LE LEGS DE CEERNO SILEYMAANI BAAL
Cheikh Tidiane Gadio estime qu’il faut «sortir l’œuvre de Ceerno Sileymaani Baal de la clandestinité historique», tandis que, pour Marième Selly Kane, c’est «injuste» de continuer à maintenir dans l’oubli, l’œuvre de ce grand homme
Depuis 2016, l’Association Ceerno Sileymaani Baal (Csb) a entrepris de réhabiliter la vie et l’œuvre de Ceerno Sileymaani Baal, pour mieux faire connaître la révolution du Fouta de 1776, qui est l’une des révolutions marquantes de la sous-région sénégambienne, et qui a aboli l’esclavage de façon pacifique. Cheikh Tidiane Gadio, qui s’exprimait hier à ce colloque, estime qu’il faut «sortir l’œuvre de Ceerno Sileymaani Baal de la clandestinité historique», tandis que, pour Marième Selly Kane, c’est «injuste» de continuer à maintenir dans l’oubli, l’œuvre de ce grand homme qui a tant fait pour l’Afrique.
Ceerno Sileymaani Baal n’appartient plus simplement au Fouta, mais il est une institution. Il nous parle tous les jours, parce que son message est toujours actuel. Ses héritiers, dans la lettre et dans l’esprit, et pas juste héritiers par le sang, se sont réunis au sein d’une association. Depuis le 23 novembre, l’Association Ceerno Sileymaani Baal (Csb) et le département d’histoire de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar organisent un colloque international sur la révolution torodo. Une révolution qui a la spécificité d’avoir conduit à l’instauration du régime de l’Almaamiya, qui est quand même le premier régime démocratique de l’histoire africaine, si l’on conçoit que la révolution américaine de 1776 est venue quelque mois après et la grande révolution française de 1789, ensuite. «C’est une révolution qui a été menée par des hommes de religion qui ont été amenés, à un moment donné, à prendre les armes contre les Maures et pas contre les Satiguis (souverain des Deniyankés)», a expliqué Marième Selly Kane, membre de l’Association Ceerno Si¬leymaani Baal et par ailleurs, représentante du Gouverneur Moustapha Kane, doyen d’âge des petits-fils de CSB.
Selon elle, c’est «injuste» aujourd’hui, qu’à chaque année dans nos universités, les professeurs de Science politique ouvrent les cours sur la «révolution française» et ne «pipent» pas un seul mot sur la «révolution du Fouta». Cependant, l’Asso¬ciation Ceerno Sileymaani Baal a jugé nécessaire d’amener le débat à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, le temple du savoir, tout en privilégiant l’approche scientifique parce que des questionnements se posent. Etait-ce vraiment une Révolution ? Est-ce que tous les critères ont été respectés ?
Marième Selly Kane de répondre : «Oui, d’une certaine manière, il y a un débat d’école là-dessus. Certains vous diront que ce n’était pas vraiment une révolution, du fait que le l’effectif n’était pas énorme, et d’autres vous diront que, par la démarche et la méthodologie, c’était une révolution, et surtout elle a abouti à une Constitution».
Pour Marième Selly Kane, les recommandations de CSB sont parfaitement d’actualité et il faut les remettre au goût du jour. Elle a constaté que la révolution du Fouta est méconnue des Sénégalais et que l’on n’enseignait pas Ceerno Sileymaani Baal. Mais, cela doit changer. «Les sciences sociales nous apprennent l’état de notre démocratie. Et il faut réhabiliter l’oeuvre et les actions de CSB et ces grands hommes qui nous ont laissé un legs fondamental», a-t-elle fait savoir. Sur les principes fondamentaux des modes de gouvernance en Afrique, beaucoup de choses ont changé. «Aujourd’hui, on voudrait que les gens apprennent les idéaux et les chartes de CSB. En ce moment, il est évident que la jeunesse africaine va prendre en charge sa destinée», a-t-elle souligné.
«Il faut sortir l’œuvre de Sileymaani Baal de la clandestinité historique»
Dr Cheikh Tidiane Gadio, qui s’exprimait à l’occasion de ce Colloque international sur Ceerno Sileymaani Baal et la révolution du Fouta de 1776, estime, quant à lui, que ce colloque est extrêmement important. Figure emblématique de l’histoire du Fouta, dans sa vision prophétique, Ceerno Sileymaani Baal avait bâti un système qui inspire encore les démocraties modernes. Et selon Cheikh Tidiane Gadio, l’Afrique commence non seulement à célébrer ses héros, mais également à les reconnaître pour leurs contributions. Il estime, par ailleurs, que c’est bien de chanter les ancêtres, de montrer qu’ils étaient grands, mais cela ne règle pas le problème «si nous n’avons pas les moyens d’apprendre d’eux et voir comment on peut mettre en œuvre leur modèle et leur exemple», souligne-t-il.
Et de poursuivre : «La grande question que je me pose, c’est comment Ceerno Sileymaani Baal a été un homme d’une brillante expertise, non seulement en matière de religion, mais aussi en matière de société et d’institution politique ? Comment il a pu proposer un tel système au Fouta ? Pourquoi on n’arrive pas à faire autant ou à faire mieux ?». Comme tous les visionnaires, Cheikh Tidiane Gadio trouve que Ceerno Sileymaani Baal a dépassé son siècle, il a même dépassé les siècles suivants, et il nous l’a prouvé.
Dans le même sillage, il déclare que : «Il faut sortir l’œuvre de Sileymaani Baal de la clandestinité historique et même essayer de poser la question : pourquoi, il y a une tentative d’étouffer, d’effacer, d’ignorer ou d’isoler son œuvre ?» Toujours selon lui, en répondant à ces questions, ça aidera peut-être d’autres grands innovateurs, d’autres grand héros de la cause africaine au Fouta, dans le reste du Sénégal et peut être en Afrique, qui subissent encore les affres de l’anonymat, de la non-reconnaissance, à régler ce problème. «La pensée politique de Ceerno Sileymaani Baal est incontestable et toujours d’actualité. Il était un homme vertueux, un érudit, un homme compétent.
Et l’Afrique souffre aujourd’hui de tout ce qu’il a dénoncé à l’époque», a-t-il fait savoir. Pour vulgariser davantage l’idéologie de Ceerno Sileymaani Baal dans le monde, Cheikh Tidiane Gadio estime que c’est tout à fait possible, parce qu’il y a, aux Etats-Unis et partout en Afrique, des grands historiens et Afro-Américains, panafricanistes, si on leur donne les actes de ce colloque, ça peut être le début d’un mouvement sur l’œuvre de Ceerno Sileymaani Baal. Il faut noter également, qu’au-delà de ce colloque marquant le 245éme anniversaire de la révolution du Fouta, il y avait un brassage culturel entre l’Association Ceerno Siley¬maani Baal et la Fondation Khaly Amar Fall de Pire, invité d’honneur du colloque. «Les belles relations, que nous sommes en train de tisser ou que nous pourrons tisser à partir de ce moment entre héritiers de Khaly Amar Fall et Ceerno Sileymaani Baal, sont le fruit d’une vie passée ensemble et d’un itinéraire partagé entre leurs ascendances dans leurs quêtes religieuses, mais aussi pour le contrôle de la vie politique de leur communauté d’origine au Fouta», a expliqué Modou Fall, professeur de Chimie a la Faculté des sciences et techniques de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.