« LA CRISE SANITAIRE VA IMPACTER LE NIVEAU DES RECETTES »
EXCLUSIF SENEPLUS - Nous devons rompre avec les systèmes financés par l’aide au développement - Il faut privilégier l’option d’une loi de finance rectificative pour adapter nos ressources à la nouvelle situation - ENTRETIEN AVEC MOUSSA BALA FOFANA
La facture économique du coronavirus risque d’être lourde pour le Sénégal comme pour beaucoup d’autres pays. Dans l’entretien accordé à SenePlus, le planificateur et banquier d’affaires, Moussa Bala Fofana, fait une analyse de la difficile situation économique qui peut résulter de la crise sanitaire provoquée par le Covid-19.
SenePlus : Étant donné que la Chine est l’un des principaux moteurs de l’économie mondiale représentant 16,3% du PIB, tout ralentissement significatif de son activité économique se traduit inévitablement par un ralentissement de l’activité économique mondiale. Alors ne risque-t-on pas, avec cette crise sanitaire du virus Covid-19 qui frappe la Chine, de vivre une récession économique majeure à l’échelle planétaire ?
Moussa Bala Fofana : Effectivement, la fulgurance de la pandémie impose un arrêt successif des moteurs de l’économie mondiale. Fatalement, les indices boursiers (CAC40, FTSE100, DOWJONES, le STOXX600 et S&P500) qui sont les symboles de la performance du système et de la confiance des investisseurs dans les bénéfices futurs des entreprises, accusent des pertes graves alors que le Vix qui est l’indice de la peur monte tranquillement et surement. Alors que nous n’en sommes qu’au début, la récession pour certains pays est évidente notamment l’Italie, l’Espagne et la France. Le pouvoir des banques centrales est limité, car il ne s’agit pas seulement d’un ralentissement lié à une crise systémique. Ici, nous sommes en face d’un phénomène inédit.
En effet, en plus de la peur des acteurs économiques, la gestion préventive de la pandémie exige des pouvoirs publics d’opérer à un arrêt total des économies l’une après l’autre et sur les différents continents. Les gouvernements veulent éviter la psychose de mort en millier et en quelque dizaine de jours. La panique et l’impuissance peuvent engendrer un traumatisme social aux effets économiques désastreux. Ainsi, la récession économique majeure est donc à nos portes et le débat aujourd’hui porte sur le dispositif de résilience sanitaire et l’ingénierie de la planification de la relance économique. Cette pandémie risque de changer fortement les fondements, principes et cibles de la prise de décision politique des décennies à venir.
Et que doivent faire les gouvernements pour en limiter l'impact dans la durée ?
Le leadership politique doit avoir la crédibilité et le courage d’amener toute une nation à accepter la limitation des libertés et les conséquences économiques que cela va engendrer. Cependant, il faut que le leadership inspire confiance de par sa gestion et des moyens budgétaires et financiers de mitigation des impacts sanitaires, économiques et sociaux. A travers l’instrument budgétaire et fiscal, le gouvernement canadien par exemple, a été en mesure de mobiliser l’équivalent de 3% de son PIB, soit 82 milliards de dollars visant une assistance directe des travailleurs et des entreprises (27 milliards) et le reste allègement et report fiscal.
Parallèlement, les banques centrales et les banques commerciales doivent faciliter l’accès au crédit pour aider à redémarrer la machine. Les banques commerciales doivent conseiller et assister les entreprises dans cette phase délicate de gestion de la liquidité, des charges fixes et du passif à court terme. Au Canada, c’est plus de 400 milliards de dollars qui seront injectés via la banque centrale et les banques commerciales pour stabiliser les ménages et les entreprises. Ainsi, lutter contre ce virus exige une discipline collective, un leadership éclairé, un système financier agile et un plan de résilience sanitaire et de relance économique qui prend en compte les enseignements, les enjeux et nouveaux défis qu’impose désormais la pandémie du Covid-19.
Vera Songwe, la secrétaire exécutive de la CEA de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) a affirmé que l’Afrique, le principal partenaire commercial de la Chine, peut perdre la moitié de son PIB avec sa croissance passant de 3,2% à environ 2%. Dans ce cas, quelle solution adopter pour éviter cette catastrophe économique ?
Ces prévisions sont principalement basées sur notre relation avec la Chine, aujourd’hui l’Europe est l’épicentre, les USA et le Canada sont en mode d’arrêt progressif et l’Afrique est au début. Tout cela pour vous dire qu’il est très difficile d’évaluer l’impact d’un phénomène que l’on ne connaît pas, qui est encore en cours et dont nous africains n’avons pas encore subi les impacts directs. L’OCDE prévoyait une baisse de -0,5 ; aujourd’hui on parle de -1,5 de moins sur une prévision de croissance de 2.4%.
L’Afrique présente un niveau de risque sanitaire élevé et la négligence du niveau d’éducation des populations va être un défi pour la gestion préventive. Devant l’urgence, un leadership courageux et les bons comportements des citoyens seront les armes des Africains. Sur le long terme, nous devons rompre avec les systèmes sanitaires et sociaux financés par l’aide au développement et une croissance creuse portée par le capital étranger. Nos plans de relances devront viser le développement économique de nos territoires. Par la productivité et l’industrie locale, nous devons équilibrer le partage de la chaine de valeur issue de nos ressources et renforcer par la même occasion la base défensive de notre économie.
Quelles peuvent être les contrecoups économiques et sociaux de la crise provoquée par le Covid-19 pour notre pays, le Sénégal ?
Nous pouvons d’ores et déjà dire que nos matières premières vont connaître des invendus et des baisses de cours devant les arrêts successifs des moteurs de l’économie mondiale. L’exemple du pétrole est édifiant. Les flux financiers des émigrés vont diminuer, car les étrangers sont les premiers à souffrir des licenciements et pertes d’emplois avant les faillites. Mais plus directement, le Sénégal devra comme tous les pays procéder à l’arrêt de la vie sociale et économique de manière progressive pour diminuer la fulgurance du virus et cela a un coût économique et cela va creuser le déficit budgétaire.
Tout cela va impacter le niveau des recettes. Le régime doit prévoir cela et anticiper sur le renforcement de sa capacité à mobiliser des fonds pour le financement du plan de relance économique et sociale. Ce phénomène arrive dans un contexte où beaucoup de pays africains font face à une situation d’endettement. Au Sénégal, la tension trésorerie est une réalité. Nous devons donc faire preuve d’unité, de solidarité et d’entraide afin de contenir le virus car cela demande des moyens financiers.
La chaîne d’approvisionnement de biens et de services en provenance de Chine étant maintenant gravement perturbée, ne craint-on pas une pénurie alimentaire si cette crise perdure ?
Une pénurie alimentaire est un cas de figure extrême et le Sénégal est un pays d’agriculteur, d’éleveurs, de pêcheurs et d’artisans. Alors à nous de capitaliser sur nos forces. Cependant, le volume du commerce va ralentir et cela va engendrer une raréfaction des produits importés de la Chine et de l’Europe. Nous pourrions avoir un effet inflationniste, si nous ne prenons pas garde. Cependant, nous pouvons le pallier par un changement de nos habitudes alimentaires. Le gouvernement doit d’urgence accompagner l’économie locale à travers un plan de relance qui se concentre à bâtir la base défensive de notre économie. Nous ne devons plus accepter d’être des lieux d’extraction de ressource et de déversoir des produits finis.
Mot de la fin sur cette crise économique qui menace le monde ?
Le culte de la planification et l’esprit entrepreneur vont être les atouts majeurs pour le déploiement du plan résilience sanitaire et de relance économique. Je demande aussi à nos dirigeants de mobiliser les équipes de planificateurs afin d’analyser les impacts à moyen et long terme pour l’élaboration d’un plan de relance économique et sociale.
Dans le court terme, il faut sérieusement privilégier l’option d’une loi de finance rectificative pour adapter nos maigres ressources à la nouvelle situation en plus de la solidarité dont nous devons faire preuve. En effet, devant l’absence des instruments de souveraineté monétaire et le contexte de tension budgétaire, une rectification de l’usage initial de nos ressources via l’instrument budgétaire pour l’adapter au plan de relance économique et de résilience sanitaire est l’option la plus viable et que nous maîtrisons.
Enfin dans l’urgence, un leadership fort et une discipline collective seront nécessaires. Nous devons ensemble travailler à mobiliser les moyens afin d’aider le régime, les populations et porter assistance au personnel de santé. Nous demandons au régime de faire preuve de transparence et d’ouverture, car nous allons avoir besoin de l’appui de tout le monde. A nous aussi de leur apporter notre soutien dans ces moments où nous devons sauver des vies.