QUAND LE GEANT FRANÇAIS DU BTP VINCI NOIE SOUS UNE CHAPE DE BETON UNE ENTREPRISE SENEGALAISE !
Fort de sa toute-puissance financière, Vinci a pratiquement poussé à la faillite la société sénégalaise Sentra Sa en résiliant son contrat de sous-traitance dans le cadre de la construction du barrage de Sambangalou dont le maitre d’ouvrage est l’OMVG
Depuis que Jean de la Fontaine l’a écrit dans une de ses fables, nous savons tous que la raison du plus fort est toujours la meilleure ! Et cette force, justement, Vinci, groupe français de BTP figurant parmi les leaders mondiaux et dont le chiffre d’affaires fait plusieurs fois le budget national de 7000 milliards dont se gargarisent nos dirigeants, Vinci, donc, ne se prive guère d’en abuser ! Surtout pour écraser de petites entreprises africaines qui ont l’outrecuidance de vouloir « contracter » avec lui. Nous l’allons montrer tout à l’heure…
Pour réaliser le barrage hydroélectrique de Sambangalou, dans la région de Kédougou, l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Gambie (OMVG) a lancé un appel d’offres international remporté par Vinci Construction Grands Projets. Un marché d’un montant de 400 millions d’euros soit 262 milliards de francs. Etant donné la situation financière délicate des autres pays membres (Mali, Guinée et Gambie), le Sénégal a décidé de prendre en charge le financement de ce gigantesque projet en contractant un crédit à cet effet. En s’engageant financièrement, le Président Macky Sall a exigé, entre autres conditionnalités, que le contenu local (local content) soit respecté et que 33% du montant de ce marché soit accordé à des entreprises nationales. Etant donné qu’elles ne disposent pas de la technicité nécessaire pour construire des barrages du type de celui de Sambangalou, c’était au moins un moyen pour elles d’apprendre à travailler avec une grosse multinationale comme Vinci en plus de prendre leur part de ce gigantesque marché. Vinci Construction Grands Projets, donc, après avoir procédé à une consultation, a choisi la société SENTRA — mais aussi ECOTRA qui a fini par bouder le marché qui lui a été attribué — pour construire la base-vie du projet d’aménagement hydro-électrique du barrage de Sambangalou.
Les dirigeants de SENTRA reçoivent en octobre 2022 une lettre leur adjugeant ce lot pour à peu près 11 millions d’euros soit huit milliards de francs CFA environ et se voient autoriser de dépenser jusqu’au dixième de ce montant pour commencer les travaux. Toutefois, cette notification ne fera l’objet d’un contrat en bonne et due forme entre Vinci et Sentra qu’en février 2023 tandis que l’avance de démarrage, elle, sera débloquée en juillet suivant ! Qu’à cela ne tienne, l’entreprise sénégalaise commande une logistique impressionnante faite de camions, véhicules 4x4, bétonnières etc., déploie ses équipes, fait établir les plans architecturaux, de structure, de béton armé etc., loue des appartements et entreprend la production sur sites de BTC (briques en latérite mélangé avec du ciment adaptées à l’environnement chaud de la zone).
Toutefois, malgré de multiples relances faites par les dirigeants de Sentra, de nombreux documents indispensables au démarrage des travaux ne lui sont pas communiqués. Il en est de même du terrassement et de la fouille du site qui devaient être faits par les soins de Vinci et n’ont pas été réalisés. A noter, détail important, qu’une autre partie de la base-vie devait être construite par une société française mais avec des modulaires ! Naturellement, cette partie avançait à pas de géant, l’entrepreneur hexagonal n’ayant été confronté à aucune entrave posée par ses compatriotes, les dirigeants de Vinci.
« Laissez « béton » les constructions en dur » !
Puis brusquement, au bout de quelques semaines, alors que Sentra attendait toujours de pouvoir démarrer les travaux, son administrateur général reçoit une lettre du sieur Gérard Bouvard, « Directeur Projet Génie Civil Aménagement Hydroélectrique de Sambangalou ». Une lettre dont l’objet était le suivant : « Redéfinition des prestations sous traités » (sic). En réalité, c’est un chamboulement total des travaux ayant fait l’objet du contrat signé en février 2023 que demande le sieur Bouvard. En effet, en lieu et place des constructions en dur, il exige une solution modulaire — c’est-à-dire celle-là même qui est la spécialité de la société française attributaire de l’autre partie de la base-vie. Mais s’il n’y avait que cela ! Il en profite aussi pour réduire comme une peau de chagrin, c’est-à-dire à pas grand-chose, les travaux confiés à Sentra. Ainsi, il diminue le nombre de bâtiments de type B qui passe de 35 à 10 et celui de constructions de type E (8 à 4). S’il ajoute en contrepartie des travaux supplémentaires (ouvrages hydrauliques, piscine, cuisine), le montant du marché dégringole aux environs de 11 à 7 millions d’euros. Charitable, Bouvard suggère à Sentra de se rapprocher de la société française pour la réalisation des travaux en modulaire. L’administrateur de la société sénégalaise prend acte, encaisse le coup mais exige tout de même « compte tenu du changement radical de la consistance du projet tant par le mode constructif des ouvrages que par les nouvelles modalités financières que cette dernière devait induire » que tout cela soit matérialisé par un avenant. En réalité, il ne faisait que prendre au mot l’honorable Gérard Bouvard « Directeur Projet Aménagement Hydroélectrique de Sambangalou ». Lequel avait écrit ce qui suit dans son courrier en date du 08 août 2023 adressé à l’administrateur général de Sentra : « La nouvelle définition des prestations Sous Traitée (sic) à réaliser fera l’objet d’un accord conjoint entre l’Entrepreneur (Ndlr, Vinci Grands Projets) et le Sous-Traitant (Ndlr, Sentra), matérialisé par un Avenant en application de la Clause 02 du Sous-Contrat ». Ah bon, il ose faire de la résistance ce Bougnoul en exigeant un Avenant — que Bouvard a pourtant été le premier à évoquer et qui figure noir sur blanc sur le contrat ! — ? Eh bien il va voir ce qu’il en coûte de vouloir s’opposer à Vinci. Non mais, dis-donc, voyez donc ces Nègres qui veulent tenir tête aux Toubabs que sous sommes !
La riposte du puissant groupe français au petit entrepreneur sénégalais n’a pas tardé. Une mise en demeure lui est servie dès le 14 octobre. « L’Entrepreneur exhorte le Sous Traitant à prendre toutes les dispositions nécessaires à la réalisation des travaux demandés conformément à l’ordre de Services n° 1 et de son courrier SAM-GC-GBOEXT-LETR-1058 du 06 octobre 2023 et à procéder au démarrage immédiat des travaux. A défaut d’y remédier dans les 30 jours de la réception du présent courrier, l’Entrepreneur se réserve le droit de mettre en œuvre tous les remèdes disponibles dans le contrat ». Bigre ! Des menaces mises à exécution dès le 04 décembre dernier à travers une nouvelle lettre adressée à l’administrateur général de Sintra. Extraits : « La mise en demeure étant ainsi revenue infructueuse, le Sous-Traitant est considéré comme défaillant » assène sans autre forme de procès le sieur Gérard Bouvard. Et la sentence tombe aussitôt : « Par la présente, l’Entrepreneur notifie au Sous-Traitant, la société Sentra-SA, la résiliation du Sous—Contrat AHE-SAM-Vin-SEN-TR-STR002 portant Construction de la Base Vie dans sa globalité. Ce, après une mise en demeure restée sans réponse, dans le délai de 30 jours calendaires en application de la clause 17.2 dudit Sous-Contrat ». Heu…Sauf que l’honorable « Directeur Projet génie Civil Aménagement Hydrolélectrique de Sambangalou » raconte des histoires !
En effet, dès le 30 octobre, c’est-à-dire 16 jours après la réception de la mise en demeure du 14 octobre 2023, M. Afia Loum, l’administrateur de Sentra, avait adressé au sieur Gérard Bouvard une lettre « EF : AG/DT/SP N° AHE-SAM-VIN 0029 » portant objet : AHE Sambangalou- réponse à votre courrier de mise en demeure ». Un courrier déchargé le même jour avec le cachet de VCGP (Vinci Construction Grands Projets ! Gérard Bouvard a préféré faire comme si cette réponse à son courrier de mise en demeure n’avait jamais existé. La raison du plus fort est toujours la meilleure, vous disait-on ! Revenons toujours au bon vieux fabuliste Jean de la Fontaine : « Vas-t-en chétif insecte, excrément de la terre ! » disait le Lion au Moucheron dans la fable éponyme « Le Lion et le Moucheron ». C’est à peu près sur ce ton que le tout-puissant — l’hyperpuissant ! — Vinci s’est adressé à la Sentra traitée comme une moins que rien.
David sénégalais contre Goliath français
Sentra qui a entrepris depuis lors de mener ce qui s’apparente bien à un combat du pot de terre contre le pot de fer. Ou contre le Roi du Béton ! Voire David sénégalais contre Goliath français sauf que là c’est le géant qui écrase le freluquet de toute sa masse. M. Afia Loum, en désespoir de cause, s’est tourné vers l’Autorité de Régulation de la Commande Publique (ARCOP ex-ARMP) qu’il a saisie d’une plainte relative à la résiliation de son marché de réalisation d’une base vie sur l’aménagement hydro-électrique de Sambangalou.
Réunie le 03 janvier dernier sous la présidence de M. Saër Niang, son patron, l’Arcop a pris les décisions suivantes : « Annule la décision de résiliation du contrat décidé (sic !) par Vinci Construction Grands Projets » mais surtout « demande aux services compétents du ministère des Finances et du Budget, notamment, la Direction de l’Ordonnancement des Dépenses Publiques, de suspendre, à titre de mesure conservatoire, tout paiement relatif à l’exécution du contrat principal signé entre Vinci et l’OMVG, en cas de refus de Vinci d’appliquer la décision du CRD » (Ndlr, Comité de Règlement des Litiges de l’ARCOP).
Dans cette même décision, l’Autorité avait aussi « dit que la décision de Vinci de résilier le contrat est mal fondée et compromet la possibilité pour une entreprise nationale d’accéder au marché en méconnaissance des règles sur le contenu local ». Là, l’Arcop parlait d’or !
C’était la troisième fois en l’espace de quelques mois que Vinci Construction Grands Projets se faisait taper sur les doigts par l’Arcop mais, bien entendu, le géant mondial du BTP s’en bat l’œil. Ces petits régulateurs nègres n’ont qu’à aller se faire voir ailleurs ! Déjà saisie le 22 novembre dernier par SENTRA SA, qui contestait la décision de Vinci d’ordonner la modification de la consistance des prestations convenues dans le contrat initial sans formalisation d’un avenant, l’Autorité avait « ordonné à Vinci d’entamer des discussions avec la société SENTRA SA afin de parvenir à un accord matérialisé par un avenant ». Vinci, on l’a vu, ne s’était pas exécutée.
Auparavant, le 24 mai de la même année, l’ARCOP avait encore statué sur une saisine de la société dirigée par M. Afia Loum portant sur le refus de Vinci d’accepter la caution d’avance de démarrage et de garanties de bonne exécution émises par la société FINAFRICA au motif que cette société n’aurait pas les reins financiers suffisamment solides pour cautionner Sentra ! Saër Niang et ses collaborateurs avaient statué comme suit : « le CRD constate que la société FINAFRICA ASSURANCES, émettrice des cautions refusées, dispose d’un agrément en cours de validité pour délivrer des garanties aux marchés publics » ; « dit qu’en référence aux dispositions du Code des marchés publics, les garanties délivrées dans ces conditions par un organisme financier comme FINAFRICA ne peuvent pas être refusées si l’agrément est valide » ; « dit que le motif tiré du fait que la compagnie n’est pas notée par des agences reconnues et ne dispose pas de capacités financières pour ce niveau d’engagement, allégué pour reléguer les cautions, est mal fondé ». Aucune de ces trois décisions de l’Arcop n’a été appliquée par Vinci. Heu, pardon, le géant français a quand même fini par accepter les cautions de Finafrica après blocage par le ministère des Finances du paiement de l’avance de démarrage…
Mais il y a mieux puisque, en discutant avec les dirigeants de la société française chargée d’installer les modulaires, l’administrateur de Sentra a appris que cette dernière ne s’était vu réclamer ni caution d’avance ni garantie de bonne exécution ! De telles exigences, c’est juste valable pour les Africains aux yeux de Vinci…
La balle est maintenant dans le camp de Mamadou Moustapha Ba, le ministre des Finances et du Budget. Osera-t-il frapper au portefeuille Vinci en suspendant, comme le demande l’Arcop, tout paiement en sa faveur jusqu’à ce que le géant du Btp revienne sur sa décision de résilier le contrat signé avec Sentra Sa ?
Voilà en tout cas ce que donne ce contenu local dont on nous rebat les oreilles tout en nous vantant ses mirifiques avantages pour les entreprises sénégalaises dans la perspective de l’entrée en exploitation du pétrole et du gaz sénégalais. A savoir, une source infinie d’enrichissement pour les sociétés françaises, turques, chinoises et autres, et même pas des miettes pour les Pme-Pmi sénégalaises. A voir la manière dont Vinci traite par-dessus la jambe la lilliputienne compagnie sénégalaise Sentra Sa, faut-il s’étonner que de plus en plus les Africains se tournent vers les Russes ? Mamadou Moustapha Ba, les Sénégalais vous attendent !