«A NOUS, HOMMES ET FEMMES DE CULTURE DE METTRE NOTRE TOUCHE POUR QU’IL Y AIT LA PAIX, LA CONCORDE ENTRE LA GUINEE ET LE SENEGAL»
Sansy Kaba Diakite, directeur général des éditions l’Harmattan Guinée
Les relations entre la Guinée Conakry et le Sénégal ont souvent été tendues. La fermeture des frontières entre les deux pays pendant l’épidémie d’Ebola et les élections présidentielles guinéennes ont beaucoup impacté sur la libre circulation des personnes et des biens. Face à cette situation, des hommes de culture ont décidé d’apporter leur touche pour que la paix revienne. A travers le projet dénommé Concorde Guinée-Sénégal (C.G.S), l’ancien ministre de la Culture et ancien ambassadeur du Sénégal à Conakry, Makhily Gassama et le directeur général des éditions l’Harmattan Guinée, Sansy Kaba Diakité veulent raffermir les liens entre les deux pays. Dans cet entretien que M. Diakité, de passage à Dakar, nous a accordé, il revient sur l’origine du projet et ses objectifs. Le Commissaire général du Salon du livre de Conakry, communément appelé «les 72 heures du livre» est d’avis que la littérature peut bien réussir là où les politiques ont échoué.
Avec d’autres hommes de culture, vous venez de mettre en place le projet Concorde Guinée-Sénégal. De quoi s’agit-il et d’où est venue l’idée ?
Nous avons été choqués pendant des mois. C’est un peu pour soigner les blessures qui ont été faites pendant la fermeture des frontières. La Guinée et le Sénégal sont unis par la culture et par l’histoire. On ne peut pas séparer ces deux pays ; mais à cause d’une crise politique et diplomatique, on a compris que les deux chefs d’Etat étaient fâchés et ça a impacté les populations des deux côtés des frontières. Ce qui a créé beaucoup de choses catastrophiques aussi bien du côté guinéen que du côté sénégalais. Parce qu’il y a beaucoup de Guinéens qui viennent au Sénégal, beaucoup de Sénégalais qui viennent en Guinée et nous savons qu’au niveau de la CEDEAO, c’est la libre circulation et des biens et des citoyens. Donc, ça a causé beaucoup de difficultés et nous, hommes de culture, professionnels du livre, intellectuels, nous nous sommes dits qu’on ne peut pas rester en marge de cela. Il faut faire bouger les lignes. Il faut parler. Il faut faire des actions pouvant ramener les deux hommes politiques à la raison, pour que les relations historiques et culturelles entre le Sénégal et la Guinée puissent se raffermir. Donc, c’est le but. Il y avait une crise et on souhaite aujourd’hui renforcer les liens d’amitié et de solidarité entre le Sénégal et la Guinée. C’est pourquoi on a souhaité, à travers des hommes et des femmes qui ont marqué les deux nations, faire des tables rondes, des conférences, une activité sportive, une pièce de théâtre et à travers la culture et le sport vraiment permettre les échanges réels entre les deux pays pour que les jeunes puissent mieux connaître l’histoire pour savoir que des Sénégalais ont fait des choses exceptionnelles en Guinée, des Guinéens ont fait des choses exceptionnelles au Sénégal. Donc, pour nous, le couple Sénégal Guinée doit pouvoir maintenir de très bonnes relations culturelles, diplomatiques, historiques pour le bien des deux nations. Il y avait une crise. Pendant l’épidémie d’Ebola, le Sénégal avait fermé ses frontières, à juste raison. Pendant les élections en Guinée, les autorités étaient sur la pointe des pieds. Elles ont fermé les frontières. Il y a eu des frustrations des deux côtés. Maintenant, revenons à la raison. Ces deux pays méritent mieux. Il faut qu’on renforce les liens d’amitié et de solidarité entre le Sénégal et la Guinée.
Comment comptez-vous déroulez votre programme ?
Vous savez, nous sommes unis par le professeur Djibril Tamsir Niane, El Oumar Tall, Camara Laye, Keïta Fodéba, David Diop, Amadou Matar Mbow, par de grandes personnalités qui ont marqué les deux pays. Nous nous disons : «l’acte que le Sénégal a réalisé quand le professeur Djibril Tamsir Niane est décédé, même si c’était de Covid-19, le Sénégal a envoyé un avion spécial avec la dépouille du professeur en Guinée». Ça, c’est un acte salutaire. Je pense qu’il faut saluer les autorités sénégalaises pour la grandeur, vraiment les remercier pour ce travail qu’elles ont fait pour les deux nations parce que Djibril Tamsir Niane appartient aux deux nations. Djibril Tamsir Niane avait fait un travail sur la Charte de Kurukan Fuga. On souhaiterait jouer cette pièce par le Théâtre national de Guinée au Théâtre national Daniel Sorano de Dakar. On souhaite revenir sur le parcours de ces grands hommes qui ont marqué l’histoire entre les deux pays à l’université de Dakar, à travers des tables rondes, des conférences, une exposition. On va exposer les œuvres d’art des deux pays au niveau du Musée des Civilisations Noires. On souhaite faire une activité sportive, une campagne médiatique pour parler de l’histoire entre les deux pays. On souhaite aussi créer une chanson entre des chanteurs sénégalais et guinéens pour vraiment faire passer le message sur l’histoire et la culture entre les deux pays. Donc, aujourd’hui, nous avons une base pour cette chanson. Des artistes sénégalais et guinéens vont poser là-dessus pour le bien des deux communautés. On va terminer par un match de gala entre deux symboles, Naby Keïta et Sadio Mané qui jouent dans le même club, qui étaient aussi frustrés par la fermeture des frontières et puis montrer à la face du monde que le Sénégal et la Guinée s’aiment, entretiennent de bonnes relations. Ce n’est pas les crises au sommet de l’Etat qui vont créer des difficultés entre les deux peuples. Il y a autant de Guinéens au Sénégal que de Sénégalais en Guinée. On doit pouvoir donner l’exemple aux autres pays d’Afrique de l’Ouest. Si on réussit entre le Sénégal et la Guinée, on va faire la même chose pour les autres pays. Je pense que l’Afrique a besoin d’unité pour vraiment renforcer sa capacité et aller vers l’émergence.
Avez-vous les moyens de vos ambitions ?
Nous avons les moyens de nos ambitions. C’est pourquoi on a commencé par ce qu’on sait faire. Sur le plan culturel, les éditeurs vont se mettre ensemble pour faire sortir des livres. Les écrivains vont écrire ensemble sur l’histoire, la culture entre les deux pays. Ces livres-là seront présentés pendant l’évènement. Les sportifs vont jouer leur partition et nous pensons que les politiques et les diplomates vont nous suivre parce que rien ne vaut la paix. La paix est fondamentale pour la stabilité, le développement et puis nous sommes dans un moment opportun. Il y a de nouvelles autorités en Guinée. Les frontières ont été ouvertes par le président Mamady Doumbouya qui met le rassemblement, l’unité, la paix, la cohésion des peuples au cœur de la transition. Je pense que c’est une opportunité pour nous de relancer toutes ces activités entre la Guinée et le Sénégal. Moi, je sais qu’il y a beaucoup d’étudiants guinéens au Sénégal ; il y a beaucoup d’étudiants sénégalais en Guinée. Ces gens-là ont souffert. Ces deux peuples-là s’aiment. Il faut qu’on arrête. Il faut qu’on se respecte. Il faut qu’on dialogue. Il faut qu’on fasse des choses pour pouvoir vraiment aider nos populations. Donc, ça ne sert à rien de se fâcher, de se créer des difficultés inutiles et pourtant nous sommes liés par la culture et par l’histoire.
Vous avez parlé beaucoup d’écrivains. Aujourd’hui, la littérature peut-elle réussir là où la diplomatie a échoué ?
Je pense que c’est vrai. La littérature est un outil aussi de diplomatie. Là où les politiques n’ont pas pu dialoguer, nous, déjà entre professionnels du livre, on a dialogué. Le Sénégal a été invité d’honneur en Guinée. La Guinée a été invitée d’honneur ici. On a continué, malgré la situation de crise, à communiquer. On a monté le projet Concorde Guinée-Sénégal, ici au Sénégal. On a monté en Guinée. On a continué à échanger, à travailler ensemble, à parler de façon diplomatique, discrète, avec nos hommes politiques, pour apaiser les choses, pour faire en sorte que les choses puissent se calmer et qu’il y ait réouverture. Donc, la littérature peut réussir là où les politiques ont échoué. Je pense que c’est le rôle des hommes de culture souvent de réussir dans des endroits où les autres n’ont pas pu réussir.
L’ex président guinéen, Alpha Condé, avait un peu des relations tendues avec son homologue du Sénégal. Aujourd’hui, son départ contribue-t-il à raffermir les liens entre les deux pays ?
Je pense que le président Alpha Condé aimait beaucoup le Sénégal. Il ne faut pas qu’on se le cache. Ses meilleurs amis étaient des Sénégalais. Il s’est marié au Sénégal. Ce qui s’est passé, c’est possible. Nous sommes des êtres humains, nous comprenons ça. Et, malheureusement, on n’a pas pu résoudre pendant son mandat. Mais, dès qu’il est parti, le président Mamady Doumbouya, conscient du mot clé de la transition qui est le rassemblement, l’unité, la paix, la justice, a toute de suite pris l’engagement de rouvrir les frontières, à résoudre le problème. Je pense qu’aujourd’hui, les choses sont calmes. Il y a la libre circulation des biens et des populations ; mais cela ne veut pas dire que les choses sont complètement résolues. Donc, à nous les hommes et les femmes de culture de mettre notre touche là-dessus pour que ça soit véritablement fait, qu’il y ait la paix, la concorde entre la Guinée et le Sénégal parce que nous ne méritons pas de nous fâcher entre nous.