populaire. Pour cette raison, l’autorité investie d’un pouvoir de mettre fin à un mandat électif doit s’assurer que sa décision soit légalement fondée et que la procédure suivie soit purgée de tout vice qui serait de nature à entacher la régularité de la décision. Or, concernant spécifiquement la décision de constat de démission prise par le Préfet de Dakar, j’émets des réserves sur sa légalité. Par une décision n°3925 du 11 décembre 2024, le Préfet du Département de Dakar notifie à monsieur Barthélémy Toye DIAS sa démission de son statut de conseiller municipal de la ville de Dakar, pour cause d’inéligibilité. Il apparait ainsi que le Préfet, une autorité administrative, a invoqué, au soutien de sa décision, une inéligibilité de M. DIAS. Pour nous convaincre de l’inéligibilité évoquée, le Préfet a visé les articles 29 et 30 du Code électoral et la décision du 16 février 2017 du Tribunal de grande instance hors classe de Dakar, confirmée par arrêt n°535 du 21 septembre 2022 de la Cour d’appel de Dakar et dont le pourvoi a été rejeté par la Cour suprême par arrêt n° 76 du 22 décembre 2023 ». Du point de vue méthodologique, il fallait donc rechercher l’inéligibilité évoquée par le Préfet aussi bien dans les articles précités que dans la décision condamnant définitivement le maire de la Ville de Dakar.
Avez-vous trouvé cette inéligibilité invoquée ?
Je ne l’ai pas trouvée dans la décision de condamnation encore moins dans les articles 29 et 30 visés. D’abord sur la décision de condamnation, le dispositif est formulé comme suit : « le tribunal de grande instance hors classe de Dakar a déclaré M. Barthélémy DIAS coupable de détention d’arme sans autorisation administrative, de coups et blessures volontaires et coups mortels, l’a condamné à une peine d’emprisonnement de deux ans dont 6 mois ferme et alloue, à Monsieur Alioune DIOP, partie civile, une somme de 25 millions, au titre de dommages et intérêts ». Il apparait ainsi que sa condamnation n’est pas assortie de sanctions complémentaires privant M. DIAS, de manière expresse, de son droit d’être éligible comme le prévoit le Code pénal en son article 34. Autrement dit, cette condamnation n’entraîne pas automatiquement l’inéligibilité dès lors qu’elle n’est pas assortie d’une sanction complémentaire privant le condamné, de manière expresse, de ses droits civils et politiques. L’on dit qu’elle ne donne pas lieu à une inéligibilité systématique pouvant servir de support suffisant pour justifier la décision de constatation de démission prise par le Préfet. Il faut donc poursuivre la recherche pour voir si elle peut être découverte dans les articles 29 et 30 du Code électoral, à titre incident. Il est curieux de constater que le Préfet ait voulu mobiliser les articles 29 et 30 du Code électoral. Les articles précités peuvent interdire l’inscription sur les listes électorales, mais ne font nullement référence à une inéligibilité automatique.
Vous voulez donc dire que le préfet n’était habilité à prendre cette décision ?
La seule conséquence que l’Administration pourrait tirer de la condamnation du maire de la Ville de Dakar est sa radiation sur les listes électorales. Sur ce point également, il appartient à l’administration électorale d’y pourvoir, et non le Préfet, au moment de la période de révision des listes électorales. La radiation ne conduit pas systématiquement à une inéligibilité d’office à partir du moment où l’intéressé qui reçoit notification de radiation doit être mis dans les conditions d’exercer ses voies de recours devant le Tribunal d’instance en premier et dernier ressort et pourvoir, le cas échéant, devant la Cour suprême (article L.40 et L.41 du Code électoral). A titre illustratif, l’annulation de la mesure de radiation de M. Ousmane Sonko par le Tribunal d’instance de Ziguinchor (l’ord. n°01/2023 du juge d’instance de Ziguinchor) et confirmée par le Tribunal d’instance de Dakar (ord. du Tribunal d’instance de Dakar du 14 décembre 2023) nous illustre qu’une possible radiation prévue aux articles 29 et 30 du Code électoral ne conduit pas inéluctablement à l’inéligibilité. Celle-ci ne se présume pas. Il appartient au juge de statuer sur l’inéligibilité d’un citoyen. Une autorité administrative est dessaisie de la question d’inéligibilité. Elle ne peut pas s’arroger le pouvoir de déclarer inéligible M. Barthelemy DIAS. Il faut rappeler qu’on n’avait pas manqué de dénoncer vigoureusement la Direction générale des Elections lorsqu’elle avait refusé de délivrer des fiches de parrainages à M. SONKO, motif pris de ce qu’il était inéligible du fait de sa radiation. Des voix s’étaient élevées pour rappeler à la DGE qu’elle ne peut pas se substituer au juge constitutionnel, seul habilité à statuer sur l’éligibilité des candidats aux élections nationales. C’est de la même manière, qu’on va rappeler au Préfet son incompétence à conclure une inéligibilité de M. DIAS sur une la base aussi précaire à travers une démarche déductive tirée de la lecture combinée des articles 29 et 30. Ceux-ci ne peuvent conduire, dans l’immédiat, au moment opportun, qu’à une radiation à l’initiative de l’Administration électorale. En procédant comme il l’a fait, le Préfet de Dakar s’est substitué non seulement à l’Administration électorale, mais également au juge de la Cour d’appel. L’éligibilité échappe à l’autorité administrative et se pose toujours devant le juge compétent sauf, les cas où elle est expressément posée aux articles 272 et suivants du Code électoral.
Pourtant c’est ce même article 272 du Code électoral que le préfet a convoqué pour motiver sa décision ?
En réalité, de notre point de vue, le Préfet a fait une mauvaise application des dispositions du Code électoral. A titre de rappel, l’article 277 qui prévoit la démission de statut de conseiller municipal se trouve dans un chapitre du Code électoral intitulé « des conditions d’éligibilité, d’inéligibilité et d’incompatibilité ». Ce chapitre, en ses articles 272, 273, 274, liste de manière limitative des cas d’inéligibilité. L’article 277, qui ferme ce chapitre, indique qu’un conseiller municipal peut être considéré démissionnaire lorsqu’il se retrouve dans un cas d’inéligibilité prévu par la loi. Sans aucun doute, il fallait chercher si M. DIAS se retrouve dans un des cas d’inéligibilité mentionnés dans les articles précédents et qui sont limitativement énumérés. M. DIAS ne se retrouvant dans aucun de ces cas, M. le Préfet a tenté de chercher ailleurs une hypothétique inéligibilité en visant les articles 29 et 30. Or, ceux-ci, comme je l’ai déjà rappelé, ne conduisent pas à une inéligibilité automatique. L’inéligibilité est un domaine réservé du juge électoral pour la simple raison que c’est le même juge qui, après examen, avait conclu à l’éligibilité du candidat dont l’inéligibilité pourrait survenir après l’acquisition du mandat.
Le recours devant la Cour d’appel est-il suspensif ?
La réponse se trouve dans l’article 277 qui a été mis en œuvre. L’article 277 dispose que « Tout conseiller municipal qui pour une cause quelconque se trouve dans l’un ces cas d’inéligibilité ou d’incompatibilité prévus par la loi peut être, à toute époque, déclaré démissionnaire par le représentant de l’Etat sauf recours devant la Cour d’appel dans les dix jours de la notification ». L’analyse de cette disposition révèle que la décision de constat de démission du statut de conseiller municipal cesse de produire ses effets dès l’introduction du recours. Autrement dit, l’intéressé ne peut être considéré comme démissionnaire que lorsqu’il n’introduise pas son recours dans un délais de dix jours, à compter de la notification de la décision. Tout porte à croire que M. DIAS a introduit un recours devant la Cour d’appel. Par conséquent, il ne peut plus être considéré comme démissionnaire jusqu’à ce que la Cour d’appel en décide autrement. Et même dans ce cas, rien n’exclut qu’il se pourvoit en cassation dans l’hypothèse où il ne serait pas satisfait. C’est pour dire que l’on doit s’abstenir de certaines actions prématurées.
Que répondez-vous dans ce cas à ceux qui disent que le recours n’est pas suspensif ?
C’est une confusion. Ils confondent le recours pour excès de pouvoir avec le recours de l’éligibilité devant la Cour d’appel qui nous concerne dans ce cas d’espèce. Le recours pour excès de pouvoir qui n’est pas suspensif est introduit devant la chambre administrative de la Cour suprême. Ce recours n’empêche pas l’exécution d’une décision administrative. Nous ne sommes pas dans ce cas de figure. Le recours devant la Cour d’appel prévu à l’article 277 du Code électoral est un prolongement du contentieux électoral local. Ce recours rentre dans le champ d’application du contentieux de l’éligibilité dont le régime est totalement différent du recours pour excès de pouvoir. Le recours introduit devant la Cour d’appel est plus que suspensif. L’analyse de l’article 277 révèle que le conseiller municipal n’est considéré effectivement démissionnaire que lorsqu’il n’introduit pas son recours dans un délais de dix jours, à compter de la notification de la décision de constat de démission. A partir du moment où l’intéressé a introduit son recours devant la Cour d’appel, il reste maire jusqu’à que le juge en décide autrement.