LE BOOMERANG DES COUPS D'ÉTAT
Alors que le putsch au Niger a fait grimper les taux d'emprunt du Kenya, l'Afrique souffre de raccourcis simplistes qui l'assimilent à un bloc monolithique. Pour gagner en crédibilité, le continent doit parler d'une même voix et faire preuve d'exemplarité
(SenePlus) - Il arrive que des événements politiques isolés dans un pays aient des répercussions économiques bien au-delà de ses frontières. C'est ce qu'a récemment illustré Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement, dans un discours à Chatham House à Londres, comme le rapporte l'éditorial de Jean-Baptiste Placca sur RFI du 15 juin 2024.
Adesina a relaté la surprise du président kényan William Ruto en découvrant que "les taux auxquels son pays empruntait sur les marchés avaient sensiblement augmenté" à cause du coup d'État survenu au Niger. Comme l'a souligné Ruto avec une pointe d'ironie, "la dernière fois qu'il s'était penché sur la carte du Kenya, il n'y avait vu aucune trace du Niger."
Ce cas illustre une tendance regrettable des agences de notation à considérer l'Afrique comme un bloc monolithique plutôt que d'évaluer chaque pays selon ses propres mérites. Comme l'explique Placca, "il arrive que, par excès de simplification ou par paresse intellectuelle, des agences de notations – et pas seulement elles – englobent dans une appréciation unique tout ce continent de cinquante-quatre États."
Les conséquences financières de cette généralisation hâtive sont lourdes pour les économies africaines. Adesina a cité un rapport du Programme des Nations Unies pour le développement selon lequel "des notations de crédit plus équitables permettraient aux pays africains de faire une économie d'au moins 75 milliards de dollars par an sur le service de la dette."
Face à ce constat alarmant, le président de la BAD a plaidé pour la création d'une agence de notation africaine qui offrirait "un regard de l'intérieur" et éviterait ce type de raccourcis préjudiciables. "C'est un peu comme si l'on prenait un autre avis médical", a-t-il imagé.
Cependant, Placca soulève un point crucial : si le regard extérieur peut être partial, les Africains eux-mêmes portent une part de responsabilité. "On ne peut oublier que ce sont, ici, des Africains qui causent du tort à d'autres Africains", rappelle-t-il, déplorant que "les peuples du continent [...] en sont à payer pour les forfaits de putschistes d'autres États africains."
L'éditorialiste plaide donc pour que les dirigeants africains prennent leurs responsabilités et évitent de nuire aux intérêts de leurs voisins : "Les choix sont simples : bien se tenir, dans l'intérêt de tous ou, sous couvert de souveraineté, faire ce que l'on veut chez soi, sans se soucier des conséquences pour les autres."
Si l'appel à la création d'une agence panafricaine de notation est légitime pour contrebalancer les biais extérieurs, Placca met en garde contre l'illusion qu'elle suffirait à redorer l'image du continent. "L'Afrique serait-elle plus attrayante ou plus attractive pour les capitaux, juste parce qu'elle se mirerait dans sa propre glace?", interroge-t-il avec scepticisme.
Au final, la crédibilité et l'attractivité économique de l'Afrique dépendront avant tout de "bonnes politiques et la respectabilité qui en découle" plutôt que de simples effets de communication. Une agence africaine devra elle-même "conquérir, sur la durée, une crédibilité qui n'est en libre-service nulle part."