«CE QUE JE PENSE DE LA MUSIQUE SENEGALAISE…»
Yeye Faye, fils du célèbre guitariste Lamine Faye n’est pas très connu du public. Cependant ce pianiste hors pair, établi en France, reste un « Slideman » très couru.
Son projet est d’organiser prochainement une grande soirée hommage dédiée à son père. Cet artiste de talent très peu disert et un peu timide, s’est confié au Témoin.
Fils de Lamine Faye, vous restez cependant loin de l’ombre du père. Qui se cache derrière le fils ?
Comme vous le savez, je suis issu d’une famille de musiciens. J’ai commencé la musique au Sénégal et j’ai joué avec Cheikh Lo, Alioune Mbaye Nder, Vieux mac Faye etc., avant d’aller en France. mon père, Lamine Faye Lemzo, a joué une part prépondérante dans l’évolution de la musique sénégalaise actuelle. J’ai donc grandi dans cette ambiance musicale et les influences de mes oncles comme : Vieux mac, Habib, Moustapha et tous les autres qui ont été plus ou moins déterminants dans mon envie et mon ambition de devenir à mon tour musicien. Cependant, je ne me suis pas contenté de cela et j’ai eu à parfaire ma formation dans un très grand conservatoire en France. Bien qu’ayant fourbi mes armes au Sénégal, j’ai senti le besoin de parfaire ma formation pour être mieux outillé et vivre un peu plus pleinement ma passion. Cependant cela n’enlève en rien la qualité de la formation initiale que j’ai reçue au Sénégal avant de m’établir en France.
Pourquoi le choix de la France pour y exercer votre art ?
Je suis allé en France pour découvrir d’autres horizons musicaux. J’avais vraiment envie d’y évoluer musicalement. J’avais déjà compris que la musique demande beaucoup de travail et beaucoup d’apprentissage. C’est donc dans le souci de me perfectionner et de relever mon niveau que je suis parti m’instruire. Ce qui signifie que la formation joue aussi une place importante dans l’évolution de la carrière d’un artiste. il faut donc tout faire pour être bien formé. Cela facilite l’évolution de l’artiste, car la musique est un langage universel et il faut être bien formé pour pouvoir échanger et jouer avec tout le monde. il n’existe pas de frontières en musique, mais cela ne doit pas nous empêcher de nous former. C’est en tout cas ma vision des choses et c’est pourquoi j’ai consenti à repartir à zéro pour disposer enfin d’un bagage musical plus conséquent.
Cette expérience résume – t-elle le contenu de votre seul album ?
L’album intitulé « Adn » est sorti depuis le 30 mars 2018. C’est un mélange entre le jazz et des rythmes africains dont le « mbalakh ». Malheureusement, l’album n’est pas très connu au Sénégal pour plusieurs raisons. Déjà, la plupart des sénégalais n’écoutent pas le jazz vu que c’est une musique avec beaucoup de dissonances et que la plupart des musiques folklores du Sénégal ne sont pas dissonantes. il n’est pas évident d’être à l’étranger et de promouvoir un album à distance. et même le « mbalakh » qui est la musique la plus écoutée ne marche pas pour tout le monde. Pour cet album, je tenais à marquer mon empreinte et surtout affirmer mon identité musicale. Le produit peut être considéré fort justement comme ma carte d’identité. C’est pour cela que le titre « Adn » a été choisi. il ne s’agit pas de me singulariser, mais juste d’annoncer la couleur et de jouer ma partition.
L’album est certes loin du « Mbalakh » mais porte une identité africaine ?
C’est vrai ! On y retrouve beaucoup d’influences sénégalaises. On y entend des sons de kora et de sabar. J’ai également intégré d’autres influences sans oublier le fait que ma formation très jazzy transparait tout au long de l’album qui a été très bien accueilli par les mélomanes et puristes férus de cette autre forme de jazz.
Que pensez- vous du « Marimba » dont votre père porte l’identité. Pourquoi n’en jouez –vous pas ?
Le marimba est super ! il est presque impossible de faire de la musique sénégalaise sans l’utiliser. Ce qui signifie qu’il a son importance. Je n’en joue pas parce qu’à mon avis, il y a assez de musiciens sénégalais qui en jouent à merveille. il y a aussi le fait que dans ma famille presque tout le monde en joue. il est vrai que notre famille a joué un rôle prépondérant dans la diffusion et la popularisation de ce rythme. Personne ne peut nier l’apport inestimable d’Adama, d’Habib sans oublier Moustapha.
Vous comptez rendre hommage à votre père en septembre. Comment se déclinera cette soirée ?
Cet évènement que je vais organier le 27 septembre prochain au théâtre Sorano est d’une importance capitale à mes yeux. Tout est venu naturellement. Comme le stipule l’adage, on n’est jamais mieux servi que par soi-même. il y a aussi le fait qu’il fallait attendre d’avoir les moyens pour le faire. C’est une initiative personnelle et je dois admettre qu’il y a de cela quinze années en arrière, je n’avais pas les moyens de le faire. Donc je pense que le hasard n’existe pas et que là, c’est le bon moment.
Est-ce une manière de récupérer cet héritage que certains membres du Lemzo ont essayé de réclamer?
Pas du tout ! Je le fais parce que je dois le faire et que les gens me demandent de le faire. Ce groupe fait partie de mon histoire, les membres répétaient à la maison et chaque chanson me rappelle mon enfance. il n’est pas du tout, question de récupérer quoi que ce soit. Le Lemzo est un patrimoine que nul ne peut extirper de l’histoire de la musique sénégalaise. Ce groupe a été une école pour nombre d’artistes sénégalais et à sa manière, il a révolutionné la musique sénégalaise. Donc c’est très naturel qu’un fils choisisse de rendre un hommage mérité à son père qui a joué parfaitement sa partition. C’est juste une manière de rendre à César ce qui lui appartient. Lamine Faye Lemzo mérite cela et c’est donc très logique que je décide de lui rendre cet hommage de son vivant. Je dois quand même pouvoir revendiquer cette légitimité.
Cela veut-il dire que vous ne cautionnez pas les hommages qu’il a déjà eus?
Pas du tout ! J’estime juste que cet événement sera différent. C’est un fait quasi unique dans les annales de la musique sénégalaise. C’est un fils instrumentiste qui revisite le répertoire de son père pour lui rendre un vibrant hommage mérité et qui vient à son heure. C’est aussi simple que cela et il n’y a rien d’autre derrière.
Habib Faye votre oncle est parti sans que son œuvre ne soit vraiment connue et reconnue. Voulez-vous éviter cela à votre père ?
Habib Faye était un très grand musicien. Sans doute l’un des meilleurs musiciens sénégalais de tous les temps. Mais ceux qui connaissent, le reconnaissent. D’autres font semblant de ne pas le connaître. C’est un peu dommage mais nul ne peut nier l’apport inestimable d’Habib dans l’évolution de la musique dans ce pays. il n’est pas le seul dans la famille et c’est juste un don de Dieu et il nous appartient de fructifier cet héritage. Je souhaite une longue vie et une bonne santé à tout le monde, mais c’est important pour moi de rendre hommage à quelqu’un de son vivant.
Parlez- nous maintenant des détails de cet hommage. Y avez- vous associé les ténors de la musique avec qui votre père a eu à jouer. Car, à l’exception de Baba Maal, il a joué avec tous les grands chanteurs de ce pays.
Tous les ténors de la musique sénégalaise seront invités. Je pense qu’il a joué avec Baaba Maal lors du premier « Diapason » du Lemzo Diamono présenté à l’époque par Ambroise Gomis. Ce qui renseigne effectivement sur la dimension de l’artiste. Je ne dirai pas qu’il est incontournable, mais il a énormément fait pour la musique de son pays-
Est-ce que l’Etat vous accompagne dans ce projet ?
Pour le moment, je suis seul à m’occuper de l’organisation. J’ai tout financé sur fonds propres et cela n’est pas facile. Cependant nous comptons bien y associer l’état et toutes les autorités de ce pays. Nous allons les saisir par courrier pour les informer et aussi les associer à ce que je considère comme une fête. Car lamine Faye appartient à tout le Sénégal. « Je me retrouve plus sur la musique rétro… Je pense que ces albums étaient vraiment aboutis et très bien travaillés »
Comment jugez-vous l’évolution de la musique sénégalaise ?
La musique sénégalaise évolue comme elle doit évoluer. il y des choses intéressantes. Mais en tant que musicien, je me retrouve plus sur la musique rétro avec les titres du genre : « all eyes open » de Youssou Ndour, « nila » ou « Cheikh Anta Diop » de Omar Pène, « Mouslay » de Touré Kunda, « sakhar » de Ouza Diallo, « Doley « de Xalam 2 etc. Je pense que ces albums étaient vraiment aboutis et très bien travaillés. Je ne dis pas que tel n’est plus le cas de nos jours, mais vraiment il y a des choses à améliorer. La musique sénégalaise regorge d’une infinité de rythmes et il appartient aux musiciens de l’exploiter. Vous avez joué avec les Touré Kunda.
Comment s’est fait le contact ?
Le contact a été établi par le biais d’un ami du nom de Laye kane qui est également guitariste de ce groupe. C’est vraiment un immense honneur d’avoir travaillé avec ces grands artistes qui ont fait connaitre notre musique aux quatre coins du monde. C’est une belle expérience et j’ai beaucoup appris à leur côté.
Vous avez également fait des piges chez Omar Pène. Comment avez –vous vécu cela avec celui qui a longtemps cheminé avec votre père ?
J’ai fait quelques concerts avec Omar Pène qui m’a une fois dit ceci : « Je ne savais pas que Lamine a un fils musicien ». Ça m’a fait plaisir de jouer la musique du super Diamono qui a toujours été une école pour moi .tout le monde connait l’histoire d’Omar Pène et ses relations particulières avec les musiciens de la famille surtout Adama Faye. il lui a dédié une belle chanson et leur complicité était connue de tous. Tout le monde se souvient de la fameuse chanson qu’il lui avait dédiée. Comme quoi c’était très profitable pour moi de jouer avec ce grand monsieur
Comptez- vous associer à cet hommage les anciens membres du Lemzo ?
Bien sûr ! Tous les anciens seront invités. Pape Diouf sera notre invité d’honneur. Ce sera une véritable fête de famille. Comme je l’ai dit tantôt, j’ai grandi avec tous les anciens membres et c’est toute cette belle famille qui sera conviée. On va revisiter tous les grands standards du Lemzo Diamono, lesquels seront interprétés par des artistes surprises dont les invités et tous les anciens de ce groupe.
Le mot de la fin…
Mon souhait est de voir la musique au Sénégal mondialement connue et qu’elle devienne une industrie afin que tous les acteurs culturels puissent y retrouver leurs comptes tout en restant au Sénégal. Je profite de l’occasion pour convier tous les sénégalais à venir nous soutenir. Dans mon esprit, il faut juste célébrer de son vivant et j’y tiens vraiment. Mon père est un artiste exceptionnel qui a toujours travaillé dans l’ombre et dans le silence. La qualité de son travail plaide vraiment en sa faveur et je souhaite que cette fête soit une véritable réussite grâce au soutien des sénégalais à qui il a procuré d’intenses moments de bonheur.