TRAGÉDIE D’UN PRINCE
KARIM WADE CONDAMNÉ À SIX ANS DE PRISON

Karim Wade, 47 ans, est l’histoire d’un homme qui avait atteint les étoiles avant de chuter dans l’abîme.
Dans l’étroitesse de sa cellule où il est confiné depuis le 17 avril 2013, Karim Wade doit revoir en images, le tracé de sa vie qui lui a tout offert sans réserve. En bien. Et en mal. Et le destin a poussé, à travers la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), la cruauté jusqu’au bout en lui confisquant 6 ans de liberté. C’est la tragédie d’un prince. C’était le divin enfant.
Aujourd’hui, Karim Wade est un grand pari manqué à la hauteur de son génie, célébré par son père, baba devant l’ingénierie financière de son brillantissime fils. Cette ingénierie financière le cloue pour pratiquement 4 ans encore à la citadelle de Rebeuss [maison d’arrêt située près du Palais de justice de Dakar].
Jusqu’ici, il était au cœur d’un écheveau difficile à démêler pour ses avocats, qui continuent de crier à «l’arbitraire» et à «l’injustice». Le juge Henri Grégoire Diop a planté le dernier clou du cercueil de l’ex-ministre.
C’est le début de la fin d’un feuilleton dont l’épilogue était pourtant prévisible. La longueur du procès créait un faux suspense préalable à l’évidence de l’emprisonnement de Karim Wade. Il est devenu une peste après avoir atteint les étoiles. Certains, dont la proximité avec le détenu ne fait aucun doute, ont renié cette amitié. D’autres thuriféraires, que l’intérêt et l’ambition bâillonnaient, donnent un libre vol à leur rancœur pour cracher sur sa tombe politique. C’est le temps des regrets...
Sans support paternel, son destin est en vrac. Quelle chute à la hauteur de ses ambitions ! Karim Meïssa Wade, omnipotent fils de l’ex-chef de l’Etat, cristallise toutes les attentions et toutes les rancœurs. Piédestal des rêves de grandeur de son père, la renommée et la réputation de Karim Wade s’effritent comme l’assemblage d’un puzzle mal façonné.
A présent, il lui reste 4 ans pour essayer de retrouver le cours de cette vie construite sur du faste. Et ce destin princier. Déplacement en jet privé, super ministère, le fils du Président Wade façonne ses ambitions sous l’ombre et la protection de son père. Au soir d’une visite sur les chantiers de la Corniche, il sort une phrase composée de dix mots qui choquent l’opinion : «Je dirai à ta maman que tu as bien travaillé.» C’était en 2008.
Il s’appuie sur les préparatifs du sommet de l’Organisation de la conférence islamique (Oci) pour lancer son envol vers le sommet. Il devient la tête d’affiche de la Génération du concret qui parasite le Parti démocratique sénégalais (Pds). Patron de l’Anoci, il multiplie la réalisation d’infrastructures routières qui lui confère une réputation de bâtisseur.
Mais, les câbles diplomatiques révélés par Wikileaks démontrent que les Américains, le Fmi et d’autres bailleurs et d’autres ambassadeurs s’inquiètent de ses pratiques en matière de gestion. Il est surnommé «M. 15%».
Juché au sommet de la pyramide, il attire une armée de flagorneurs à la recherche de prébendes et de postes juteux. Le chemin du fils de Wade est fleuri de propos dithyrambiques qui lui prédisent un avenir politique radieux dont le support est l’obscure Génération concrète. Les élections locales de 2009 constituent son «premier test électoral».
On lui prête l’ambition de devenir de maire de Dakar. Il fait campagne à Dakar, Thiès, Saint-Louis, Matam, Ziguinchor et se met au contact des masses. Il baragouine quelques mots en wolof qu’il parlait jusqu’ici à peine. C’est la douche froide. Il est battu dans son propre bureau de vote, à Dakar. La coalition Bennoo Siggil Senegaal rafle les grandes villes du pays.
Douché par cette défaite, Karim Wade n’aura pas le temps d’ergoter son avenir. Au lendemain des Locales, son père met sur pied un nouveau gouvernement. Souleymane Ndéné Ndiaye, qui ne voulait jamais être derrière le «gosse», est contraint de l’enrôler dans son gouvernement. Karim Wade est une pièce maitresse un pilier de cette nouvelle équipe. Il est nommé ministre de la Coopération internationale, des transports aériens, des infrastructures, de l’aménagement du territoire. Ces départements représentent 20% du budget national.
Désormais, il est devenu le «ministre du Ciel et de la terre». Quelques mois plus tard, il récupère le ministère de l’Energie après le renvoi de Samuel Sarr, emporté par les émeutes de l’électricité du 23 juin 2011. Inspiré par «Papa», il lance de grands projets : plan Takkal, Senegal Airlines, restructuration des Ics, construction de l’aéroport international Blaise Diagne.
Wade and see !
Bien sûr, cette ascension fulgurante est escortée de fortes suspicions que la lettre qu’il a envoyée aux Sénégalais n’arrivera pas à étouffer. C’est le temps de la dévolution monarchique. Me Wade dément. Karim rejette les accusations. Mais, l’ex-chef de l‘Etat pose un acte maladroit qui précipitera la chute de son régime. Il propose le 23 juin 2011 l’idée d’un ticket Président-vice président, élu à 25% au premier tour.
Les Sénégalais voient derrière cette réforme constitutionnelle, la confirmation du funeste projet de «dévolution monarchique du pouvoir». Ce jourlà, l’Assemblée nationale est assiégée par des milliers de manifestants qui obligent le chef de l’Etat à déchirer son ticket pour préserver la paix sociale.
Mais, Me Wade n’arrivera pas à préserver son pouvoir quelques mois plus tard. En mars 2012, il est balayé par Macky Sall qui avait voulu auditionner son fils à l’Assemblée nationale après le sommet de l’Oci. C’est la consécration de l’ex-Premier ministre. C’est la déchéance pour Karim. La Crei est ressuscitée.
Le Procureur spécial ouvre les auditions et coffre Karim Wade à la Section de recherches de la gendarmerie qui a mené les enquêtes. Après une mise en demeure sur son patrimoine évalué à 694 milliards, il est placé sous mandat de dépôt pour enrichissement illicite présumé. Finalement, l’accusation chute à 117 milliards de francs. Il est condamné à 6 ans de prison ferme.
Aujourd’hui, le candidat du Pds à la Présidentielle 2017, qui avait atteint les étoiles, est sans doute en train d’analyser le basculement de sa vie dans une dimension tragique. A 47 ans, il a encore une marge... pour retrouver le sommet. Wade and see !