MULTIPLE PHOTOSUNE ENSEIGNE POUR LA POSTÉRITÉ
Dieu l’aurait toujours voulu sur cette terre, Mawade Wade aurait eu 86 ans hier. Le Créateur l’aurait-il voulu que Ma serait un vieillard plein de vie.
Déclinant certes sous le poids des ans, peut-être courbé sur une canne pour mieux balayer le sol de sa démarche chaloupée, mais ayant toujours le verbe assez détaché pour faire entendre cette voix à nulle autre pareille. Quelque chose de slave et d’anglo-saxon à la fois, où le mot "football" dégageait une tonalité semblant sortir d’un poème déclamé en toute beauté. Parfois on aurait pensé, écoutant Mawade, entendre un prêcheur évangéliste américain.
On s’imagine Mawade debout, hier, devant le "peuple de Saint-Louis", pour dire son bonheur devant une reconnaissance que ses épaules portent aisément, pour accepter une postérité qui s’est déjà écrite dans l’histoire.
Son nom aurait pu orner une place, s’inscrire au fronton d’une rue, briller à l’entrée d’un auguste salle de conférence et Yatma Diop lui a déjà donné le nom de son Académie de football. Mais depuis hier il fait enseigne pour un stade. C’est d’un pur bonheur.
L’honneur a du sens pour un homme dont la gloire posthume n’a pas attendu les manifestations officielles. Elle est là depuis que le sable a fini de fermer sa tombe. Ecrite avant sa mort.
L’acte posé hier par le président Macky Sall ne ramène pas le souvenir d’un mort que le passé aurait enfermé dans ses décombres. Dix ans après sa disparition, "Ma" fait partie de l’histoire qui continue de s’écrire. Une icône, une référence. Il respirait une idée du football où le ballon est vie et le footballeur un acteur du bonheur.
Il avait une philosophie du réel dans lequel l’homme-joueur est porteur de valeurs qui, au-delà de lui-même, reflète ce qu’une société fait de lui et exige de lui. Dans les moments de doute et d’errance du football sénégalais, ce sont des repères qu’on cherche toujours.
Mawade n’entrainait pas, il éduquait. Pas pour être lui-même le modèle, mais pour chercher le meilleur de ce qu’il y a dans l’élève et qui le dépasse, lui le formateur.
Dans l’histoire du football sénégalais, deux entraineurs scintillent comme des phares dans la nuit. L’un est passé de manière furtive, porté par un vent de printemps et semant des fleurs qui font encore les plus belles guirlandes du football sénégalais : Bruno Metsu.
L’autre a défriché, labouré et semé des décennies durant, traversant les périodes de disette et de belles promesses, portant toujours ses espérances d’un futur meilleur.
Ce ne fut pas toujours pour la gloire, mais avec Ma on ne se demande pas ce qu’il a gagné, plutôt ce qu’il a donné. Les grands entraineurs sont souvent des palmarès ambulants ; lui était de ces grands hommes avec qui on croit tout possible.
Il y avait toujours du bruit et de la fureur autour de Ma. Ses détracteurs étaient aussi passionnés que ses partisans étaient fervents. Mais sa grandeur le faisait surfer sur les vagues de la polémique. Il avait la force de ses idées, pouvait faire des erreurs mais ne se trompait jamais. Car il connaissait et vivait le football, avec la générosité d’un fleuve qui tombe en cascade.
On se rappelle qu’à la fin du Mondial-74, alors que tout le monde ne parlait que de Johan Cruyff dans l’équipe des Pays Bas, il faisait aussi de sorte qu’on n’oublie pas l’excellent milieu de terrain Van Hanegem.
Quelques années plus tard, au sortir du Mondial juniors 1979 au Japon, il pressentait ce que Maradona allait devenir, insistant également sur Ramon Diaz qui, lui ne fera pas aussi belle carrière. Et encore, quand Metsu faisait d’Aliou Cissé un défenseur central, c’est lui qui clama, en pleine Can-2002, que le profil de ce dernier était celui d’un milieu de terrain. Il en fut ainsi pour le reste de la Can et pour un Mondial-2002 accompli.
Quand les joueurs des années 1960-70 parlent de Ma, ce n’est pas d’un entraineur qu’il s’agit, mais d’un éducateur, d’un psychologue, d’un exceptionnel meneur d’hommes.
Dans son langage fleuri on a mis tellement de belles formules qu’on ne sait plus ce qui lui appartient et ce qui tient de la légende. Comme de dire que "le football c’est de l’intelligence en mouvement". Cela rapproche de ce que disait le romancier André Maurois, selon qui "une belle partie (de foot bien sûr), c’est de l’intelligence en mouvement. Bien plus, c’est de l’intelligence incarnée".
De même, Ma était tellement exubérant dans son rôle d’entraîneur qu’on lui prête encore d’avoir dit, pour définir son rôle : "Moi, je cours derrière ceux qui courent derrière le ballon". Et on l’a vu courir derrière les Anoun Ndiaye, Léopold Diop et tant d’exceptionnelles pointures du football sénégalais.
Sans compter les dieux africains tels Petit Sory, François Mpelé, Malik Jabir, Laurent Pokou, etc., quand il conduisit, avec le Ghanéen Gyamfi, la sélection d’Afrique au mini Mondial brésilien, en 1972.
L’acte posé hier par Macky Sall est utile pour le futur. Ses amis et compagnons, notamment Jo Diop et Doudou Sène l’avaient suggéré à sa mort, il y a dix ans.
Disposer enfin du stade Mawade Wade empêche l’oubli facile d’un homme qu’on a toujours regardé dans sa démarche chaloupée en pensant à l’Albatros de Baudelaire et à ce dernier vers : "Ses ailes de géant l'empêchent de marcher." Mais ses idées le faisaient voler.