LAT DIOR ATTEND LES HONNEURS DE LA NATION
Dans l’exotique quartier de Dekheulé Peulh, rien ne permet pas de percer le mystère du mausolée de ce personnage historique. L’oubli et l’usure ont eu raison du héros qu’il incarne. Ses héritiers réclament une célébration nationale du 27 octobre
En 2017, Le Quotidien s’était rendu sur les lieux ou Lat Dior Ngoné Latyr Diop, Damel du Cayor avait poussé son dernier soupir. A la place d’un majestueux sanctuaire, c’est dans un champ que repose ce résistant tombé sous les balles des colons. Mal entretenu et dévalorisé, le mausolée de l’ancien Damel du Cayor se morfondait au bout d’une piste latéritique dans une contrée logée au fin fond du département de Kébémer, dans l’indifférence de la République. Trois ans plus tard, le Mausolée a fait peau neuve et a été inauguré en grande pompe. Mais les revendications de ses héritiers restent toujours les mêmes : une célébration nationale du 27 Octobre.
L’oubli et l’usure ont eu raison du héros qu’il incarne. Dans l’exotique quartier de Dekheulé Peulh, une vue lointaine ne permet pas de percer le mystère du mausolée de Lat Dior. La savane ligneuse à même fini de cacher l’ancien ennemi du colon, encercle la tombe de l’ancien Damel du Cayor. Un site oublié, piétiné et véritable symbole du déshonneur que la Nation a réservé à son héros national. Le site souffre d’un manque d’entretien qui heurte la conscience des historiens et férus d’un sort glorieux aux figures historiques. Au-delà des cours d’eau sauvages, une couche poussiéreuse enveloppe l’atmosphère. Les plantes qui poussent aidant, c’est un décor qui est chahuté. Comme en témoigne le vestibule en fer qui ploie sous les assauts quotidiens de la rouille. Rats, moustiques et insectes s’y prélassent. L’insalubrité est omniprésente. Chevaux et ânes s’y pavanent. C’est le fief de Lat Dior Ngoné Latyr Diop qui, comme les fruits de l’infortune, voit sa mémoire se morfondre dans les antipodes de la postérité reluisante. Sans doute, l’ancien Damel du Cayor aurait mérité un hommage posthume auréolé de gloire et de respect. C’est loin d’être le cas. Dans ce mausolée, aucune enseigne ne montre que le héros national du Sénégal y repose. Quelques tas d’herbes sont amoncelés au moment où 5 arbres d’une somptueuse verdure entourent la tombe.
Mausolée à la merci de l’insalubrité
Impressionnant de loin en hauteur, le mausolée offre une sortie en forme de trapèze qui permet d’accéder à la tombe. Il est entouré d’un petit mur de clôture à la peinture rouge bordeaux et résiste difficilement à l’usure. Y accéder relève d’un exercice délicat. La peur de se faire piquer par les insectes rappelle la vétusté de l’édifice. Dans une stèle en marbre est gravé : «Ce monument a été inauguré le 27 octobre 1986 par son Excellence Monsieur Abdou Diouf, président de la République du Sénégal, Monsieur Makhily Gassama étant ministre de la Culture.» L’édifice souffre d’un manque d’entretien. Le temps impitoyable en longévité a percé les murs et fait voler en éclats les traces de peinture. «Sur ce champ de bataille est tombé le 27 octobre 1886 Lat Dior Ngoné Latyr Diop ; hommage rendu à tous les résistants sénégalais», lit-on en haut de la pointe du mausolée. Ici les pans des murs, s’ils ne portent pas les stigmates de la bataille avec le colon, accusent des fissures. Il est 14 heures. Le soleil darde ses rayons corrosifs sur Dekheulé Peulh. Les troupeaux, après de longues périodes d’errance, se déshydratent. La météo n’est pas loin des 40 degrés. Le mausolée de Lat Dior, haut perché de visu, est inaccessible. Il faut demander les clefs de la bâtisse fermée au public. «C’est le vieux Djiby Ba qui a les clefs de la tombe», nous indique un vieil éleveur accompagné de son troupeau. Dans la modeste demeure du conservateur du mausolée, les poules se promènent avec leurs poussins. Le vieux, lui, est occupé par les informations. La radio scotchée à l’oreille droite, Djiba Ba, nonagénaire, s’affranchit du poids de son âge pour aborder avec passion les questions liées à l’histoire de l’ancien Damel du Cayor. La téranga sénégalaise ne faiblit pas dans cette zone. Après la calebasse de lait servie à ses hôtes, Djiby Ba déroule dans un accent pulaar assez marqué. D’après lui, c’est Modou Coumba Diop, un témoin de l’enterrement de Lat Dior, qui lui a montré la tombe en question. Si ce témoin a rendu l’âme, le vieux, lui, la main sur le cœur, rapporte ses propos. «On a transporté Modou Coumba Laobé Diop jusqu’ici. Témoin de l’enterrement, il a dit que son père avait mis des tuiles autour de la tombe creusée sous l’arbre. Je lui ai fait visiter le secteur. Subitement, il a dit que c’est sous cet arbre que Lat Dior a été enterré par son père. Effectivement, en sondant le sol, je suis tombé sur des morceaux de tuiles. Je lui ai montré et il a confirmé. J’ai entouré la tombe de ‘’salannes’’ verts. Quand le nguiguisse est mort, j’ai planté un piquet en bois. Depuis lors, c’est le lieu que j’indique à tous les visiteurs qui cherchent là où l’ancien roi du Cayor a été enterré. Quand les autorités sont venues ici dans le cadre du centenaire de Lat Dior, je leur avais montré la tombe. C’est là où le mausolée a été érigé.».
Célébration nationale du 27 octobre réclamée par la famille de Lat Dior
Dekheulé Peulh est un quartier du village de Dekheulé où l’agriculture et l’élevage rythment l’activité des autochtones. Situé dans la commune de Darou Marnane, département de Kébémer (région de Louga), ce quartier espère désespérément profiter de la popularité de Lat Dior. Pourtant, les villages qui l’entourent accueillent des pèlerins, des Gamou et Magal. C’est le cas avec le mausolée de Mame Anta Saly, père de Serigne Touba, qui repose à Dekheulé Wolof, un quartier frontalier. D’ailleurs, Djiby Ba raconte que Me Abdoulaye Wade, alors opposant, avait visité en 1991 le mausolée en promettant de le réfectionner une fois au pouvoir. «Il est venu lorsqu’il était Président. C’était au début de mai, un passage express. L’objet de sa visite était d’aller voir Mame Mor Anta Saly», se souvient M. Ba. Lat Dior Ngoné Latyr Diop, né en 1842 à Keur Amadou Yala, est un résistant sénégalais qui a longtemps fait face au colon français. Conscient des enjeux pour le royaume du Cayor, il s’est farouchement opposé à la mise en place d’une liaison ferroviaire entre Dakar et Saint-Louis et à l’implantation de l’arachide. Après une série d’affrontements sanglants avec les troupes de Faidherbe et de Pinet-Laprade, Lat Dior et son armée se rendent à Dekheulé pour combattre les colons français et son ancien fidèle compagnon le Farba Kaba, chef des ceddos, Demba War Sall. Dans cette matinée du 27 octobre 1886, la Damel du Cayor, lors d’une bataille brève et sanglante, tombe à 11h avec deux de ses fils et 70 de ses compagnons, d’après les récits des colons. «C’est ici où Lat Dior est tombé», montre Abou Ba, fils de Djiba Ba. Une pierre qui comporte son histoire. En tourée de plantes, elle est mystérieusement épargnée par la verdure de la savane. A côté se trouve l’ancien puit de Lat Dior qu’il avait luimême creusé, nous dit-on. A sec avec le temps, ce réservoir d’eau conserve une étrange obscurité lorsqu’on dirige le regard en profondeur. C’est ici que Lat Dior s’abreuvait avec son cheval Malaw. Pour un des petits-fils de l’ancien Damel du Cayor, le sort réservé à son grand père n’est sans doute pas à la mesure de son combat. «Ce serait un honneur d’un faire une fête nationale, surtout dans les écoles. Depuis ma naissance, à part le centenaire de Lat Dior, je me pose à chaque fois la question de savoir pourquoi faire de Lat Dior un héros national et qu’on n’arrive pas à fêter sa mort», s’interroge Saër Diop, petit-fils de Lat Dior. Le rôle de la famille de Lat Dior dans tout cela ? Juste un mur de clôture érigé il y a quelques mois. «Au niveau de la famille, nous avons un peu failli, avoue M. Diop. Après la célébration du centenaire, il n’y a pas eu de suivi.»
Bijou touristique non exploité
Après avoir passé presque toute sa jeunesse à rendre propre le mausolée, le vieux Ba est à bout de souffle. Aujourd’hui, ce sont les jeunes du village qui ont pris le relais. Cependant, ces moments de désherbage sont sporadiques. Alors ministre de la Culture, Mbagnick Ndiaye avait envoyé une mission à Dekheulé pour s’enquérir de l’état du mausolée. Un appel d’offres a été lancé pour réfectionner le site. L’entre - prise en charge des travaux a effectué une visite de terrain il y a quelques mois. Depuis, le mausolée n’a pas changé de visage. «Je n’ai pas vu ce que Senghor a fait ici. C’est valable pour Abdoulaye Wade et Macky Sall. Abdou Diouf a organisé la fête du centenaire de la mort de Lat Dior. Wade est venu ici, mais n’a pas passé une minute pour ensuite rallier Darou Marnane et Mbacké Kadior. Pour Macky, on attend encore», dit Djiby Ba. En valorisant ce site, l’Etat pouvait également s’attendre à un bijou touristique dans la perspective de vendre la destination Sénégal. «Tous les gens qui passent ici nous disent que Lat Dior mérite plus que ça. Dekheulé restera toujours un lieu symbolique dans l’histoire du Sénégal. Je crois que l’Etat doit faire des efforts pour donner à Lat Dior la place qu’il mérite», invite Saër Diop. Une doléance pour un héros national qui dure depuis 134 ans.