TAMBOUR MAJEUR !
Doudou Ndiaye Coumba Rose
L'artiste est plus qu'un Tambour Major. Le monde pleure le silence définitif d'un Tambour Majeur. Doudou Ndiaye a eu un parcours tout en rose. L'artiste a été de tous les grands moments de la Culture au Sénégal et à travers le monde. Son rythme restera non seulement indélébile dans l'hymne du Sénégal, le générique de la télévision nationale, mais l'on n'oubliera jamais sa prestance, son génie et son énergie lors des grands évènements culturels ou sportifs. Du Fesman de 1966 en passant par la célébration du Bicentenaire de la Révolution française à Paris en 1989, jusqu'à son inscription au fronton de l'Unesco comme un Trésor humain vivant, il aura marqué l'histoire.
Jusqu'à avant-hier soir, rien ne présageait qu'il allait décéder. Doudou Ndiaye Coumba Rose était bien portant et s'était même rendu aux obsèques du Vieux Sing Faye. Lui, le maestro, le Tambour Major de renommée internationale ne pouvait rater l'hommage à son défunt "ami et frère", qui comme lui a formé ses enfants dans son art. Mais comme si le sort était jeté et que le Sénégal devrait perdre simultanément et en moins de 24 heures, ses "Seigneurs du tamtam", Doudou Ndiaye Rose rejoint son "ami" dans l'au-delà.
Il est décédé hier à la clinique cardiologique de l'hôpital Aristide Le Dantec après un malaise. L'histoire retiendra tout de même que quelques heures avant cette douloureuse séparation, Doudou Ndiaye s'était confié au journal Le Quotidien affirmant prier pour avoir une foule pour l'accompagner à sa dernière demeure. Evoquant en effet la mémoire de Vieux Sing Faye, il disait ceci dans l'édition 3762 paru hier, "C'est un frère, un ami, un homme de paix,… Je prie pour le repos de son âme… Beaucoup de gens sont venus l'accompagner dans sa dernière demeure. Je ne sais pas si j'aurai le même monde, mais je prie fortement pour l'avoir". Des propos prémonitoires ?
Tout porte à le croire. Le monde de la culture pleure la disparition brutale de ce monument qui restera une fierté nationale et internationale. Figure historique et musicale incontournable, ce percussionniste a été de tous les temps un Khalife du tambour au Sénégal et partout ailleurs. Son art l'a fait voyager à travers le monde. A tel point qu'il a fini par inscrire cet art entre tradition et modernité. L'homme savait se muer tantôt en griot tantôt en artiste en fonction des plateaux culturels où il se produisait. Doudou était un artiste nuancé.
"Je ne me considère pas comme un griot parce que les vrais griots sont des quémandeurs, ils dépendent des autres, et ce n'est pas ma nature. Je ne dépends que de Dieu" avait-il confié de son vivant. Effectivement, il a été incontestablement un artiste hors du commun. L'homme a traversé son temps non seulement en témoin, mais aussi en acteur d'événements historiques et culturels de premier plan. Il a connu l'époque du colonialisme, puis l'indépendance du Sénégal en 1960, assistant ainsi aux changements politiques qui ont marqué le pays, notamment les élections de quatre Présidents : Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Macky Sall. Fervent talibé Tidiane, il était aussi un fidèle militant du Parti socialiste. Au sein de cette formation politique il a été membre du conseil consultatif des sages.
Grand batteur de tous les temps
"Il a partagé les idéaux de la Négritude, courant de pensée marqué par la revendication des identités africaines et l'accession à l'indépendance des pays d'Afrique noire. Dans son domaine, la musique, il garde l'empreinte des mouvements profonds qui ont agité et animé l'Afrique, depuis la célèbre période à laquelle on a donné le nom d'une chanson, "Indépendance cha cha", en passant par une évolution déterminante, l'amplification de la musique, jusqu'à la période actuelle…" lit-on dans les travaux de Luciana Penna-Diaw.
Titulaire d'un doctorat en ethnomusicologie, cette africaniste, dont les recherches portent sur les répertoires vocaux et instrumentaux des Wolof et des Sereer a indiqué dans les Cahiers d'ethnomusicologie, intitulés "Doudou Ndiaye Rose, l'artiste caméléon", qu'en 1959, Doudou avait croisé la route de Joséphine Baker. Lors d'un concert à Dakar, il assure avec son groupe la première partie de son concert. Éblouie par son jeu, la star ne doute pas de son avenir : "Tu seras un grand batteur !" lui avait-elle dit.
Plus tard, sa rencontre avec le Président Senghor coïncida avec son ascension. Les deux hommes, tout en agissant dans des domaines différents, sont dans une même dynamique : la mise en valeur de leur culture et l'aspiration au changement. Leurs actions exceptionnelles, menées parfois main dans la main, sont restées dans l'Histoire. Tout avait commencé avec la célébration de l'indépendance du pays relève-t-on.
"Le Président Senghor voulait un défilé de majorettes, mais il n'est pas question de le calquer sur le modèle occidental : il tient absolument à son caractère africain. C'est ainsi que Doudou conçoit le "rythme des majorettes". Les jeunes filles, habillées en pagne traditionnel, défilent au son d'un imposant orchestre de sabar". Ce fut une réussite. Doudou Ndiaye Rose en a parlé à maintes reprises dans des interviews : "Un jour, après l'indépendance, Senghor m'a demandé d'africaniser les majorettes. On a donc changé le costume, supprimé la fanfare. Mais on a gardé les bottes… et j'ai trouvé le rythme de la parade…".
Il a rythmé l'hymne du Sénégal.
La contribution de Doudou Ndiaye Rose à la vie culturelle du Sénégal ne peut que rester dans l'histoire. En effet, sous la coordination de l'ethno-musicologue Herbert Pepper, il avait participé à la création de l'hymne national du Sénégal. Les paroles sont tirées d'un poème de Senghor et plusieurs artistes en élaborent la musique ; mais c'est Doudou Ndiaye qui s'est chargé de la partie rythmique. C'est aussi lui qui composa le générique de l'indicatif du journal télévisé de la Radio télévision du Sénégal (Rts).
Il avait même à l'époque animé des émissions culturelles à la radio, sans délaisser son activité au sein de diverses formations musicales. En 1965, se souvient-on, l'artiste a aussi participé aux côtés de certains de ses pairs à l'inauguration du Théâtre national Daniel Sorano. Senghor y avait réuni les meilleurs artistes sénégalais pour une prestation inoubliable. Une année plus tard renseignent les anciens, ce fut encore Doudou Ndiaye Rose qui assura le défilé d'ouverture du premier Festival mondial des arts nègres (Fesman). Ce ne sera pas sa seule participation. Il a joué à la seconde édition du Fesman organisée en 1977 au Nigeria puis au troisième en 2010 au Sénégal.
Nommé professeur de rythme à l'Institut national des arts de Dakar et chef tambour majeur du Ballet national du Sénégal, qui attire des spectateurs prestigieux, au nombre desquels figure Maurice Béjart, en 1977, Doudou Ndiaye impressionna ce dernier, qui l'embarqua dans une nouvelle aventure. Le Président Senghor venait en effet de fonder à Dakar, avec Béjart, une école de danse, Mudra Afrique, dirigée par la grande dame de la danse africaine, Germaine Acogny.
Doudou Ndiaye a été le batteur de cette école. En 1981, il créa le premier groupe de femmes percussionnistes d'Afrique, initiant tout d'abord sa fille aînée Rose (qui porte le même nom que sa mère, Coumba Rose Niang), puis ses autres filles et belles-filles (quatorze filles et neuf belles-filles). "Le groupe s'appelle "Les Rosettes", en l'honneur de sa maman. Or, dans la tradition wolof, les femmes chantent ou jouent de la calebasse, mais le tambour leur est strictement interdit. Doudou bouscule une fois encore les traditions ; mais, cette fois, les anciens l'encouragent" mentionne-t-on.
Sa prouesse sur les Champs Elysées
Le Tambour major partit par la suite à la conquête du monde et multiplia les collaborations. On le retrouva au festival de Jazz de Nancy, en 1985. Il est accueilli sur les scènes les plus prestigieuses aux côtés de grands noms comme France Gall, les Rolling Stones, Peter Gabriel, Miles Davis, Dizzy Gillespie, Mory Kanté, Youssou Ndour…. A partir de 1987, il enchaîna plusieurs tournées mondiales avec sa formation de percussionnistes, "Doudou Ndiaye Rose et les tambours sabar" (entre quinze et trente personnes), composée exclusivement des membres de sa famille.
A Paris, en 1989, lors des célébrations du Bicentenaire de la Révolution française, il est à l'honneur sur les Champs-Élysées, où il défile avec son groupe. Ce fut une prouesse inoubliable qui marqua son riche parcours. Ce Cheikh du tam-tam forma également ses petits-fils qui constituent "Les Roseaux", un groupe d'enfants âgés de quatre à douze ans. Aussi, le "maître" a-t-il, toujours conjugué ses goûts personnels et les causes qu'il défend avec son art. Sa passion pour le sport le conduit à animer régulièrement les tournois de lutte traditionnelle, le lamb, sans oublier les matches de foot.
Avec ses tambours, il s'est fait le porte-parole de la paix au Rwanda entre autres grandes causes à travers le monde.
Honneurs et reconnaissances
Les reconnaissances officielles, Doudou Ndiaye Coumba Rose en a reçu énormément. Le Président Mitterrand l'avait promu Chevalier des Arts et des Lettres, le Président Abdou Diouf l'éleva au même titre, relayé par son successeur, Abdoulaye Wade, qui le nomma chevalier dans l'Ordre national du lion et du Grand-croix de la Légion d'honneur. Et puis ce fut au tour de l'Unesco, de faire de Doudou Ndiaye un "Trésor humain vivant".
Outre le cinquantenaire de sa carrière qui a été célébré avec faste, plusieurs initiatives ont été prises pour lui rendre hommage. La dernière en date fut celle de l'Ambassade des Etats Unis à Dakar. Né dans la capitale sénégalaise le 28 juillet 1930, Doudou Ndiaye a gardé jusqu'au dernier souffle sa vitalité et son énergie. Le tambour faisait partie de son quotidien au point qu'il affirmait ne pouvoir jamais s'arrêter car pour lui, "jouer du tambour est un don de Dieu".
Pourtant rien ne le prédestinait à ce grand destin. S'il est vrai que l'artiste est issu d'une famille de griots wolof et que ses arrières grands-pères étaient tous deux des percussionnistes, son père, El Hadji Ibrahima Ndiaye, renseigne-t-on dans les Cahiers d'ethnomusicologie, avait pourtant rejeté la musique et exercé le métier de comptable. Il interdisait donc à Doudou de jouer du tambour.
Bien malgré lui, celui qui deviendra le Tambour major appris le métier de plombier, qu'il exercera jusqu'en 1960. Mais depuis l'âge de sept ans, sa passion était autre : ce qu'il aime avant tout, ce sont les tambours de l'ensemble sabar. Gamin, il en jouait en cachette, quitte à faire l'école buissonnière. La suite ? On en sait suffisamment. Et, chaque Sénégalais, chaque citoyen du monde qui l'a connu, racontera toujours avec une fierté ce que fut son parcours, tout en ayant un regret de l'avoir perdu.