«ON VIT DANS UNE SOCIETE QUI AUTORISE TOUT A L’HOMME ET RIEN A LA FEMME»
Son nom est lié au marché des hydrocarbures. Mais derrière le visage du redoutable homme d’affaires, Ameth Guissé se cache aussi un homme de lettres à la plume vigoureuse.
Son nom est lié au marché des hydrocarbures. Mais derrière le visage du redoutable homme d’affaires Ameth Guissé se cache aussi un homme de lettres à la plume vigoureuse. Son deuxième roman, «Une mort magnifique», lui a valu le Grand Prix Cheikh Hamidou Kane du roman africain. Ameth Guissé vient de publier son cinquième ouvrage. «Autour d’Anita» le ramène sur le terrain de son premier ouvrage «Femmes dévouées, femmes aimantes» dont il livre l’épilogue.
Autour d’Anita, votre dernier roman, est la suite de Femmes dévouées, femmes aimantes, votre premier roman, paru il y a dix ans. Pourquoi cette longue attente ?
D’abord, parce qu’initialement je n’avais pas pensé à faire une suite à Femmes dévouées, femmes aimantes. Je voulais laisser la fin tel quel et laisser à chaque lecteur le soin d’écrire sa suite. Mais après, il y a eu des demandes insistantes des années durant de certains lecteurs qui m’envoyaient des messages et qui voulaient savoir ce qu’est devenue Anita. Et par ailleurs, il y a aussi mon éditeur, Dr Abdoulaye Diallo, directeur de L’Harmattan, qui de son côté recevait des demandes en ce sens. Et finalement, je me suis dit je vais essayer d’écrire une suite à Femmes dévouées, femmes aimantes.
A la fin de ce roman, on voit Anita dans une situation assez troublante, assez confuse. Elle a eu un accident très grave, consécutif à la nouvelle qu’elle venait d’apprendre que son mari s’était marié en deuxième noce. Et à son insu. Et elle l’a su le jour du décès de son beau-père. Alors, elle est partie en roulant dans l’insécurité de Dakar, jusqu’à subir un accident. Et à partir de ce moment, c’était la fin de Femmes dévouées, femmes aimantes. J’ai écrit Autour d’Anita surtout pour dire ce qu’est devenue Anita après ces évènements, voir dans quel état psychologique elle est.
Vous montrez la face positive de cette véritable amitié entre «femmes»…
Je ne dis pas que, de manière générale, toutes les femmes tissent une amitié tendre et passionnée. Je dis que l’amitié tendre «existe» entre femmes. Comme Tolstoï qui dit «l’amitié tendre et passionnée n’existe qu’entre femmes». Cette sympathie au sens premier du mot veut dire souffrir avec quelqu’un.
Entre des amis véritables, les choses se ressentent au premier degré. Comme je le dit dans l’ouvrage aussi, les femmes sont toutes solidaires quand l’infidélité est constatée. Toutes les femmes sont meurtries par ça. Et quand vous voyez dans le livre Saly qui est aussi amie de Meïssa Bigué, elle se rapproche beaucoup plus de Anita que de Meïssa Bigué parce qu’elle sait.
Dans Femmes dévouées, femmes aimantes, c’est Saly qui avait ramassé cette lettre dans la voiture de Anita où cette dernière se confie à son amie Elise pour lui montrer la lâcheté de l’aimé. Et Saly était meurtrie par cela. Dès lors, elle porte Anita dans son cœur. Et Anita ne sait pas jusqu’à présent que Saly connaît très bien Meïssa Bigué. Saly a voilé cette partie de l’histoire. Et vous voyez que Saly, au lieu d’être beaucoup plus proche de Meïssa Bigué qui est son ami, devient solidaire de la cause de Anita, parce qu’elle voit que Anita était meurtrie et trahie. C’est pourquoi j’ai dit que les femmes sont toutes solidaires quand l’infidélité est constatée.
Et comment arrivez-vous à vous glisser dans la peau de ce personnage féminin, à comprendre son état psychologique ?
(Rire) Je ne sais pas, si c’est compliqué ou non. Je ne sais pas, peut-être à force d’observer pendant longtemps les femmes pour de bon, certains vécus aussi, on arrive à comprendre un peu leur psychologie.
Dans le livre aussi, vous déconstruisez des croyances, vous dénoncez certaines déviances…
Dans le livre, Elise retrouve une amie complétement malade, parce que complétement «abîmée». Elle se dit : «Plus une personne malade réfléchit, plus elle a des chances de guérir. Donc, je vais essayer de l’inviter dans des débats philosophiques.» Et aussi, Elise a un profil pour explorer cette nouvelle voie qu’elle est en train de suivre, c’est-à-dire un certain vécu qui a quelque peu déstabilisé ses croyances. Et si bien qu’elle essaye de revenir sur ces grands thèmes comme le sort de la femme depuis le péché originel, Elise est de culture et de religion juive. Donc nécessairement, elle a été nourrie à l’ancien testament.
Elle se remet de ses grandes théories en montrant que ce qui arrive n’est pas forcément a fortiori, c’est peut-être dans l’ordre naturel des choses depuis le péché originel ou nous sommes considérés comme des êtres bannis. On vit dans une société qui autorise tout à l’homme et rien à la femme. Et donc pour elle, le déséquilibre de leur vie est relié à ce péché originel. Et elle va même plus loin en disant : et pourtant, si on n’avait pas croqué cette pomme !
Ces mots que vous mettez dans la bouche de Elise, vous y croyez vous-même ou bien c’est juste de la fiction ?
C’est les deux à la fois. D’abord, vous voyez bien, la religion musulmane – moi je suis musulman – ne connaît pas le péché originel. Mais dans la religion chrétienne et le judaïsme, le péché originel existe et on en parle. Donc, c’est suivant où l’on se situe. En tant que musulman, nous avons notre représentation de Adam et Eve. Et c’est le rôle des sociétés qui ont fait que la femme soit cantonnée à certains rôles, qui ont fait que l’homme prédomine et produise tout. Moi, je ne suis pas d’accord avec ça. Pour moi, la femme est un être spécial à part. Elle a un rôle éminemment plus important dans la société.
C’est la femme qui éduque, qui est la mère et c’est elle qui élève les enfants. En ce sens, c’est la femme qui forge l’homme de demain. Moi je pense que le rôle de la femme dans le devenir du monde est important et que ce monde doit être apaisé, un monde d’amour. Mais il est dévolu à la femme qui éduque, qui élève et qui doit cultiver des valeurs de tolérance chez l’enfant qui grandira avec. Pour moi, la religion divise, mais la spiritualité unit les gens. Un grand penseur disait : «La femme représente l’une des faces visibles de Dieu.» Et ça j’y crois fondamentalement.
Dans le livre, vous écrivez aussi que l’Occident est en train de pervertir l’humanité. Est-ce que vous pouvez expliquer un peu ce que cela veut dire ?
Oui ! cette perversion de l’humanité montre cette tendance nouvelle que Elise est en train de développer et que Anita ne connaissais pas d’elle. Cette vie débridée avec certains vices qui se constatent chez elle. Elise essaye même de théoriser sa nouvelle tendance en pensant aujourd’hui que la femme est en train de se départir de l’homme. C’est comme si elle insiste sur le fait que la femme aujourd’hui, dans cette culture occidentale et dans cette perversité, essaye de gommer l’homme. Et Elise essaye de tenter Saly dans cela. Femmes dévouées, femmes aimantes, vous verrez que Saly est une prostituée.
Mais malgré la précarité de sa vie, les mœurs qu’elle a eu à embrasser dans sa vie, elle est restée fondamentalement ancrés sur des valeurs. Elle n’a pas suivi Elise dans son invite. Et vous verrez dans le livre Saly, en amenant ce cadeau qu’elle offre à Elise, lui offrir un foulard. Et elle offre à Anita une pierre noire pour lui permettre de se rappeler ce très beau roman qui s’appelle Pierre de patience, parce qu’elle sait que Anita est aujourd’hui dans une posture avec beaucoup de chagrin, beaucoup de souvenir par rapport à ce qu’elle vit.
On vous connaît patron d’une société pétrolière. Comment êtes-vous venu à l’écriture ?
On ne vient pas à l’écriture. Je pense que l’écriture, on l’a peut-être dans son Adn et qu’on la sort un jour. J’ai toujours aimé la littérature, j’ai toujours aimé lire les classiques. Donc j’ai fait une formation scientifique et financière, mais j’ai toujours aimé lire. Si bien que peut-être c’est une face cachée en moi qui se révèle, c’est tout. Mais l’écriture, on naît avec. C’est comme un vers qui est dans votre tête et que un jour vous accouchez tout ce qui est à l’intérieur. Mais pour écrire aussi, il faut beaucoup lire.
Comment écrivez-vous ?
J’écris à la maison après le travail, quand l’idée ou l’inspiration me vient. Et aujourd’hui, avec les nouvelles technologies, on peut écrire facilement. On n’est même plus obligé d’être sur une table pour écrire. On peut écrire à partir de notre téléphone, de notre ordinateur, on peut écrire à partir de tout. Donc, c’est ce qui fait qu’à chaque fois que l’inspiration arrive, je peux écrire. Je ne me fixe pas d’objectif.