UN MÉTIER EN PERDITION ?
PHOTOGRAPHIE À L’ÈRE DU NUMERIQUE
Si certains photographes ressentent les revers du changement induit par le numérique, d’autres y voient une opportunité pour faire fructifier leur business.
Au pied du Monument de la renaissance africaine. Le photographe, la trentaine, svelte, teint noir, casquette vissée sur la tête, appareil pendant autour de son cou, guette les visiteurs. Un couple s’approche de lui. D’un geste brusque, il se lève, faisant mine de prendre photo. La femme, une blonde aux longs cheveux, décline gentiment l’offre. Cheikh les poursuit, insiste, vante la qualité de ses photos. Après quelques pas il revient bredouille sur la place et attend d’autres visiteurs.
A sa quatrième tentative, il décroche enfin une cliente. Une adolescente de teint clair, portant des bas et un body. Ensemble ils franchissent les longs escaliers. Essoufflés, les voilà enfin sur la Terrasse. Debout devant la statuette, les mains aux hanches, la tête inclinée, large sourire, elle est enfin prête pour prendre la pose. Le lendemain elle devra revenir sur les lieux pour récupérer ses photos monnayées à 500 francs Cfa l’unité. Tous les jours, Cheikh le photographe vient sur la place à 9h et ne se rend que tard la nuit au laboratoire pour le tirage.
Cheikh photographe, comme le surnomment ses amis, n’a pas fait de formation dans une quelconque école pour apprendre ce métier. Ayant dès son enfance dû assumer de grandes responsabilités, il a choisi la photographie comme gagne-pain : «Mon expérience longue de plusieurs années m’a permis de devenir un grand professionnel dans ce domaine. La photographie ne nécessite pas une formation particulière. Le professionnalisme on l’acquiert au fil du temps :
«Après, j’ai arrêté mes études pour me spécialiser en photographie et cela au fur et à mesure que je fréquentais les studios». Ce métier qui, jadis, nourrissait son homme, est tombé en désuétude. La principale raison, selon le photographe, c’est l’avènement du numérique. Depuis lors, leur chiffre d’affaire chute.
Pis, beaucoup de labos photo et de studios ferment à tour de rôle. A cause de cela, les photographes qui opèrent sur le terrain rencontrent d’énormes difficultés. «Presque tous les touristes viennent avec leurs appareils numériques», se désole-t-il, ajoutant : «je suis là toute la journée sans gagner grand-chose, Je n’ai pas de vie de famille, sans compter l’humiliation et le dénigrement dont je suis victime».
Même son de cloche chez Pape Baïdy Fall, photographe depuis 1992. Il a même abandonné la photographie pour devenir gérant d’un labo à la Médina. Trouvé dans son laboratoire vers 18 heures, il reçoit les photographes de terrain. Quatre d’entre eux l’attendent. Des produits chimiques destinés à l’entretien du labo sont rangés sur un étal à droite ; derrière, se trouvent l’ordinateur de lavage et la tireuse-développeuse.
Assis devant une machine, près de son client, il place la carte dans un support, les images prises s’affichent. Le client, un jeune homme à l’accent étranger, lui donne des photos à tirer. Ils discutent du format et fixent un prix. Il devra repasser plus tard prendre sa commande. Les photos format 10-15 sont tirées à 500 fCfa et celles de 13-18 à 1000 fCfa. «Je gagnais beaucoup de marchés grâce à la qualité de mes photos», se souvient-il.
Et de poursuivre : «De bouche à oreille je suis devenu une célébrité dans ce domaine, mais hélas j’ai arrêté ce métier depuis belle lurette car cela ne marche plus comme avant». Selon M. Thiam, le numérique a bouleversé le travail de photographes. Beaucoup de clients ont maintenant des appareils numériques. Pis, les albums de mariage ou de baptêmes ne sont même plus tirées, les femmes préfèrent les montages numériques :
«c’est très dommage car l’album photo permet de garder les souvenirs, c’était même un trésor que l’on gardait jalousement», se désole-t-il. À l’appareil numérique s’ajoutent les téléphones portables. Et les photos prises sont même tirées au laboratoire à 250 fCfa l’une. «Tu vois, les gens n’ont plus un grand intérêt à appeler les photographes», explique-t-il.
Les réseaux ne sont pas pour arranger les choses. «Les gens qui accrochaient leurs photos dans leur salon préfèrent maintenant les publier sur Facebook. Et elles seront vues et commentées de tout le monde avec un minimum de dépenses», explique-t-il. Ajoutant : «en tout cas, cela ne fait pas notre affaire». Pour toutes ces raisons il a préféré le labo au terrain.
L’ancien photographe n’a pas manqué de décrier l’attitude des jeunes photographes qui, par nécessité, acceptent des sommes dérisoires que leur offrent les clients. «Une photographie à 350 francs, ce n’est raisonnable», se désole-t-il.
Pourtant, Cheikh Tidiane Thiam, photographe professionnel, n’est pas de cet avis. Pour lui, jusqu’à présent la photographie nourrit son homme : «J’entretiens ma famille depuis toujours grâce à ce métier. J’ai même fait des progrès dans mon domaine». Pour lui 80% des photographes apprennent le métier dans le tas, ce qui explique leurs limites. Photographe professionnel, M. Thiam dit suivre des cours de renforcement un peu partout pour comprendre les changements induits par l’ère numérique.
«C’est bel et bien un métier d’avenir, l’ère numérique n’est pas un frein, au contraire cela nous facilite même la tâche», dira-t-il. Je parle de la rapidité des copies, de l’envoi, etc. Tout cela développe davantage la photographie». La photographie artistique, de sport, de spectacle de nuit, aérienne ou animale, bénéficie même des avantages de l’ère numérique. La photo publicité, très en vogue, requiert également beaucoup de revenus : «Les gens gagnent beaucoup d’argent avec ces spécialités. Notre seul souci demeure l’absence de contrat ou d’autonomie».