FAADA ET NDONGO DÉCRYPTENT LES MUTATIONS SOCIALES DÉGRADANTES DU PAYS
Entretien Exclusif avec Daara J Family
Faada Freddy et Ndongo D du Groupe Daara J Family ont fini de sillonner le monde. Ces deux natifs de la Médina, un quartier de Dakar, habitués des scènes internationales, projettent un regard lucide sur la situation actuelle du Sénégal. Gardant de manière jalouse, un ancrage solide dans leur pays, ces talentueux artistes, maîtres de leur art, regrettent la dégradation économique, l’emprise de la pauvreté, la violence dans ses différentes facettes. Avec une longévité exceptionnelle dans la musique, auréolé d’une solide expérience, le Groupe Daara J Family qui a mis récemment sur le marché national et international deux singles : « Baal ma » et « Women », rappelle à l’ordre les politiques et richissimes sénégalais à une prise de conscience pour un mieux-être social des Sénégalais. Leur souhait reste un Sénégal de paix, stable et profitable à toute la communauté. Entretien Exclusif.
Vous aviez abordé le thème de la violence à travers votre single « Anti blood » (stop la violence) dans les années 90. Celle – ci est toujours prégnante. Quelle lecture en faites-vous ?
Ndongo D: Entre les années 90 à maintenant, beaucoup de choses ont changé. Il en est de même au niveau des comportements et les modes de vie. Les gens sont beaucoup plus dans la connectivité. Sur la géopolitique, quand nous jetons un regard en tant qu’artistes africains, le même constat de changements radicaux revient. Économiquement, le vécu de nos concitoyens est devenu beaucoup plus compliqué. Nous avions certes annoncé par anticipation la couleur à travers l’album « Xalima ». L’Afrique doit aujourd’hui anticiper sur beaucoup de choses. Nous avions dit « Anti-blood ». Aujourd’hui, ce qui a changé, ce sont les comportements, les modes de vie, les relations etc. L’argent est beaucoup plus présent et les gens deviennent égoïstes. Ils sont à la recherche permanente de profits. Et ici, c’est une petite minorité qui s’accapare des richesses et la grande masse reste défavorisée. C’est vrai, il y a des heurts dans certains pays d’Afrique. L’exemple par ce qui se passe dans la sous-région au Mali et au Nigéria. Même certains pays d’Europe ne sont pas épargnés. Par rapport à nos titres et messages des différents albums, nous savons qu’il y a beaucoup de choses à dire. Surtout en Afrique australe. En tant qu’artistes, nous vivons et remarquons des choses. Partant de ces constats, nous alertons en donnant notre point de vue. Ensuite, nous nous évertuons à transcrire pour aider à mieux prendre conscience des travers, des dépravations et dégradations des mœurs ainsi que la perte des valeurs morales et l’existence des violences sous différentes formes. Pour être plus justes, il faut reconnaître que les choses se sont davantage empirées. Il y a beaucoup de violences, surtout économiques. Et l’autre violence qui engendre des sévices corporels.
Justement avec votre single « Women », vous avez abordé le thème des violences faites aux femmes….
Nous avions remarqué que pendant le confinement avec la présence de la Covid-19, les violences faites aux femmes avaient augmenté. Elles se sont multipliées et ont même engendré des meurtres. Au Sénégal, et un peu partout dans le monde, nous sommes conscients de l’apport des femmes dans la société. Elles ont conforté cette société. En voyant ces scènes de violence, nous nous sommes dits qu’il est temps d’alerter et d’attirer l’attention. Notre idéal consiste à faire une piqûre de rappel par rapport aux mauvais comportements et à l’autoritarisme des hommes qui expriment avec violence leur domination masculine à travers les muscles. Alors que les violences physiques et psychologiques peuvent avoir des conséquences désastreuses sur le devenir et l’avenir des enfants. Cette peur engendrée aura un impact certain sur leur devenir. Donc, la violence faite aux femmes ne doit plus exister. Elle est plus motivée par une jalousie débordante et un manque de retenue. Certains hommes peinent à contenir leurs frustrations de voir, par exemple, une femme s’élever socialement. Souvent, ils prétextent la religion pour la rabaisser. Alors que la religion a toujours donné de la considération à la femme. Elle l’a élevée à une position de prestige. Etre un bon musulman, un chrétien et tout simplement un bon religieux, c’est aussi aimer la femme et bannir tout acte de violence.
On ressent des sensations et certaines émotions dans les chansons « Women » et « Baal ma ». Il y a également un sentiment de continuité. Qu’est-ce qui l’explique ?
Fada : Nous avons enchaîné les deux vidéos, «Women» et « Baal ma » qui résument la continuité sur les violences faites aux femmes. Dans le Coran, il y a une sourate appelée « Al Nissa ». Alors que les hommes n’ont pas eu ce privilège. Les enfants du monde entier doivent se mettre à genoux pour demander pardon aux femmes. Il est temps de reconnaître la place de la femme dans les sociétés…
D’habitude, vous êtes très radicaux dans vos prises de position. Présentement, le pays vit dans un contexte électoral. Qu’est-ce que vous avez à dire à travers votre musique ?
Si vous avez bien remarqué, nous avons sorti un album qui s’appelle « Yamatélé ». Cet album est très prémonitoire. Dans cet album, il y a autant de titres qui ont traité les thèmes actuels. La situation actuelle du pays a été décrite à travers le « pouvoir et l’argent qui rendent fou ». Dans d’autres morceaux, nous avions parlé des multinationales via nos élites, nos politiciens qui s’extirpent en profitant gracieusement de nos ressources. Certains titres de cet album ont résumé la situation actuelle du Sénégal. Nous avions même reçu des menaces pendant les événements de mars dernier. Ceux qui ont écouté l’album se rendent compte qu’on a tapé sur les difficultés du pays. Cela témoigne de notre engagement. Nous sommes toujours du côté du peuple. Comme on dit : « power to the people ». Nous pensions que des choses vont arriver. Mais nous continuerons à communiquer, à être la voix du peuple. Les élections, c’est bien beau. Mais, le pouvoir doit revenir et rester au peuple. Étant artistes et porteurs de voix, nous avons cette responsabilité de sensibiliser le peuple. Mais surtout, de faire un appel à la paix. En un moment donné, le Sénégal doit préserver cette paix et sa stabilité légendaire. Quand nous parlons de démocratie, le Sénégal en est un exemple. Donc, nous lançons cet appel à toute la classe politique, surtout ceux qui veulent devenir des maires ou aspirent à être à la tête du pays, à lutter pour la préservation des acquis. Qu’ils sachent qu’ils ont un legs sacré. Et le Sénégal ne sera jamais laissé entre les mains de personnes qui vont se servir et non servir le peuple.
On remarque que vous avez privilégié l’international au détriment de la proximité avec votre public. Et même s’il vous arrive de jouer à Dakar c’est souvent dans des lieux réservés à une certaine catégorie sociale. Etes-vous dans la perspective d’être beaucoup plus près de vos fans ?
C’est vrai ! Cependant nous avons prévu une tournée nationale pour rencontrer la nouvelle génération. Nous sommes en train d’y travailler. Mais à un moment donné, nous avions tenu beaucoup de concerts gratuits au Sénégal. Même là où nous jouons à Dakar, à la Cabane, les entrées sont abordables. Nous avons véritablement un public qui nous accompagne depuis les années 90. Pour les plus jeunes, nous avions dès fois, des plannings pour aller dans la banlieue. Nous tenons également des concerts digitaux gratuits. Actuellement, c’est une solution pour communier avec cette jeunesse. Il faut que les gens apprennent à aller s’abonner dans les pages de leurs artistes pour accéder aux nouveautés, aux activités, aux concerts et autres. Comme avec la pandémie, les gens ont eu à découvrir le télétravail et beaucoup d’autres choses. Donc, pour bénéficier des offres de gratuité de Daara J Family, il faut s’abonner à nos pages et chaînes Youtube du Groupe.
Quels sont vos objectifs et visions d’ici 10 ans ?
Nos objectifs, c’est de continuer à travailler et à faire ce qu’on sait faire le mieux. Pourquoi ne pas échanger avec la nouvelle génération et créer un espace pour partager notre expérience avec ces jeunes ? Il y a quelques temps, nous avions fait, un peu partout dans le monde, des ateliers, des « Workshop » autour de l’écriture et de la voix. Le plus important pour nous, c’est de pouvoir créer une dynamique permettant d’échanger avec les plus jeunes. L’objectif est de créer une plateforme qui va nous permettre cela. Mais aussi, de pouvoir faire de la bonne musique et tant d’autres surprises à l’avenir proche.
Comment voyez–vous la situation actuelle du pays ? Entre, violence, pauvreté extrême et la perte des valeurs ?
Nous sommes certains que la pauvreté engendre la violence. De plus en plus des parents deviennent plus violents. Les rapports entre parents et enfants ont changé. Puisque, n’ayant plus de moyens pour subvenir aux besoins de la famille, certains d’entre eux font dans la violence. Celle-ci se répercute forcément sur les enfants. Nous voyons des dirigeants très violents qui sont sur le qui-vive. Ce qui les intéresse aujourd’hui, c’est l’argent. Malheureusement, c’est au détriment des valeurs et de l’éducation. Même dans les écoles, il y a deux catégories. Les écoles où tout le monde peut payer et suivre des études normales et d’autres écoles avec des grèves en permanence. Il est temps que nos dirigeants arrêtent la violence dont la corruption constitue un pan. Le loyer, les denrées de première nécessité et autres produits hantent le sommeil des démunis. Ce qui entrave leur épanouissement. Aujourd’hui, l’argent devient la seule valeur qui compte. Les autorités et les riches du pays doivent avoir pitié de la masse et mieux aider les pauvres. Ce qui nous éviterait des scénarii comme les événements du mois de mars 2021. Le constat en est que ce sont les enfants de pauvres qui y ont perdu la vie. Des désœuvrés qui n’avaient presque plus rien à se mettre sous la dent et qui prenaient des risques. Pendant ce temps les nantis, les enfants des riches, bien entretenus, étaient restés tranquillement dans leurs maisons. D’autres victimes, constituées majoritairement de jeunes, prennent de manière violente les pirogues pour fuir la situation chaotique et la misère du pays. Nous demandons aux autorités étatiques et aux bonnes volontés à faire le nécessaire pour rétablir l’équilibre social. Nous avons aujourd’hui l’impression d’avoir deux Sénégal avec deux extrêmes dans la manière de vivre et de jouir des biens communs. D’un côté, nous avons le Sénégal des riches et de l’autre, celui des pauvres.
Après vos deux singles, qu’est-ce que vous préparez dans un avenir proche ?
Nous demandons aux fans de continuer à « streamer ». A partager ces singles. Nous leur donnons rendez-vous sur les chaînes du Groupe Daara J Family. Nous leur préparons de très bonnes et belles surprises. Nous sommes en studios pour d’autres projets. Maintenant, nous leur laissons ces titres : « Balma » et « Woman et leur demandons de faire du « Enjoy ».