"UN PSE CULTUREL EST IMPÉRATIF"
MOH DEDIOUF, ARTISTE CHANTEUR
Moh Dediouf fait partie de cette nouvelle vague d'artistes qui ne se fixent pas de limite. Attaché à ses racines et profondément africain, Moh est un "enfant" de Nelson Mandela qu'il prend comme modèle et dont le message, pense-t-il, doit inspirer tout le continent. Avant de monter sur la scène de l'Institut Français (ex CCF) le 10 avril prochain, Moh Dediouf confie à EnQuête ses idées sur la musique sénégalaise et nous parle de son album à venir.
1er prix dans la catégorie Voter’s Choice l’Afrotainment Music Awards en 2011, artiste officiel du mondial sud -africain en 2010 avec Akon ou encore Shakira. Comment gérez-vous tout ce succès ?
Garder les pieds sur terre. Prendre les succès avec beaucoup d'humilité et nous dire justement qu'on n’a encore rien fait, rien accompli et continuer à travailler. On ne peut pas vivre dans le même pays qu'un artiste comme Youssou Ndour qui a eu tant de succès au Sénégal et dans le monde, et prendre la grosse tête à cause d'un prix. C'est gratifiant de recevoir des distinctions mais il faut surtout les prendre comme un encouragement et pas comme un aboutissement. Voilà mon état d'esprit. Et puis vous savez, on ne commence pas une carrière de chanteur en fixant des conditions du genre : je vais avoir des prix ou des Grammys. Ce qui te fait entrer en musique, c'est d'abord le feeling, la passion de la chose et l'amour.
Vous viviez en Europe et depuis 2 ans, vous êtes plus présent dans le continent notamment en Afrique du Sud. Pourquoi avoir choisi le pays de Madiba ?
C'est un choix à la fois sentimental et stratégique. Sentimental, parce que nous nous inscrivons dans la voie tracée par ce chantre de la paix et des libertés qu'est Mandela. J'ai une grande admiration pour son œuvre et pour ses combats, mais cela ne doit pas s'arrêter à de l'admiration uniquement. On doit essayer de porter ses valeurs et de vivre à travers son message. Stratégique aussi, parce que je ne sors pas de mon continent tout en étant dans un pays-monde où toutes les cultures sont présentes, ce qui est fort enrichissant. Enfin, l'Afrique du Sud offre du point de vue technique toutes les potentialités pour une musique de qualité.
Les libertés semblent être le crédo du mouvement Y'en a marre. Vous comprenez le fait qu'ils aillent porter le combat hors du Sénégal ?
Sur cette actualité, je dirais qu'on ne peut pas reprocher aux gens de Y'en a marre de prôner la paix et de militer pour les libertés. Ce combat pour la démocratie devait être porté par les hommes politiques africains, malheureusement, les leaders politiques ou gouvernements du continent ne font que constater les dégâts. Très peu, pour ne pas dire personne ne prévient les dérives. Tout le monde laisse pourrir les situations de dictatures ici et là. Vous savez, la nature à horreur du vide. Les activistes de Y'en a marre sont d'abord des artistes, mais ils font partie de la génération Mandela dont le message transcende les diversités, c'est tout simplement une jeunesse consciente et éprise de justice. Mandela était d'abord avocat, mais quand il a fallu s'engager, il l'a fait. Que Y'en a marre soit financé par X ou Y, le plus important, c'est d'être dans l'action. J'invite leurs détracteurs à répondre par l'action ; qu'ils essayent de faire avancer les choses. Je crois aussi que tout n'est pas parfait. Quand on s'engage, on peut faire des erreurs ; il peut y avoir des insuffisances mais il faut agir et rester dans la construction.
Comment voyez-vous la scène musicale sénégalaise : vous citez souvent Youssou Ndour comme exemple. Que représente-t-il pour vous ?
Ah ! Youssou Ndour, c'est un modèle artistique extraordinaire. Au-delà du chanteur génial, Youssou est une école managériale à étudier, à enseigner car il n'y en a pas deux au monde. Oui, je pense fortement que le monde musical sénégalais devrait étudier, analyser ce qui a fait l'excellence de sa carrière. Comment il arrive à se renouveler, à s'inscrire dans la durée et à être toujours dans l'air de son temps. Pour pouvoir reproduire peut-être un héritier de Youssou Ndour, ça sera difficile, mais il y a en lui tout ce dont on a besoin pour imposer notre musique partout dans le monde...
Mais à part Youssou Ndour, Baaba Maal, Cheikh Lo ou vous-même, la musique sénégalaise n'a pas trop de présence au niveau international. Comment analysez-vous ce phénomène?
Bien sûr que non ! Et détrompez-vous, beaucoup d'autres artistes représentent bien notre pays à l'international. La musique sénégalaise avance, le rythme est lent peut-être mais il faut juste continuer à travailler. Des leaders comme Baaba Maal, Ismael Lo ou Youssou Ndour ont fait un travail extraordinaire avec peu de moyens, et surtout à une période qui n'était pas évidente, où rien n'était donné. Jusqu'à présent, rien n'est donné, mais c'était pire à leur époque en matière de conditions de travail. Aujourd'hui, une nouvelle génération peut profiter de l'œuvre de tous ces musiciens et chanteurs de légende qui ont balisé le terrain. Maintenant, une nouvelle génération arrive avec plein d'idées, plein d'enthousiasme. Si elle est bien encadrée, elle peut porter la musique encore plus loin que sa devancière. Mais entendons-nous bien, je ne les enterre pas. Au contraire, ils sont encore hyper-productifs et je fais partie de leurs nombreux admirateurs. La génération des Omar Pène est irremplaçable. Ma conviction est que la musique va muter. On ne va pas aller vers des nouveaux Ismaël Lo ou Baaba Maal. Ce qui va se passer à mon avis, c'est une mutation vers autre chose. Nous le vivons déjà avec les nouvelles technologies et internet qui bouleversent l'industrie traditionnelle.
L'industrie de la musique n'a pas l'air de préparer cette mutation...
Vous savez, l'industrie musicale a souvent été bousculée par les avancées technologiques. Rappelez-vous : le passage du Vynil à la cassette et des cassettes au CD-Rom s'est fait dans la douleur, mais l'industrie musicale a toujours su s'adapter après des années d'ajustement. En Europe et ailleurs, ils y travaillent déjà.
Justement, le numérique et le mobile s'imposent partout. Est-ce l'avenir de la musique sénégalaise ?
Les deux outils que vous citez font partie du changement attendu et l'avenir de la musique passera par ce chemin. Seulement, ce n'est pas tout que de proclamer partout l'ère du numérique. Il faut que des investissements conséquents suivent mais aussi une bonne organisation. Par exemple, la musique et la culture doivent faire partie des leviers du Pse dont on parle tant. On parle beaucoup d'émergence en faisant référence à l'économie mais la culture devrait en être la rampe de lancement. Je le crois profondément.
Où et comment doit-on investir pour soutenir ce changement ?
(Rires)... En fait, la musique est un marché très concurrentiel et il faut du talent bien sûr pour se faire une place, de la détermination pour durer, mais il faut surtout de l'argent. Cet argent ne doit pas être vu comme des dépenses mais plutôt comme des investissements capables de créer des richesses et des emplois. Le potentiel des produits culturels en général est énorme et pas encore exploité à sa juste dimension. Je pense qu'il serait bon d'investir dans le sens de rehausser le niveau des productions en favorisant par exemple une plus grande proximité entre groupes de presse, groupe Telecoms et maisons de production. Cela pourrait prendre la forme d'une joint-venture. C'est une voie, parmi tant d'autres, pour participer à une création de qualité. À côté d'une production de qualité, il faudrait promouvoir des investisseurs dans les circuits de distribution et dans le booking (Tourneurs), inciter les tourneurs à organiser des événements. Il y a des festivals dans le pays et c'est une excellente chose, mais il en faut encore beaucoup plus. Par le biais des subventions, des incitations fiscales, on doit faciliter la créativité. Dans l'environnement de la musique sénégalaise, il y a beaucoup d'hommes et de femmes de grande volonté, bourrés d'énergies et d'idées qu'il faut aider à libérer leurs talents. Le potentiel est là et les produits culturels sont un pan entier du développement de notre pays le Sénégal.
Vous êtes dans la préparation de votre prochain album. Où en êtes-vous ?
Nous sommes dans la dernière ligne droite.
Peut-on avoir une idée sur la date de sortie de cet album ?
La date de sortie est prévue vers le mois de mai ou plus tard au début de l'été 2015. On n'est plus sur une logique de sortir un Album en un bloc. On est sur une stratégie qui fait qu'on va sortir un single tous les 4 mois, ce qui permet de rester sur la scène musicale de manière plus efficiente.
Quelle en sera la couleur, l'idée ?
Une couleur fraîche, des sonorités encore plus africaines, plus enracinées en même temps, tellement mondiale parce qu'on parle à l'humain, à l'intime. Je vais y associer des musiciens africains et sud-américains.
Vous parlez d’album intime. Est-ce à dire que vous allez vous dévoiler un peu plus dans cette nouvelle production ?
Intimiste oui car j’ai voulu ramener dans ma musique un sourire éternel et inconditionnel. A une époque où tout dans la musique n'est que déprime, ruine et renoncement. Pour vous dire, jamais je n'aurais pu réaliser cet album en dehors de l'Afrique. Pour ce faire, les instruments traditionnels africains sont sortis de leur spectre mélodique habituel et vont à la rencontre du monde sans perdre leur âme. Une photographie fidèle de ce que représente l'Afrique de demain, ancrée dans la tradition tout en étant parfaitement et sereinement ouverte au reste du monde, à l’instar des talentueux joueurs de football africains dans les grands clubs européens.
On avait déjà du mal à classer votre musique entre Mbalax et musique du monde ; avec ce que vous nous dites là, elle va être encore plus insaisissable ?
Je ne suis pas trop dans les définitions ou classements. Ma musique, je dirais, est à la fois africaine et sénégalaise. Elle est tout simplement ancrée chez nous dans le terroir et s'ouvre au monde. En fait, je me rends compte après des années de voyages et de rencontres que plus on s'enracinait intelligemment chez soi, plus on s'ouvrait au monde. Cet album brise définitivement les frontières entre la world et ses consœurs de rayon chez le disquaire, mais nous laisserons aux auditeurs la liberté de le placer quelque part dans leur cœur.
Moh semble ne pas se fixer de frontières ou de limites dans sa création. Le sérère que vous êtes, est-il un peu nomade ?
Sortir, voyager, prendre des risques, découvrir, échanger, restent primordiaux. La création pour moi commence quand on sort de sa zone de confort et ne pas se limiter à ses certitudes.
Avant l'album, vous serez le 10 avril prochain pour la seconde fois sur la scène de l'Institut français de Dakar ?
Tout à fait ! J'ai hâte d'y être. La première fois, cela s'est bien passé. C'est excitant de jouer dans cet endroit. Le cadre est génial et il y a toujours une relation extraordinaire avec le public. C'est une scène qui me plaît bien et d'ailleurs, j'en profiterai pour offrir au public quelques nouveautés piochées dans le prochain album. Après avoir concocté de nouveaux sons en studio, c'est toujours excitant de les jouer en live et d'attendre les réactions. La vérité, c'est la scène.
Qui sont les musiciens qui vont vous accompagner pour ce concert ?
Comme j'ai toujours fonctionné depuis mes débuts, je vais continuer de créer des trait-d'unions entre instrumentistes de divers horizon. Les musiciens peuvent changer mais l'idée reste la même. J'aurai à mes côtés le Jahmo Band plus Alain Oyono et Christian Obame, saxophoniste et bassiste qui accompagnent actuellement Youssou Ndour, et j'aurai aussi quelques invités. On a créé un beau mélange pour proposer au public de l'Institut Français un spectacle inoubliable. Rendez-vous le 10 avril !