Sandiniéry, la rue aux quatre-saisons
COMMERCE DE FRUITS
L’étroite rue Sandiniéry du centre vile est conquise par l’activité de commerce de fruits. Les camions, alignés le long des magasins, débarquent des produits divers, venus de tous les coins du monde.
Sandiniéry ! Ce nom que porte l’une des rues de la capitale sénégalaise fait penser au commerce de fruits. Avant de pénétrer dans l’étroite ruelle, l’odeur des fruits vous accueille. Une fois dans la rue, divers fruits s’offrent à vous sur des installations de fortune. Le passant est attiré par l’abondance de fruits de toutes sortes. Pomme, orange, citron, pamplemousse, mangue, raisin, mandarine, clémentine, melon,… constituent l’offre en agrumes de ce célèbre marché. Les fruits de toutes sortes se rencontrent ici. Des containers et des chariots destinés à transporter des caisses et paniers des marchandises dans les cantines, font partie du décor bucolique de la rue étroite. En moins de cinq minutes, l’on arrive à la sillonner de long en large. Elle grouille de monde. L’on n’arrive pas à circuler normalement. L’ambiance n’est pas sereine dans ce lieu où l’atmosphère est moins gaie.
Ici, le spectacle est tout autre. Il est difficile de se frayer un chemin dans le dédale d’ouvriers employés au débarquement des caisses. Ce marché, en plein cœur de Dakar, dans les environs du marché Sandaga, expose des produits de qualité, presque tous importés. La quasi-totalité de la production de ces fruits nous arrive d’Espagne, d’Italie, de la Côte d’Ivoire, d’Afrique du Sud, de la France, du Maroc, d’Israël… tandis que l’autre nous arrive de l’intérieur du pays et de la sous-région, notamment de la Guinée et du Mali voisins. Ce marché est tenu de main de maître par les Peuls venus de la Guinée, ou ceux sénégalais d’origine guinéenne. Leur seule activité consiste en l’achat et la vente de fruits. Ici, la majeure partie de la production n’est pas locale.
Au milieu des étals qui s’enchevêtrent et derrière lesquels plusieurs ressortissants guinéens, immigrés au Sénégal, ont fait fortune dans le petit commerce des fruits, un petit bout d’homme, portant tricot Lacoste et jean, s’active à ranger ses bagages venant juste d’être déchargés du container. Au sein de ce circuit d’approvisionnement, les fruits étrangers sont plus abondants dans cette rue réservée exclusivement au commerce de fruits. Ce marché est approvisionné par la route du Nord.
A la question de savoir pourquoi les produits locaux se raréfient, Alpha Ba perce l’énigme : « La plus grande partie des fruits qui se vendent chez moi, comme dans d’autres cantines, n’est pas locale. Ici, presque tout est importé. Devant cette immensité de fruits, il n’y a que ce panier de mangues qui est cultivé en Casamance (Sénégal) et cet autre d’ananas venant de la Guinée. Nous ne sommes pas responsables de cette faible présence de fruits locaux, car nous ne sommes que des vendeurs détaillants se ravitallant auprès des grossistes. C’est eux qui approvisionnent le marché de fruits en provenance des pays étrangers », révèle le vendeur.
Ce natif du Sénégal, d’origine guinéenne, s’active dans cette économie de l’informel florissant au Sénégal, depuis tout jeune. Il déclare que cette forte offre de fruits s’explique par l’attitude des consommateurs. « Le fait que les agrumes importés dominent sur les étals est lié à la considération des consommateurs. Ils ne préfèrent pas les fruits d’ici, mais ceux qui nous viennent d’Afrique du Sud et des pays d’Europe. Ils sont attirés par la beauté. Par exemple, la pomme nous vient de beaucoup de pays, mais celle d’Afrique du Sud est la plus désirée et vendue. Elle peut rester longtemps sans pourrir. La peau change tardivement. C’est la couleur verte qui fait sa beauté, et le rouge pour l’orange importée ». A ses côtés, Thierno Ba, autre vendeur ressortissant guinéen, se trouve à l’entrée de sa cantine. Il confirme avec le sourire aux lèvres : « Sur tout, la beauté joue beaucoup. La couleur dorée de l’orange est très appréciée des clients. C’est comme avec les femmes, on préfère celles de teint clair. Et, nous aussi Africains, nous avons des complexes vis-à-vis des produits importés des pays européens. Alors que les fruits locaux et ceux importés ont les mêmes apports nutritionnels ».
A la rue Sandiniéry où se côtoie une large gamme d’espèces sur les étals, seuls les melons, les mangues, les citrons verts, les papayes, du Sénégal, y prennent place. Et, des mangues du Mali et des bananes de la Guinée Conakry. Sans doute parce que de moindre qualité, les fruits « Made in Sénégal », qui nous viennent des Niayes, de la Casamance, de Pout, de Sébikotane… se vendent moins cher. Pour ces vendeurs, il faut booster la production locale tout en mettant l’accent sur la qualité du produit. « Si l’on développait cette filière, ce serait bénéfique à la fois pour le consommateur sénégalais et pour l’économie nationale. Les melons, les papayes, les citrons et les mangues, ne présentent aucune différence avec ceux importés. La banane locale se vend à moins de 500 francs Cfa le kilo, tandis que celle de la Côte d’Ivoire coûte 800f Cfa / Kilo.
Celle produite dans la région de Tambacounda et en Casamance, est plus savoureuse, mais n’est pas de bonne qualité. La banane ivoirienne est plus belle et propre, du fait qu’elle est bien emballée », confie le quinquagénaire Alpha Ba, replié sur ses étals pour se frayer un passage dans sa cantine. Trouvée dans la cantine de Thierno Ba, Aissatou Badji est partie de la Casamance pour venir livrer des mangues à ce vendeur. « Nous souhaitons que les consommateurs achètent des fruits que nous avons au Sénégal et que le gouvernement interdise leur exportation, pour que nous puissions écouler nos produits », dit-elle.
Le propriétaire d’un des containers, El Hadji Diallo, l’un des plus grands importateurs de fruits à la rue Sandiniéry, se met devant les manœuvres qui s’activent à la décharge de ses bagages. Ce jeune a, depuis 1999, pris la relève de son père devenu âgé et qui faisait partie de la première vague de Peulhs guinéens, arrivés au Sénégal au début des années 60. « J’importe les fruits de partout. C’est moi qui approvisionne les marchés de certaines villes comme Louga, Saint Louis. Mais également j’exporte des mangues, des melons, des citrons verts vers l’Allemagne, l’Italie et l’Angleterre », confie-t-il, avant d’ajouter qu’il est normal d’importer beaucoup de fruits du fait que le marché sénégalais présente une disponibilité en fruits très faible.
L’impact de l’exportation sur la production locale
Le Sénégal s’est engagé à assurer le développement de la production horticole. Son gouvernement, à travers la stratégie de croissance accélérée, décide de faire de l’horticulture un des moteurs du Sénégal émergeant à l’horizon 2015. Beaucoup de fruits y sont produits (orange, mangue, mandarine, clémentine, melon, mandarine...) dans les Niayes, les régions de Tambacounda et de Kédougou, la Casamance, Pout, Sébikotane… Les agriculteurs s’engagent à étendre et développer leur secteur. Et, le marché sénégalais présente une réelle disponibilité en agrumes. Mais, ces fruits « Made in Sénégal » n’ont pas la préférence des consommateurs. A la rue Sandiniéry, la quasi-totalité des fruits provient d’Espagne, d’Italie, de Côte d’Ivoire, d’Afrique du Sud, de France, du Maroc, d’Israël… Dans ce circuit d’approvisionnement, la production locale est très faible.
Seuls peu de melons, de citrons verts, de mangues, de papayes du Sénégal, figurent dans cette gamme d’espèces. Cette exportation a un impact sur la production locale et l’économie nationale. « Il y a un impact sur la production de bananes et d’oranges », déclare Ababacar Gaye, directeur de l’horticulture. Selon lui, les agrumes qui se trouvent à Sandiniéry ne sont pas produits au Sénégal. « Ils proviennent de la Méditerranée, d’Israël, de la Côte d’Ivoire et d’Afrique du Sud », dit-il, avant de poursuivre : « nous n’avons pas le même marché. Des fruits locaux comme la banane, l’orange locale, se commercialisent dans les quartiers de la banlieue dakaroise, dans les marchés hebdomadaires, ainsi que dans les villes de l’intérieur du pays ».
Au Sénégal, estime M. Gaye, il n’y a que la mangue, la banane, le melon, l’orange noire, la clémentine noire, le citron, la mandarine, un peu de papaye et un peu d’avocat. Pour lui, il est normal que les étals, les entrepôts et les chambres froides ne désemplissent pas de fruits dits de type européen. « D’une part, la culture des fruits est saisonnière. C’est pourquoi certains fruits disparaissent, tandis que d’autres arrivent en force sur le marché. Le climat et la saison y sont, certes, pour quelque chose. D’autre part, le Sénégal manque de beaucoup de fruits que sont la pomme, l’orange rouge, le raisin, la clémentine rouge, la fraise, la mandarine rouge… », explique Ababacar Gaye. Pourquoi les consommateurs préfèrent-ils les fruits qui nous arrivent des pays étrangers ? Et le directeur de l’horticulture de répondre : « Ils sont plus faciles à éplucher. Après consommation, la personne n’a pas besoin d’utiliser un cure-dent, car ils n’ont pas de filaments comme ceux produits au Sénégal ».