LE SENEGAL PEUT-IL ECHAPPER A LA MALEDICTION DU PETROLE ?
Malgré l’enthousiasme suscité par cet événement historique, la malédiction du pétrole reste un phénomène à prendre au sérieux, surtout dans une sous-région déchirée par l’instabilité.
Le Sénégal vient d’extraire son premier baril de pétrole, un événement qui a fait la une de la presse nationale et internationale. Après plusieurs années d’attente, il entre donc dans le cercle fermé des pays producteurs d’or noir. Malgré l’enthousiasme suscité par cet événement historique, la malédiction du pétrole reste un phénomène à prendre au sérieux, surtout dans une sous-région déchirée par l’instabilité.
Ça y est ! L’opérateur Woodside a annoncé la sortie du premier baril de pétrole tiré du champ de Sangomar. Ce puits prometteur devrait permettre à terme à notre pays d’atteindre une production de 100 000 barils par jour, soit à peu près les mêmes volumes que le Ghana. Une bonne nouvelle pour notre pays touché par une crise économique sans précédent. L’inflation y est galopante. Des projets structurants sont à l’arrêt. Les politiques peinent à résoudre l’équation de l’emploi des jeunes. C’est pourquoi la manne financière qui devrait provenir de l’exploitation de ce pétrole suscite beaucoup d’espoirs au niveau de la population. Une population qui, cependant, devrait prendre garde à la malédiction du pétrole. L’histoire a montré que les zones de production d’hydrocarbures sont souvent déchirées par l’instabilité et une répartition inégale des richesses entraînant souvent des guerres civiles. Voire des guerres tout court. Le Sénégal peut-il échapper à la « maladie hollandaise » ?
Conscientes de la réalité de ce risque, les autorités ont, dès 2018, initié un dialogue national sur la gestion des rentes issues de l’exploitation des hydrocarbures. L’ occasion pour l’ancien président de la République Macky Sall de garantir une gestion inclusive, durable et prudente des ressources. « Cette rencontre a permis un consensus autour de la gestion des recettes issues de l’exploitation du pétrole et du gaz, de promouvoir la transparence et de partager toutes les informations sur le secteur pétrolier et gazier du Sénégal », affirme Dr Seydou Kanté, géopoliticien. Il assure que le Sénégal, à l’instar des pays scandinaves, s’est bien préparé à l’exploitation de son pétrole. « Le Sénégal a pris des mesures anticipatives pour ne pas être surpris par les conséquences négatives de la production de l’or noir, ce que beaucoup de pays n’ont pas fait après la découverte de pétrole. C’est le cas de plusieurs pays en Afrique et au Moyen-Orient », ajoute-t-il.
Prendre conscience des erreurs du passé
Le Sénégal a tiré les leçons des erreurs commises ailleurs en Afrique et dans le monde. Plusieurs pays producteurs de pétrole et/ou de gaz ont sombré dans les abysses de l’instabilité chronique. Selon le chercheur Dr Seydou Kanté, l’implication des acteurs politiques, des autorités religieuses et coutumières, des membres de la société civile et du secteur privé dans la gestion des hydrocarbures est déjà une réussite. C’est d’ailleurs ce qui explique l’adhésion du Sénégal à l’ITIE (Initiative pour la transparence dans les industries extractives) depuis 2013. Cette mesure conservatoire visant à promouvoir la transparence constitue un rempart contre les externalités négatives liées au développement de l’industrie pétrolière, notamment la corruption.
Par ailleurs, la situation géographique des gisements découverts est aussi un facteur essentiel. Les blocs de Sangomar et de Cayar sont des gisements « offshore » (se trouvant en haute mer). Cette particularité permet au Sénégal d’échapper à des revendications autochtones qui se soldent souvent par des rébellions. Une bénédiction le fait que ces hydrocarbures soient off-shore, diront certains spécialistes. Pourquoi ? Si nous prenons une carte des pays disposant de ressources pétrolières « onshore » (se trouvant dans l’espace terrestre), les conflits entre le gouvernement central et les populations vivant aux alentours des gisements sont fréquents. L’instabilité dans le Delta du Niger (Nigeria) et l’enclave de Cabinda (Angola) sont des illustrations parfaites des appétits des populations vivant çà côté des gisements d’hydrocarbures. « L’exploitation du pétrole en mer permet d’éviter les risques de conflits. Les plateformes de forage sont souvent situées dans des zones inaccessibles. Il faut des moyens colossaux pour les attaquer », explique un spécialiste en géopolitique.
Impacts sur les ressources halieutiques
Pour Amadou Diallo, spécialiste en relations internationales, l’inconvénient des plateformes offshore est la limitation de la pêche dans certaines zones. Or, déplore-t-il, « si les ressources halieutiques sont impactées, cela peut créer des frustrations auprès des pêcheurs ». « La pêche est un secteur important de l’économie sénégalaise. Les pirogues sont souvent interdites de s’approcher des plateformes pétrolières », explique-t-il. Cependant, selon lui, vu la répartition géographique des plateformes et l’inclusion des acteurs de la pêche dans le dialogue sur les hydrocarbures, il est fort probable que des mécontentements soient évités.
Par ailleurs, la cohésion sociale prévalant chez nous serait également un atout. Le Sénégal est l’un des rares pays à ne pas sombrer dans les entrailles du communautarisme, souvent à l’origine des conflits ethniques dans plusieurs pays pétroliers. Dès lors, la stabilité du pays est un gage contre la malédiction de l’or noir. Alors qu’une crise post-électorale se profilait au lendemain de la présidentielle de mars 2024, il a su s’appuyer sur ses ressorts pour résoudre ses querelles internes. « Le Sénégal est un pays dont les piliers sont très solides. À chaque crise, il a su se redresser et apprendre de ses erreurs », indique Seydou Kanté.
Aujourd’hui, le pays de la Téranga est convoité pour ses ressources en hydrocarbures. Les vautours rodent autour ! L’instrumentalisation des acteurs non-étatiques à des fins de chantage devient plus que jamais une inquiétude. Conscientes de cette menace, les décideurs ont pris les devants. Comment ? En renforçant l’armée qui a connu une montée en puissance sans précédents ces dernières années en termes d’équipements de pointe notamment des navires lance-missiles et des aéonefs. Les forces de défense et de sécurité restent un solide rempart face aux menaces. La sécurisation des plateformes est plus que jamais un leitmotiv. L’acquisition de patrouilleurs envoie un fort signal aux menaces venant de la mer. L’érection de plusieurs bases à la frontière avec le Mali permet de se prémunir des menaces terrestres. La ceinture de feu n’est pas loin. Des djihadistes surarmés dictent leurs lois dans le nord du Mali. La mise en place du Groupe d’action rapide de surveillance et d’intervention (GARSI) dans les zones frontalières sensibles constitue un tournant majeur dans la lutte contre les menaces transfrontalières. Ces unités d’élite, légères et mobiles, sont conçues pour être polyvalentes afin de contrer les infiltrations. Bref, qu’importent les menaces, le Sénégal reste un pays outillé pour faire face à la malédiction du pétrole ! Nos compatriotes croisent les doigts.