LE CONTE, UN ART ORATOIRE QUI RAVIVE LA MÉMOIRE
Si la fable est une leçon de vie destinée au monde tout entier, le conte est un mythe dégradé, qui véhicule des concepts propres à une culture donnée
A Saint-Louis, dans les autres localités du Sénégal et des pays de la sous-région, le conte a toujours permis à nos ancêtres d’inculquer aux enfants des valeurs culturelles très importantes, sans éprouver le besoin de les brutaliser, gronder, rudoyer, rabrouer et frustrer. Si la fable est une leçon de vie destinée au monde tout entier, le conte est un mythe dégradé, qui véhicule des concepts propres à une culture donnée. Il demeure un produit de l’imagination, qui propose aux enfants des récits qui s’inspirent de leur culture, de leurs réalités, de leur histoire, pour les faire voyager entre l’invraisemblance, le merveilleux et le surnaturel….
C’est un truisme de dire que le conte joue un rôle prépondérant dans la société. À Saint-Louis, dès le bas âge, on avait l’habitude de se retrouver autour de nos parents ou de nos grands-parents pour les supplier de nous raconter de petites histoires imaginaires, très intéressantes et captivantes, qui finirent par nous bercer, nous consoler et nous faire voyager dans des contrées merveilleuses. Des récits et autres aventures « vivantes », qui s’inspiraient de nos valeurs culturelles, qui étaient conçus et narrés de telle sorte qu’ils pouvaient facilement nous endormir.
Les vieillards et autres patriarches de la vieille cité mettaient à profit ces échanges culturels exceptionnels avec les enfants, pour les éduquer, leur apprendre la vie, les orienter vers les bonnes pratiques, les bonnes manières, le civisme, etc.
À travers le conte, on était bien outillé pour apprendre à devenir adulte, à assumer nos responsabilités, à dissocier la bonne graine de l’ivraie, le bien du mal, à avoir le réflexe d’adopter les attitudes idéales dans la société, un comportement modèle dans le groupement social ou ethnique, auquel on appartient.
Au fil du temps, nous précise une vieille vendeuse de produits halieutiques, Mame Kana Diop, 83 ans, originaire de Guet-Ndar et domiciliée à Bountou-Baat, un village situé à quelques encablures de la Réserve spéciale de faune de Guembeul, les habitants autochtones de Saint-Louis ont appris ainsi à s’enraciner dans leur culture, leurs traditions et coutumes ancestrales, en s’adossant à ces contes de fées. Mme Diop confie : « Ces récits nous aidaient à nous distraire, à nous épanouir, à décompresser après une journée de dur labeur. Nous ne pouvions pas dormir sans écouter ces petites histoires intéressantes que nos parents nous racontaient ».
Pape Samba Sow dit Zoumba, natif de Saint-Louis, devenu un grand conteur, a eu l’occasion de voyager à travers l’Afrique, l’Europe et d’autres continents, en vue de présenter, de valoriser, de partager avec les enfants du monde, les contes et légendes sénégalais. À cet effet, il a obtenu des prix et trophées aux Emirats arabes unis, plus précisément à Sharjah, à Zagora, au Maroc, etc.
UN ÉCRIVAIN ÉCLECTIQUE
Cet écrivain éclectique est un artiste multi-facettes. Il est professeur de français au Cem Abbé Boilat de Saint-Louis, animateur culturel, poète, conteur, musicien, danseur, chorégraphe, producteur extérieur de radio et maître de cérémonie. Zoumba était aussi chargé de mission de la culture, durant le mandat de l’ancien maire de Saint-Louis, Cheikh Bamba Dièye.
père, Samba Sow, était directeur d’école et musicien clarinettiste, sa mère, Amina Sow Mbaye, était enseignante, écrivaine, chanteuse et guitariste. C’est dans cette atmosphère qu’il grandit pour devenir artiste éclectique et conteur.
Selon Pape Sow, contrairement à ce que presque tout le monde pense, « le conte n’est pas inféodé au théâtre, nous vivons un monde où tout est factice, apparence, la vérité est que le conte, en tant qu’art majeur, est un verbe puissant, issu d’une longue tradition orale, c’est toute l’oralité que le conte charrie ».
Dans son argumentaire, Zoumba s’évertue à mettre en exergue la différence fondamentale qui existe entre la fable, qui est une leçon de morale universelle et le conte, qui intéresse un groupement social bien déterminé, donc, qui n’est pas transposable.
Pour Sow, « Rien ne sert de courir, il faut partir à point », « La raison du plus fort est toujours la meilleure », sont des exemples de fables parmi tant d’autres. Le conte est destiné à un groupe particulier, « on peut juste l’adapter, c’est un langage particulier, différent de la langue, qu’on peut transposer, c’est difficile de raconter à un Européen, un Asiatique ou un Américain, les histoires de Mame Coumba Bang et autres récits imaginaires qui occupent une place importante dans nos cultures ».
LE CONTE DÉPASSE L’EDUCATION
De l’avis de Zoumba, le conte est chargé de la tradition orale, « il a une valeur ajoutée culturelle, chargée de symboles, de proverbes, de devinettes, de lavanes (Fable ou récit satirique originaire d’Afrique), de métaphores, qui embellissent l’histoire, qui véhiculent des concepts de l’éducation populaire ».
Plus explicite, Pape Samba Sow nous fait savoir que le conte est le vraisemblable qui se base sur la réalité fondée sur l’histoire, « mais pas n’importe quelle réalité ».
Parlant des différents types de conte, ce professeur de français fait allusion au conte de fées (un récit qui met en scène des personnages magiques), au conte philosophique (qui fait penser à la philosophie de Kocc-Barma), au conte initiatique (raconté souvent aux enfants circoncis), aux contes merveilleux, facétieux, littéraire, fantastique, etc. « Le conte dépasse même l’éducation pour tendre vers l’instruction, s’il est raconté par un comédien, ce dernier saura comment convaincre l’assistance, par la plastique de son corps », dit-il. Zoumba rend hommage, au passage, à de grands conteurs tels que Massamba Guèye, Babacar Mbaye Ndack, Ngary Mbaye, Fatou Kiné Sow, Coura Sarr…
Louis Camara, écrivain, auteur du « Choix de l’Ori », communément appelé « Le Conteur d’Ifa », Grand Prix du chef de l’Etat pour les Lettres édition 1996, soutient que le conte est un genre narratif traditionnel, oral, qui appartient à la littérature orale. Il existe depuis la nuit des temps et certains chercheurs disent que c’est un mythe dégradé. Parce qu’il n’a pas de fonction religieuse comme le mythe.
En nous rappelant ces définitions, M. Camara, professeur de français à la retraite, nous présente, séance tenante, un poème divinatoire écrit en langue Yoruba (une ethnie du Nigeria et du Bénin), duquel est tiré son chef d’œuvre, le fameux livre intitulé « Le Choix de l’Ori », considéré par des sommités du monde académique comme un conte romanesque.
Pour cet homme de lettres et de culture, de renommée internationale, « il existe des peuples qui n’ont pas de littérature, mais tous les peuples du monde ont créé des contes, ce qui équivaudrait à dire que le réservoir du conte est inépuisable ».
D’après Louis Camara, les mythes sont des récits, des réponses aux grandes questions existentielles comme la vie, la mort, le destin, etc. Le mythe veut non seulement expliquer le monde, mais il est religieux et peut avoir une fonction rituelle, « c’est une manière d’affirmer que le conte reprend un mythe profané, sécularisé, laïcisé, mais il vient du mythe ».
MYTHE ET CONTE LITTÉRAIRE
Sur la base de l’analyse pointue de l’hypothèse extraite de ce raisonnement discursif, on peut dès lors, soutenir, qu’à travers son œuvre « Le Choix de l’Ori », l’écrivain Louis Camara s’est évertué à transformer un mythe en conte littéraire. D’autant plus que les écrivains, en un moment donné, ont réussi avec brio, à faire du conte oral, un objet littéraire.
En Occident, au Moyen Âge, poursuit Louis Camara, on a été séduit par « Goupil, le Renard », les contes de Perrault, de Grimm, d’Anderson et autres grands conteurs qui se sont inspirés de la tradition orale. « Le conte a une valeur éducative, pédagogique et culturelle, ces trois fonctions sont liées, le conte oral est transmis directement au public et le conte littéraire est présenté sous forme de livre », indique-t-il.
Cet écrivain est formel lorsqu’il rappelle que le conte, en lui-même, est constitué d’éléments tirés directement de la culture, de la morale, de l’éthique, de la société, des mœurs, des valeurs cardinales… La langue est le véhicule du conte par excellence. Il s’est également appesanti sur la pertinence des « Contes d’Amadou Koumba » écrits par Birago Diop, de certains contes étiologiques, fantaisistes, philosophiques (Voltaire), des productions intellectuelles de Kocc-Barma, qui créait des aphorismes (paroles, sentences, qui ont pour but de mettre en valeur une sagesse populaire), d’Amadou Hampathé Bâ, de Bernard Dadié.
Louis Camara cite le président Senghor, Abdoulaye Sadji qui, à travers le conte sur Leuk le lièvre et Bouki l’hyène, un bijou littéraire, ont réussi à mettre en exergue l’opposition entre l’intelligence et la bêtise, la ruse et la stupidité, l’espièglerie et la naïveté, etc.