VIDEO"YOUSSOU NDOUR A JOUÉ DANS LA COUR DES GRANDS AVEC MOI"
Cheikh Ndigueul Lô
Il est l'un des artistes sénégalais qui tourne le plus sur le plan international. Il est invité avec son groupe aux plus grands festivals musicaux du monde. Avec son dernier album "balbalou", Cheikh Lô vient de gagner la world music expo. Le prix lui sera remis en octobre prochain à Budapest, en Hongrie. En attendant, l'auteur de "Doxandem" s'est confié à EnQuête. Avec ses dreads locks dont la longueur dépasse ses genoux, il s'est chaleureusement prêté à nos questions. Sans faire dans la langue de bois, il dit ce qu'il pense de l'évolution de la musique sénégalaise et revient sur les grandes réussites de sa carrière.
Vous êtes nominé au World music expo 2015. Qu'est-ce que cela représente pour vous ?
Il faut d'abord que j'explique aux gens c'est quoi le Womex. C'est un marché de la musique où se retrouvent tous les agents d'artistes chaque année afin que ces derniers puissent participer aux différents festivals. Depuis 1996, on côtoie ces gens-là. Cela fait donc 20 ans aujourd'hui. Cette année, j'ai le prix du meilleur artiste. C'est une fierté pour moi. Mais avant cette consécration, le précédent disque intitulé "jamm" a été sélectionné dans le Top 10 et classé numéro 1, après notre passage au Womad festival en Angleterre. Donc ce sont deux distinctions. Et vous savez, mon premier album (ndlr premier album international) "nala thiass" a été classé dans le Top 10 et était numéro 1.
Et c'était pareil avec le deuxième album "Bambay guedj", le troisième album "Lamp Fall" ainsi que le quatrième "jamm". Et "balbalou" est aussi dans le Top 10 et est numéro 1. Successivement, tous mes albums ont occupé la première place. Ce qui se passe n'est pas nouveau. Seulement, l'information est plus accessible aujourd'hui avec le développement des moyens de communication. Beaucoup pensent que c'est la première fois que je suis dans le Top 10. Ce prix ne m'a pas surpris. Car "jamm" a eu du succès. Et je peux dire que "balbalou" est plus mature. Donc ce succès ne me surprend guère. Dès le début, j'ai nourri un certain espoir par rapport à cet album. C'est en pleine tournée qu'on m'a informé du classement dans le Top 20 de l'album. C'est le journal Song line (ndlr un magazine anglais, il nous montre le numéro en question) qui a mis l'information à sa une.
Avez-vous reçu des félicitations de la part de votre tutelle ?
Pour le moment, il n'y a qu'Aziz Dieng qui m'a appelé pour me féliciter. Je crois qu'il est dans le cabinet du ministre de la Culture. Il est le seul pour l'instant. À part lui, ce sont des amis musiciens comme Souleymane Faye ou encore Henry Guillabert qui m'ont appelé (l'interview a été réalisée vendredi dernier). J'ai reçu des appels de partout venant de gens qui ne sont même pas dans le milieu de la musique.
Peut-être que l'autorité n'a pas encore reçu l'information. Je dois recevoir le prix en octobre normalement. Pour moi, c'est prématuré de saisir la tutelle ou la Présidence. Ce serait mieux d'attendre d'aller à Budapest où va se tenir la cérémonie de remise de prix avant de les rencontrer. Cette dernière sera médiatisée. Les gens auront l'information. Je pense qu'après cela, la tutelle ou la Présidence réagira.
Pensez-vous que la musique mbalax telle que composée actuellement pourrait gagner un prix pareil ?
Non, non je ne pense pas. Des fois, je critique positivement et il y a des gens qui m'écoutent négativement. Et ça, c'est un problème. Je dis des choses qui peuvent leur être utiles. Je ne leur donnerai jamais des conseils qui pourraient leur porter préjudice. Ce n'est ni dans mon intérêt ni dans celui du Sénégal. Des fois, j'ai même peur de dire certaines choses pourtant sincères et honnêtes. Ils pensent que je joue au savant alors que tel n'est pas le cas. Aussi, ce qui se passe actuellement montre que j'en sais assez pour pouvoir faire des observations. Ils doivent pouvoir m'écouter. A la génération qui arrive, je ne demande pas de ne pas faire du mbalax. Parce que vous pouvez trouver du mbalax dans ce que je fais. Mais c'est un mbalax soft, teinté de sonorités d'ici et d'ailleurs.
Cette ouverture dans ma musique me permet d'être écouté en Inde, au Japon et partout ailleurs dans le monde. Quelqu'un qui fait de la musique africaine avec des couleurs jazzy ou bluesy arrive à capter du public à travers le monde. Mais quand on décide de rester dans sa coquille en voulant faire du mbalax pur et dur comme ils le disent, on ne fera pas grand chemin. Au Mali proche, on n'y écoute pas du mbalax pur et dur encore moins en France ou en Guadeloupe. Pourtant ces gens écoutent les sonorités guinéennes et autres. On doit se poser des questions et se demander pourquoi pas nous.
Aussi, même les précurseurs ont compris aujourd'hui que cela ne paie pas. Ils se sont tournés vers la couleur acoustique. Youssou Ndour est le roi du mbalax mais il a fini dans l'acoustique. Et c'est une belle musique qu'il nous propose. Le dernier album d'Omar Pène est différent de ce que nous proposait le Super Diamono d'antan. Pène fait lui aussi de l'acoustique.
La couleur acoustique est très usitée dans les compositions musicales. Vous trouvez que nos artistes le font bien ?
Il faut qu'ils fassent attention. Quand on veut faire de l'acoustique, on doit savoir jouer de la guitare. Alors que les artistes que j'ai suscités ne savent pas jouer de la guitare. Donc, ils ne sauront jamais faire la vraie musique acoustique. Par contre, il y a d'autres générations comme celle de Pape et Cheikh. Je les vois jouer de la guitare et ils maîtrisent leurs accords. Je les encourage beaucoup. Dans le lot, j'identifie aussi Yoro Ndiaye, Carlou D et d'autres jeunes. Je pense que ceux-là peuvent percer sur le marché international et pourraient gagner des prix. Ils peuvent avoir cette chance s'ils continuent sur cette lancée et persévèrent aussi en exploitant d'autres univers musicaux. Cela ne leur coûterait rien d'aller dans divers pays d'Afrique à la recherche de nouveaux rythmes.
On a l'impression qu'au Sénégal, le grand public aime le mbalax pur et dur. Pape Diouf et Waly Seck mènent la barque actuellement au niveau national. Qu'en pensez-vous ?
Vous savez, Pape Diouf, c'est un peu Youssou Ndour. De ce que j'ai entendu de ses chansons, je n'y retrouve pas un timbre propre à Pape Diouf. Quand Pape Diouf chante, j'entends un peu des mélodies de Youssou Ndour et de Maïga. Je sais de quoi je parle parce que je connais leur registre. Waly, c'est vraiment l'incarnation de l'adage "tel père, tel fils". Cela va de soi, il chante comme son papa. Et vous savez, ce qui est intéressant avec son père, c'est qu'il ne se limite pas au mbalax pur et dur. Il est passé à l'orchestra Baobab qui est sa première école. Après il a fait de la musique traditionnelle avant de mettre sur pied le Raam Daan. Ces univers dans lesquels il a baigné lui ont permis d'avoir une certaine ouverture.
Quand on me parle de Waly ou de Pape Diouf, je trouve qu'ils font de la musique folklorique. Et c'est à cela qu'ils doivent leur notoriété. Parce que la masse folklorique est plus importante que les intellectuels musicaux (sic). Ces derniers sont minoritaires. Vous savez, quand on célèbre un mariage par exemple, les gens ne vont pas mettre ma musique. Ils se disent que c'est une musique d'écoute alors qu'eux ont besoin d'une musique endiablée. Pour cela, il leur faut du Waly, du Pape Diouf ou ceux qui font du kebetu. Ces derniers ont d'ailleurs plus la cote que ce duo de jeunes dans ce genre de cérémonies. Le "sabar", un clavier et juste une voix peuvent faire cette musique très rythmée. Et avec cela, on peut avoir un succès fou au Sénégal. Ce qui est dommage, c'est que cette musique n'est pas exportable. Alors je pense qu'à ces jeunes, il faut expliquer certaines choses. Vous savez, même quand vous vendez de l'arachide, il faut penser l'exporter. Pour penser ainsi, il faut être ambitieux aussi.
Si vous décidez de ne commercialiser votre produit qu'entre les quatre coins du Sénégal, vous pouvez faire un bon chiffre d'affaire mais vous pourriez avoir plus en vendant cette arachide dans d'autres pays. Cependant, pour écouler cette arachide aussi, il faut qu'elle soit de qualité. C'est pareil avec la musique.
Donc vous pensez que nos jeunes artistes manquent d'ambitions ?
Ce n'est pas une question d'ambition. On peut en avoir et manquer d'expérience. L'ambition peut être en chacun de nous mais il faut savoir la matérialiser et la valoriser. Quand on explore l'international, on a plus de rentrées d'argent. Quand on est artiste sénégalais et qu'on joue en France, il faut le faire devant des Français. Ainsi, il y a un échange culturel. Mais quand vous jouez devant des Sénégalais ou des Sénégambiens, cet échange ne peut se faire. Les groupes confirmés jouent dans les festivals et c'est bien.
Certes vous avez une reconnaissance mondiale, mais vous n'avez pas toujours une reconnaissance nationale. Cela ne vous frustre pas ?
Ah non ! non ! Moi, j'ai une reconnaissance nationale. Je ne me jette pas des fleurs mais si on doit m'appeler roi, je suis "le roi du folk". La reconnaissance de ce que je fais a commencé au Sénégal. Moi je suis resté ici pour me faire un nom sur l'international. J'ai sorti mon premier album "Doxandem" au moment où Coumba Gawlo ou encore Pape Djiby Bâ en faisaient autant à l'époque. Cet opus a été primé meilleur album de l'année 1990. Depuis, je fais mon bonhomme de chemin. Je suis l'un des premiers artistes à avoir presté au Just for You où se bousculent aujourd'hui les artistes.
Dire que Cheikh Lô n'a pas une reconnaissance au niveau national, c'est absurde. Tous les intellectuels musicaux, adeptes de bonnes vibes, me suivent régulièrement. Les gens qui sont folkloriques, qui aiment le tintamarre et le brouhaha, je ne les verrai jamais au cours de mes prestations. J'ai d'abord réussi ici avant d'aller à la conquête du monde. Aujourd'hui, ceux qui ne sont pas jaloux ou méchants reconnaîtront que le Womex, je le mérite. Et je pense qu'entre artistes, on doit s'écouter. Moi, on doit faire attention à ce que je dis. Je ne dirai jamais des choses qui pourraient porter préjudice à mes pairs.
J'ai souvent conseillé aux jeunes de s'intéresser à l'acoustique pour plus d'ouverture. L'avenir m'a donné raison. Le mbalax pur et dur "du dem". Moi, je ne boxe pas dans la même catégorie que tous les mbalaxmen. Je l'ai dit ici et cela n'a pas plu à certains. Mais sincèrement, on ne peut pas comparer des joueurs de navétanes à des footballeurs de la Champions League aussi. Youssou Ndour a joué dans la cour des grands avec moi tout comme Omar Pène, Ismaïla Lô, Thione Seck, Xalam ou encore l'orchestra Baobab. On ne peut pas comparer tous ces artistes à ceux qui n'ont pas encore atteint ce stade. Ils doivent aller découvrir d'autres univers musicaux. On a de bons instrumentistes ici. Ils ont plus de niveau que nos chanteurs.
Quels sont vos projets ?
Je reviens comme ça d'une tournée. Dans une dizaine de jours, je dois en commencer une autre. Je dois aller au Japon. Je reviens en septembre. En octobre, on sera en France et en Espagne. Le 25 octobre, je serais à Budapest. Après, jusqu'en avril 2016, je dois bouger et prester un peu partout.
Hollande vous a récemment invité à l'Elysée comment cela s'est passé ?
J'étais invité au sommet de la conscience pour le climat. On y avait invité beaucoup de gens parmi lesquels moi. C'est une première et je trouve que c'est une bonne chose. Le réchauffement climatique interpelle tout le monde. Ce n'est pas pour rien qu'on m'a choisi. Cela fait 20 ans que je chante "ndiarignou garab", "ndox", "mbedd mi". Quand je composais ces chansons, je ne m'attendais pas à cela. Je l'ai fait par devoir. Et voilà ce que ça a donné aujourd'hui. C'est moi qui ai clôturé le sommet avec la chanson "ndiarignou garaab".
Vos dreads locks sont longs, vous les avez mesurés ?
Non, je ne l'ai jamais fait. Je n'ai jamais pensé à les enlever, les couper ou juste diminuer la taille. Depuis 1984, l'année de naissance de l'aîné de mes enfants, je les porte. Je ne pense pas les couper ou me raser et qui le fait mourra (il pouffe de rire).