«LE CURRICULA ET LA FORMATION DES ENSEIGNANTS DOIVENT ETRE REVISES»
Pape Boubacar Kama, secrétaire général national de la Coordination nationale des enseignants engagés pour un meilleur système (Coneems), revient sur la prise en charge de l’éducation nationale
L’année académique 2023-2024 a ouvert ses portes. Dans plusieurs localités du pays, les enseignants peinent à mettre en œuvre le programme du fait de plusieurs paramètres. Dans cet entretien avec Pape Boubacar Kama, secrétaire général national de la Coordination nationale des enseignants engagés pour un meilleur système (Coneems), revient sur la prise en charge de l’éducation nationale. Selon lui, le curricula, tout comme la formation des enseignants, doit être révisé afin de rehausser le niveau de l’enseignant dans le public, tout en demandant l’équité pour tous les élèves en matière de documentation. Entretien…..
Quels sont l’objectif principal de votre syndicat ?
C’est un peu tiré les problèmes innombrables dans l’éducation. Au moment où on faisait la réforme en 2012 pour relever le niveau de recrutement des enseignants au niveau de l’élémentaire et le rehausser au niveau du Bac, il y avait un problème concernant ces enseignants qui ne pouvaient pas intégrer la fonction publique. Il n’y avait pas un décret d’accompagnement pouvant permettre aux enseignants recrutés d’intégrer la fonction publique. Deux voire trois ans après, ces derniers ne savaient pas à quel saint se vouer. Nous avons mis en place une structure qu’on appelait collectif des élèves maitres et ensuite, nous l’avons muté en syndicat parce qu’il devait y avoir un décret accompagnant cette réforme qui vise maintenant à non plus recruter des volontaires de l’éducation mais des élèves maitres faisant neuf mois de formation au niveau des centres régionaux de formation de l’éducation.
Cette préoccupation est-elle prise en charge ?
Cette préoccupation a été prise en charge parce que le décret a été signé. Aujourd’hui, tous les enseignants sortant de ces Centres régionaux de Formation des personnels de l’éducation (CRFPE) peuvent actuellement intégrer la fonction publique. Le décret a été signé mais les problèmes demeurent toujours. Hormis le recrutement qui a été relevé au niveau du Bac, nous constatons que ces enseignants n’ont pas assez de formation. Il s’y ajoute un autre examen qui les attend dans les salles de classes et qui pouvait être fait au niveau des centres pour un peu rallonger la formation à deux années pour pouvoir prendre en charge cet examen. Cette démarche aura permis à l’enseignant qui sort de cette formation d’avoir son Cap au lieu d’attendre cinq voire six ans après la formation initiale.
Des enseignants continuent de réclamer des formations ?
Il y a les cinq mille enseignants qui ont été recrutés pour combler le gap et qui n’ont pas reçu de formation. Ils sont injectés directement dans les salles de classes alors qu’ils avaient besoin de formation pour au moins tenir des classes. Il s’y ajoute aussi d’autres enseignants qui sont pris au niveau de l’élémentaire et qui aujourd’hui évoluent dans le moyen secondaire. Appelés des chargés de cours, ils ont eux aussi besoin de formation pour la poursuite de leur carrière. Ces enseignants-là combinés, réclament ce qu’on appelle la formation. Il y a certains d’entre eux parmi les cinq mille enseignants qui ont reçu une formation mais jusqu’à présent, ne parviennent pas à régulariser leur situation, d’autres attendent toujours une formation au niveau de la Fastef pour pouvoir avoir un plan de carrière bien ficelé.
Quelles solutions pour dépasser ces problèmes de formation ?
Ce qui peut régler cette problématique des enseignants après être sortis des CRFPE, c’est de rallonger de deux ans cette formation au niveau de ce dit centre. A cet effet, l’enseignant sort avec son Cap pratique et en ce moment, il pourra poursuivre sa carrière au niveau de la fonction publique. Nous n’aurons plus à passer par un examen inspecté par un inspecteur de l’éducation nationale dans les salles de classe du moment que ces derniers sont en manque dans toutes les académies et dans toutes les Ief. C’est une manière de permettre aussi à ces lenteurs administratives de disparaitre complètement du système parce que l‘enseignant n’aura plus à attendre un inspecteur pendant six sept et dix ans pour l’inspecter au Cap ensuite attendre un examen, un arrêté puis un acte qui dépendra du ministère de l’Education.
Qu’en est-il des enseignants décisionnaires ?
Cette problématique peut être analysée sous plusieurs angles. Il y a un manque notoire d’aménagement au niveau de l’Etat, on n’a pas fini avec ce problème qui ne dépend pas de l’enseignant proprement dit. Beaucoup d’enseignants décisionnaires n’ont rien fait pour mériter le sort qui leur est accordé. La raison fait que les lenteurs administratives ont créé beaucoup de décisionnaires à cause de l’âge requis pour entrer dans la fonction publique. Ils avaient l’âge d’entrer dans la fonction publique mais à force de subir les lenteurs administratives des examens, des passages entre autres, l’enseignant fini par être âgé et il ne peut plus entrer dans la fonction publique et on finit par le reclasser comme décisionnaire. Ce qui est tout à fait une injustice. Maintenant, pour en finir avec ce problème, l’Etat avait conclu avec les syndicats de passer à la vitesse supérieure avec un décret qui permettrait à ces derniers de pouvoir au moins réguler leur situation. Mais, il y a un manque notoire d’engagement à la réalisation de cet engagement entre le gouvernement et les syndicats.
Le problème des décisionnaires est-elle sur la table des négociations ?
Le problème des décisionnaires a été évoqué lors des dernières négociations et avait trouvé une issue heureuse. A chaque fois qu’on signe un protocole d’accord, le gouvernement tarde à le matérialiser. Il ne signe que des protocoles d’accord ou la matérialisation reste à désirer parce que ce sont juste quelques points qui sont pris en charge. C’est un problème lancinant qu’il faut dépasser aujourd’hui.
La rémunération des enseignants fait que beaucoup de personnes veulent enseigner ?
Il y a des avancées considérables qu’il ne faut pas nier. Sachant ce qu’était et ce qu’il est maintenant, beaucoup de personnes sont prêt à engager l’enseignement. Mais, je pense que la plupart l’engage par conviction. Mais la rémunération au niveau de l’élémentaire et du préscolaire reste à désirer ? Il y a un travail à faire surtout pour les enseignants de l’élémentaire et du préscolaire. Ils ont le plus gros travail de cette formation des enfants mais ils bénéficient peu du traitement salarial et même du programme.
Comment jugez-vous la qualité de l’enseignement au Sénégal ?
Je dirais de prime abord que l’éducation nationale est mal prise en charge. Elle n’est pas une priorité pour cette politique gouvernementale. On ne peut pas faire une priorité quelque chose et la reléguer toujours au second plan. C’est vrai que nous entendons tout le temps parler de l’injection de milliards dans l’éducation mais nous peinons à voir les résultats. Au moment où je vous parle, nous sommes en plein rentrée scolaire mais toutes les écoles n’ont pas repris le chemin. Il y a certaines qui sont sous les eaux, d’autres qui ne sont pas fonctionnelles. Donc je pense que la prise en charge de l‘éducation nationale reste à désirer.
La performance de l’école publique semble en déclin ?
Cela mérite beaucoup de réflexion. Il va de soi de ses programmes qui sont aujourd’hui révisés. Avec la réforme de Serigne Mbaye Thiam, du recrutement d’enseignant par le niveau du Bac, nous avions constaté une évolution par rapport au niveau des élèves mais de plus en plus aussi nous assistons à une réintégration d’enseignants dont les cinq mille recrutés dans la fonction publique dont d’autres ont eu la chance de passer par les écoles privées et ont eu un diplôme qui leur permet aujourd’hui de tenir une classe. Par contre, ils sont nombreux ceux qui ne l’ont jamais et n’ont pas bénéficié de formation. Tous ces paramètres participent à une baisse du niveau. Autre chose aussi, nous avons toujours des effectifs pléthoriques dans les salles de classes surtout dans le public. Vous imaginez, nous avons un manque de huit mille enseignants. Dans les localités les plus reculées où il y a un manque d’enseignants, il y a deux salles de classes qui sont combinées pour être multigrade ou double flux avec un même enseignant. Tous ces paramètres pris en compte, on ne peut pas avoir un niveau qui est comparable au privé. Dans le public, dans les coins les plus reculés, vous ne trouverez même pas de document qui peut aider l’élève à progresser alors que le privé, c’est une exigence.
Quelle lecture en termes des résultats dans les concours ?
En termes de résultats, quand on regarde une école privée qui a dix élèves au Cm2, on dit cent pour cent comparé aux deux-cent élèves qui sont dans le public, on dit 50%. On a l‘impression que beaucoup d’élèves ont réussi dans le privé alors que plus d’élèves ont réussi dans le public.
Quid du curricula ?
C’est un programme qui est mis à la disposition des enseignements mais qui a beaucoup de choses à corriger par rapport au contenu, à la méthode mais aussi à la situation actuelle de l’éducation. Si le curriculum n’est pas accompagné de tout ce qui est nécessaire en termes de documentation, de livres, je pense que d’aucuns des élèves n’auront pas cette possibilité de pouvoir apprendre correctement en fonction de ce que le curriculum demande et de ce fait, il n’y aura pas équité car dans le curricula, il est prévu l’équité. Il est tant que le curricula soit revu pour mieux s’adapter et mieux programmer la politique éducative qui doit fonder le citoyen modèle dont le Sénégal a besoin.
Oubi tey jang tey toujours à l’épreuve ?
Ce sera très difficile de le faire parce que comme je l’ai dit tantôt, le gouvernement injecte certes des milliards mais on tarde vraiment à avoir les résultats à visu pour ces cas-là. Quand vous dites oubi tey jang tey, ça doit être possible dans le territoire national, on doit pouvoir faire Oubi à Dakar alors qu’à Matam, Ziguinchor, on ne peut pas le faire. Cela ne participe pas à l’équité, soit l’école était faite de paille que la saison des pluies a emportée. Oubi tey, pour que ça puisse se matérialiser, il faut de l’accompagnement tant du plan de la construction et de l’élimination des abris provisoires mais aussi de l’accompagnement pour que des écoles qui sont impraticables durant l’hivernage puissent au moins reprendre. Avec les travaux champêtres, l’école est fonctionnelle mais les enfants ne répondent pas.