QUAND LES JEUNES CÉLÉBRITÉS SURFENT SUR LA VAGUE DE LA POLYGAMIE
Luc Nicolas, Cheikh Yérim Seck, Yakham Mbaye, Bougane Gaye Dany, Alioune Mbaye Nder, Mame Gor Diazaka, Aziz Ndiaye, Malal Tall alias fou malade, ont en commun d'être célèbres et d'avoir convolé en secondes noces. Ils ont pris goût à la polygamie... pour “leurs” raisons. Respect des préceptes islamiques ou considérations bassement égoïstes : chacun y va de son analyse. EnQuête donne la parole à différents acteurs.
“Aucune femme ne peut satisfaire pleinement un homme.” Cette phrase prêtée au producteur et chanteur de renommée internationale Akon avait fait le buzz sur le net. L'artiste l'avait prononcé au cours d'une interview accordée à Tmz. Il se glorifiait alors de son statut de polygame qu'il a osé assumer aux États-Unis. Au pays de l'oncle Sam, cette pratique religieuse n'a pas droit de cité.
La star planétaire qui disait se conformer aux préceptes islamiques estimait que “si l’Amérique adoptait la culture de la polygamie, il y aurait moins de disputes domestiques. La plupart des hommes dans le monde, disait-il, ont une femme officielle et une maîtresse. Et ensuite ils ont encore une autre femme à côté”. On prête au rappeur américain d'origine sénégalaise au moins deux épouses.
Vrai ou faux, la polygamie est en vogue sous nos cieux. Une belle histoire d'amour est née entre les Sénégalais et la polygamie. Ils sont de jeunes journalistes, chanteurs, artistes, intellectuels, politiciens, cadres à avoir mordu à l'hameçon. Interpellés sur leurs motivations, certains éclatent de rire. “C'est personnel”, déclarent-ils. Par contre, d'autres assument leur choix et s'en expliquent. Ils ont choisi cette option matrimoniale, en vue de savourer un “cadeau du ciel.”
Mais ce n’est pas sans conséquences. “On me traite comme un pestiféré depuis que j'ai pris une seconde épouse. Les femmes de mes amis me fuient comme la peste. Du coup, je me retrouve seul dans mon coin...avec mes deux épouses...”, lâche avec ironie une grande célébrité.
Aziz Ndiaye, polygame à 28 ans
Parmi les célèbres polygames, le jeune promoteur de lutte Aziz Ndiaye. A 35 ans, il assume avec fierté son statut. C'est à l'âge de 28 ans qu'il a eu le courage de se faire pendre une deuxième fois. “C'est un droit que me confère ma religion, mais j'ai toujours été franc avec ma première. Jamais, je ne lui ai fait croire que je ne prendrai pas une deuxième épouse. Elle s'y attendait. Tout comme je n'ai pas certifié à la seconde que je ne prendrai pas une troisième épouse”, glisse-t-il.
Le jeune promoteur de lutteur se dit “polygame de nature”. Mais il s'empresse d'ajouter : “J'essaie de respecter les conditions établies par la religion musulmane qui exige que nos épouses soient mises dans de très bonnes conditions. J'essaie de subvenir à leurs besoins, de remplir mon devoir d'époux. Elles vivent chacune dans sa maison et cette situation est à leur avantage.” Toutefois, il tient à souligner que la polygamie n'est pas une obligation chez le musulman.
“Entretenir une femme nécessite des moyens, il faut être honnête dans la vie, mais également être en mesure de s'organiser. Car avec deux épouses, il faut prendre conscience qu'on gère maintenant une vie à 3. Un homme qui ne peut être équitable et subvenir aux besoins d'une seule épouse n'a pas droit à la polygamie, c'est contraire au bon sens et aux préceptes de l'islam”, soutient-il.
Mame Gor Djazaka : “La polygamie ne doit pas se faire à tout va”
Le chanteur Mame Gor Djazaka est aussi un homme à deux femmes. Mais il tient à préciser : “Je n'ai pas attendu d'être riche ou célèbre pour convoler en seconde noce. Mon épouse était psychologiquement préparée à avoir une coépouse. Je lui avais exprimé mon intention tout au début de notre mariage”. Ainsi, ce n'est qu'après 16 années de vie commune avec sa première épouse qu'il a franchi le Rubicon.
“Je me suis marié pour la première fois à l'âge de 21 ans. Aujourd'hui, j'ai tenu à offrir un terrain à ma première épouse, à inscrire mes enfants dans de bonnes écoles. Mes deux femmes vivent dans des appartements dignes de leur rang. La polygamie est permise aux hommes, mais elle ne doit pas se faire à tout va. Les hommes doivent faire preuve de responsabilité et de gratitude envers leurs épouses.”
Mamadou Moustapha Wone, sociologue : Polygamie et narcissisme
La conjoncture économique n'a pas découragé les hommes qui ont un penchant pour la polygamie, même si, selon le sociologue et enseignant à l'Enea, Mamadou Moustapha Wone, il n’y a pas de réelles études sur ce phénomène. Mais comme d'autres, il pense que la polygamie en ville a beaucoup perdu de son espace, “si on ne se limite à des observations assez frustes.”
Ceux qui ont franchi le pas, pour lui, ont été pour la plupart guidés par le narcissisme. “Dans la pratique de la polygamie, il y a une grande part de narcissisme que rien n’explique, à part le simple fait de ne penser qu’à soi, dans tous les cas de figure”, fait-il remarquer d'emblée.
Le sociologue va plus loin dans ses explications. “Les hommes se remarient, à l’heure actuelle, pour plusieurs raisons. Par exemple, au bout de plusieurs années de mariage, la flamme qui entretenait cette union au début commence à flétrir. On ne regarde plus sa première épouse, comme avant, avec sa fraîcheur de jeunesse.
Au bout de plusieurs accouchements, la pauvre commence à se faner, alors que monsieur à 45 ans est encore très vigoureux et se voit entouré de jeunes filles plus coquettes et plus espiègles. Il faut dire qu’il n’est pas toujours facile de résister aux assauts répétitifs de ces midinettes qui n’ont pas froid aux yeux et qui savent où se trouvent l’argent : chez les nouveaux parvenus de 40-45 ans”.
Désir des hommes de s'offrir une cure de jouvence....
Les motivations sont aussi diverses. Même si elles sont nobles dans certains cas, le sociologue Moustapha Wone souligne qu'en ville, les jeunes s'inscrivent le plus souvent dans une logique : se payer une nouvelle jeunesse.
“La polygamie en ville est le plus souvent une recherche de mieux être que rien ne justifie, si on s’inscrit dans ce cadre que le mariage, c’est pour le meilleur et pour le pire. Les hommes se croient toujours dans leur propre droit. Et que si l’envie leur venait, ils n’ont pas à se priver, au profit de leurs enfants ou d’autres investissements plus mercantiles. Là également, c’est le plaisir de se renouveler qui se joue. L'autre raison, il se peut bien que leur première femme soit très difficile à gérer et que l’homme cherche où souffler un peu, sans divorcer d’avec elle. Là également, l’on voit que c’est la recherche de la joie de vivre qui prévaut.”
Mais, déplore le sociologue, on oublie que la femme aussi est un être humain, elle a ses sentiments et souffre de cette situation. “Tous ces cas de figure peuvent arriver aux femmes. Elles peuvent vouloir avoir affaire avec une nouvelle jeunesse, c’est le cas des couguars. Il se peut que leurs maris soient impuissants ou stériles. Et il se peut que leurs maris soient difficiles à gérer, d’humeur colérique, mais elles restent généralement”.
Pour le sociologue, “la seule façon de contraindre les hommes à être moins narcissiques, est d’arriver à interdire la polygamie ou d’arriver à la permettre pour tout le monde, sans distinction de sexe”.
“Dans ce contexte d’éclosion des sentiments, ajoute-t-il, les hommes comprendront alors qu’ils ne sont pas les seuls à avoir le monopole du désir. Que la douleur que les femmes éprouvent et qui les rongent également, n’est pas le fruit de leur faiblesse, encore moins de leur jalousie, mais de leur cœur et le cœur : il n’est ni masculin, ni féminin ! Il est tout simplement et il ne faut pas croire qu’il est insensible chez les femmes.”
CE QU'EN DIT L'ISLAM : “AYEZ-EN DEUX, TROIS OU QUATRE, MAIS...”
S’il y a un verset du Coran qui fait le bonheur des Sénégalais, c'est bien celui qui stipule : “Si vous craignez d’être injustes pour les orphelins, épousez des femmes qui vous plaisent. Ayez-en deux, trois ou quatre, mais si vous craignez d’être injustes, une seule ou bien des esclaves de peur d’être injustes.” (Sourate 4-verset 3).
Nombreux sont ceux qui retiennent le nombre de femmes à épouser, sans tenir compte des limites tracées par la religion qui pose des conditions très contraignantes. Et pour cause, “il est très difficile à un homme d'être équitable”, entend-on de part et d'autre.
D'ailleurs, les savants expliquent que jusqu'au décès de sa première épouse Khadija, le Prophète n'avait pas d'autres femmes. Il lui a été fidèle, pendant 25 ans de mariage. Il a épousé, par la suite, d'autres femmes pour des raisons particulières, plus précisément des raisons humaines et familiales.
“Par exemple, son mariage avec Souda était pour qu’elle puisse s’occuper de ses enfants, après le décès de Khadidja (radhiya Allahou anha). Son mariage avec Oum Salma et Hafsa était parce qu’elles étaient veuves et avaient besoin d’un appui. Son mariage avec les esclaves était pour les affranchir et son mariage avec Aïsha était le fruit d’une admiration réciproque, ainsi que pour honorer son père Abou Bakr qui avait consacré sa fortune pour glorifier l’islam.”
Hitler a voulu autoriser la polygamie....
Maîtrisard en Sciences islamiques, Imam Hassan Seck considère que la polygamie est l'une des meilleures options matrimoniales à même d'assurer l'équilibre de toute société humaine.
“Ce n'est pas fortuit si Hitler avait voulu, de son vivant, légaliser la polygamie dans son pays. Mais, cela n'a pas abouti. Il est décédé après. La polygamie règle les problèmes de société. L'Américaine Marie Linda a eu à défendre cette thèse, lors de la tenue d'un conseil de l’Église. Partout dans le monde, les hommes sont en train de se raréfier par rapport aux femmes. Aux États-Unis, plus de 7 millions de femmes sont sans mari. Elles sont frustrées. En France, 10 millions de femmes sont en âge de se marier, 2 millions 200 sont des divorcées, un million sont des veuves. La polygamie est une loi biologique, sociologique à même d'apporter l'équilibre.....”
Non sans souligner qu'un autre verset, 129, de la même sourate dit clairement : “Vous ne pouvez jamais être justes envers vos femmes, même si vous le désirez ardemment”. Un principe qui a d'ailleurs poussé le Maroc à interdire la polygamie.
L'exemple du Maroc
Au royaume chérifien, le code de la famille se conforme aux rigueurs établies par l'Islam. L'article 40 de la loi N° 70 portant code de la famille, stipule que “la polygamie est interdite lorsqu’une injustice est à craindre envers les épouses. Elle est également interdite lorsqu’il existe une condition de l’épouse en vertu de laquelle l’époux s’engage à ne pas lui adjoindre une autre épouse”.
L'Article 41 souligne que “le tribunal n’autorise pas la polygamie dans les cas suivants : lorsque sa justification objective et son caractère exceptionnel n’ont pas été établis ; lorsque le demandeur ne dispose pas de ressources suffisantes pour pourvoir aux besoins des deux foyers et leur assurer équitablement l’entretien, le logement et les autres exigences de la vie”.
Article 42 : “En l'absence de condition par laquelle l’époux s’engage à renoncer à la polygamie, celui-ci doit, s'il envisage de prendre une autre épouse, présenter au tribunal une demande d’autorisation à cet effet. La demande doit indiquer les motifs objectifs et exceptionnels justifiant la polygamie et doit être assortie d’une déclaration sur la situation matérielle du demandeur.”
Toute musulmane a le droit de divorcer, si...
La femme musulmane a le droit de divorcer, si son mari prend une seconde épouse. Une règle de la religion méconnue sous nos cieux. Pourtant, dans des pays où la charia est appliquée, cette pratique est bien respectée. Imam Hassan Seck le reconnaît :
“C'est une thèse juste, mais faudrait-il que l'homme prenne l'engagement avant le mariage, devant son épouse, de ne pas convoler en secondes noces. Il n'aura plus le droit de contracter une autre union. Dans ce cas, permission est donnée à la femme de rompre les liens du mariage...”
Selon les écoles sunnites, un homme n'a pas le droit de prendre une autre épouse, s'il a fait comme promesse dans le contrat de mariage de ne pas prendre une autre épouse. “Dans ce cas, la femme a le droit de divorcer”, souligne l'imam. D'autres exégètes vont plus loin : le mariage est annulé dès qu'un autre est contracté....
SOUKEYNA NDAO DIALLO, PRÉSIDENTE DE LA COMMISSION DES DROITS DES FEMMES DE L'AJS : DIVORCE DÉGUISÉ
Mme Soukeyna Ndao Diallo, la Présidente de la Commission des droits des femmes de l’Association des Juristes Sénégalaises (AJS), conforte cette thèse. Elle juge que dans certains cas de figure, la polygamie ressemble à un divorce déguisé. Elle s'explique :
“Après quelques années de mariage, il arrive que les hommes réalisent qu’ils n’aiment pas leurs femmes et ont le désir, somme toute naturel, d’être heureux. Ils épousent donc une deuxième femme, car ils n’ont pas le courage ou le cœur de se séparer de leur première épouse à qui ils ne peuvent opposer une cause valable de divorce”.
Or, l’article 165 du code de la famille prévoit que “chaque époux peut demander le divorce pour une de ces causes : absence déclarée de l’époux, adultère, condamnation à une peine infamante, défaut d’entretien, refus d’exécution des engagements pris en vue de la conclusion du mariage, abandon de famille, mauvais traitements, excès, sévices ou injures graves rendant l’existence en commun impossible, stérilité définitive médicalement établie, maladie grave et incurable de l’un des époux découverte pendant le mariage, incompatibilité d’humeur rendant intolérable le lien conjugal”.
Autre raison qui pousse les hommes dans les bras d'une nouvelle épouse. “Il arrive que les hommes qui épousent une deuxième femme réalisent que le mariage avec la première épouse était un mariage de raison. Ils s’étaient sentis obligés d’épouser la mère de leur enfant conçu hors mariage, pour réparer un tort...”
Les avantages de la polygamie
La polygamie n'est pas cette pilule amère pour les femmes, car reconnaît Soukeyna Diallo, elle tourne souvent à leur avantage. C'est le cas pour “ces femmes qui ont grandi dans des familles polygames. Chez celles-ci, elle est souvent considérée comme la norme sociale naturelle. Elle est synonyme du mariage et forcément un avantage pour une femme !”
Les commerçantes, leaders communautaires et femmes du secteur informel y trouvent aussi leurs comptes, selon la juriste. Idem “pour les femmes modernes avec une vie professionnelle active et des revenus réguliers, une coépouse ou deux est synonyme de liberté relative vis-à-vis des pesanteurs sociales liées au mariage. Elles n’ont à être au service du mari que 2 à 3 jours maximum par semaine. Le reste du temps leur appartenant.”
Toutefois, les conséquences peuvent être fâcheuses. “Elles deviennent de facto chef de famille, avec toutes les conséquences pécuniaires et sociales que cela implique. En effet, la précarité des conditions de vie pour l’immense majorité des Sénégalais fait que beaucoup d’hommes, malgré toute leur bonne volonté, n’arrivent pas à assumer les charges financières liées à l’entretien de plusieurs foyers conjugaux.
Résultat : les femmes doivent à la fois assumer leur rôle de mère et celui du père de famille censé nourrir, loger, soigner, vêtir, éduquer et même doter en bijoux sa femme, selon la tradition musulmane”, note Soukeyna Diallo.