C’EST L’IMPUNITÉ QUI FAVORISE LA RÉSISTANCE À LA CORRUPTION AU SÉNÉGAL
Elimane Haby Kane, président de Legs Africa, livre une analyse sans complaisance de ce mal qui gangrène le développement du pays, tout en appelant les pouvoirs publics à réguler
Elimane Haby Kane, président du Think Tank Leadership, éthique, gouvernance et stratégies pour l’Afrique (Legs Africa) est formel : « c’est l’impunité qui favorise la résistance à la corruption dans ce pays. Parce que les malfrats sont laissés à leur liberté sans aucune sanction conséquente à la hauteur du délit commis ». Interpellé par Sud Quotidien sur la lutte contre la corruption au Sénégal, à la veille de la célébration, ce mercredi 9 décembre, de la Journée mondiale de lutte contre la corruption, il livre une analyse sans complaisance de ce mal qui gangrène le développement du pays, tout en appelant les pouvoirs publics à réguler.
Le président du Think Tank Leadership, éthique, gouvernance et stratégies pour l’Afrique (Legs Africa) Elimane Haby Kane, entrevoit dans le vœu pieux des pouvoirs publics de lutte contre la corruption à travers l’impressionnant arsenal juridique et institutionnel une désinvolture par l’absence de sanction. Malgré les mécanismes entrepris depuis les années 90, renforcés en 2000 au plan international et surtout l’accélération des réformes juridiques au Sénégal entre 2002 et 2003 pour lutter contre la corruption, il n’en demeure pas que «ce cadre juridique et institutionnel, bien fourni, reste inefficace», constate M. Kane pour le déplorer.
Selon lui : «La corruption est plus qu’un fléau encore présent et persistant au Sénégal». Et ce, malgré «l’arsenal impressionnant en matière d’institutions de lutte contre la corruption, la concussion et autre délits connexes». Toutefois, clame-t-il pour s’en désoler: «C’est l’inefficacité de ce cadre juridictionnel et institutionnel, bien qu’il soit fourni». Et ce, malgré des réformes qui ont renforcé certains organes notamment l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) qui remplace la Commission national de lutte la corruption, la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), «ils (organes) sont encore très inefficaces». Parce que l’action de contrôle de trace de la corruption ne va pas jusqu’au bout de la sanction. Et c’est «le maillon faible manquant au niveau de la sanction qui pêche», pointe-t-il du doigt. Parce que les organes, poursuit-il, «font leur travail en menant des enquêtes qui permettent d’identifier, de documenter des faits». Malheureusement, selon lui: «Il y a l’impunité qui caractérise tout ceci. Et donc, c’est l’impunité particulièrement qui favorise la résistance à la corruption dans ce pays parce que les malfrats sont laissés à leur liberté sans aucune sanction conséquente à la hauteur du délit commis».
La petite corruption gangrène le pays
Diagnostiquant la profondeur du mal, M. Kane évoque l’aspect sociologique qui, pour lui, ne cesse de prendre de l’ampleur. «La petite corruption a gangréné le pays et maintenant c’est presque devenu un système. Et c’est ceux qui résistent à la corruption qui sont marginalisés dans ce pays. Ce qui est alors dramatique. Et donc, ce qui veut dire que le phénomène prend de l’ampleur et est en train de se cristalliser. Et ceci est dangereux pour ce pays», alerte-t-il. Dans son cri de cœur, il appelle à la citoyenneté pour contrecarrer cette pratique malsaine en ces mots: «Il faut renforcer l’éducation à la citoyenneté, au patriotisme, au civisme, à la diffusion de valeurs qui puissent permettre aux citoyens de développer de bons comportements par rapport à la corruption», relève-t-il. Il ajoutera : « Il faut le faire de manière populaire parce que c’est à ce niveau que les défis sont énormes pour être relevés. L’éducation par l’exemple est aussi quelque chose d’important, voire essentiel dans nos familles et nos sociétés jusqu’au niveau supérieur, notamment au niveau des acteurs populaires visibles, s’il n’y a pas d’exemplarité, c’est peine perdue».
Les pouvoirs exécutif et judiciaire appelés à réguler
A en croire M. Kane, le président de la République qui concentre les pouvoirs entre ses mains et la justice doivent jouer leur partition pour combattre efficacement la corruption et autres actes de nature. Pour lui : «Si à ces deux niveaux là (président de la République, la justice), l’autorité est ferme et irréprochable en sanctionnant les coupables, je pense sincèrement qu’on arrivera à y mettre fin». Contre ce mal de société qui prend de l’ampleur et qui martyrise indubitablement l’économie nationale, il y a urgence à faire face avec plus d’engagements et de détermination. Ce, en dotant les organes de contrôle de plus de ressources humaines et financières leur permettant de mener des enquêtes pour un travail de qualité. Faute de quoi, c’est l’Etat qui perd en termes de mobilisation des recettes mais également de mauvaise qualité de service dans la construction d’infrastructures. M. Kane ajoutera pour conclure: «Les rapports doivent valoir puisqu’ils ont été réalisés avec les moyens du contribuable. A défaut, c’est une double perte (ressources humaines et ressources financières)».