LA PEAU DURE DES STÉRÉOTYPES
La place des femmes dans la politique est à l’image de ce qu’en pensent les Sénégalais - Une partie des citoyens doute encore de leurs capacités de gestion, d’autres sont convaincus
La place des femmes dans la politique est à l’image de ce qu’en pensent les Sénégalais. Si une partie des citoyens doute encore de leurs capacités de gestion, d’autres, par contre, en sont convaincus, même si une frange de cette dernière catégorie pense que le pays n’est pas encore prêt à être dirigé par une dame.
La dame Salimata Diallo tient son petit commerce dans un populeux quartier de la commune de Pikine-Nord. Elle ne donne pas l’air d’avoir soufflé ses 75 bougies, tant elle déborde d’énergie. Elle est d’autant plus enthousiaste à aborder la question de la place de la femme dans la politique, qu’elle est convaincue, depuis bien longtemps, qu’en matière de capacité de gestion, la femme est l’égale de l’homme. ‘’Je le dis toujours, nous les femmes devons être responsabilisées davantage dans la gestion de la cité. Nous savons gérer. C’est pour cette raison que je peine à comprendre pourquoi leurs candidatures ne passent pas. Je vote depuis les années 80, mais ça n’évolue pas. Dans la dispersion, nous n’allons jamais obtenir la majorité. Les femmes sont dans les partis politiques, mais elles y jouent les seconds rôles’’, se désole celle que l’on surnomme affectueusement ‘’Mame Diallo’’. Pour remédier à la situation, elle préconise une synergie des forces afin d’éviter d’aller au front en rangs dispersés.
Elève en classe de terminale au lycée Seydina Limamoulaye de Guédiawaye, Sokhna Awa Makalou Mbow passerait pour quelqu’une qui a une dent contre des hommes politiques. Elle ne comprend pas pourquoi la gent féminine ne parvient pas à se faire une place au soleil des instances de décision. ‘’En tant que femme, si j'ai l'occasion de voter pour une femme, je le ferai, parce que la femme a les mêmes capacités que l’homme. Quand elle veut, elle peut. Avec l'émancipation de la femme, on la retrouve dans tous les domaines de la vie. Avec ses qualités, son savoir-faire, sa pudeur, sa force, son honnêteté et son intelligence, elle peut bien gérer un pays’’, déclare cette nouvelle mariée. (…)
Abdoulaye Ba, la trentaine sonnée, trouvé dans une boutique sise aux Almadies en train de faire ses achats, est catégorique sur la question. Chauffeur de profession depuis 20 ans, il pense qu’il faut attendre encore pour voir une femme présidente de la République. ‘’Arrêtez de chercher l’impossible ! Les Sénégalais ne sont pas encore prêts à mettre à la tête du pays une femme’’, déclare le jeune homme. Selon lui, cela est dû à plusieurs paramètres. ‘’Socialement parlant, nous ne sommes pas encore prêts à le faire. Il y a des choses que les politiciens font et dont les femmes ne pourront pas faire. Tout ce qui est trahison, deal et combines ne collent pas à la femme sénégalaise. Du coup, même si je le souhaite, je sais que ce n’est pas demain qu’on aura un Sénégal dirigé par une femme’’, pense-t-il.
Technicienne de surface et originaire d’un village du Sine-Saloum, Maïmouna Sène est contre toute idée de mettre une femme dans la gestion des affaires. En fait, son vécu et ses origines lui font croire qu’une femme ne fera pas l’affaire. ‘’Je suis foncièrement contre. A chaque fois que je vote, ma carte va à un homme. Nous les femmes aimons trop les détails et cela ne fait pas bouger un pays. La gestion demande beaucoup de rigueur et d’abnégation que nous n’avons pas. Pour dire vrai, la place de la femme, c’est dans son ménage. Du moins, c’est ce que j’ai connu et vécu depuis ma tendre enfance. En ville, la réalité est autre’’, laisse entendre cette demoiselle dont l’accent laisse aisément deviner son appartenance ethnique sérère. Avant de presser le pas pour rejoindre son lieu de travail à Fann-Hock.
Professeur de français dans un établissement scolaire privé de la ville de Rufisque, M. Ba se donne à cœur joie sur la question. Et contrairement à Maïmouna Sène, non seulement il est pour la promotion des femmes, mais il trouve même faible la place qu’elles occupent actuellement. ‘’Je juge anormal que, sur les 4 grandes institutions du pays, il n’y ait qu’une seule femme à la tête (Aminata Tall, Présidente du Cese) de l’une d’elles. Les femmes doivent se mobiliser davantage. Je pense que c’est la seule façon de changer la donne. Elles sont minoritaires dans toutes les instances de représentation et de décision, et pourtant, elles sont plus nombreuses. Donc, où se trouve le problème ?’’, se demande-t-il. M. Ba a sans doute réponse à sa propre question, puisqu’il conseille aux femmes de ne plus accepter d’être ‘’du bétail électoral’’. Avec sa voix rauque et imposante, il croit dur comme fer qu’un jour, une dame sera au palais.
‘’Depuis 60 ans, les hommes dirigent et rien ne marche’’
A Thiès, la ville rebelle, des femmes ont été rencontrées non loin de la promenade des Thiessois, dans les quartiers Médina Fall, Guinaw Rails, Diakhao, mais aussi au ‘’Bayalou ya Khoudia Badiane’’. Les positions sont plutôt partagées. Si les unes sont pour qu’une femme préside aux destinées des Sénégalais, les autres ont quelques réserves. ‘’Mettons les hommes au-devant pour diriger. Nous, de notre côté, nous allons les accompagner’’, disent quelques-unes. Non ! Rétorque les autres. ‘’Depuis 60 ans, les hommes dirigent et rien ne marche. Donc, essayons avec les femmes pour voir. Elles vont mettre le pays sur les rampes de l’émergence. Nous devons croire en nous-mêmes. On ne doit plus accepter de jouer aux applaudisseuses, encore moins de passer tout notre temps à remplir les salles de réunion ou les meetings ; bref, d’être à la solde des hommes’’, répliquent des dames qui s’activent dans la vente des produits locaux.
‘’Franchement, nous sommes dans une société qui a ses normes. Les femmes doivent se limiter à la gestion du ménage, à l’éducation des enfants. Il faut qu’on arrête d’être des suivistes. Nous sommes au Sénégal, donc, on ne devrait pas s’aventurer dans certaines considérations du genre : donner plus de pouvoir aux femmes. Ça va nous créer plus de problèmes que de solutions’’, soutient, par contre, un habitant de Tassete, dans la région de Thiès.
Selon le vieux Aymirou Sylla, chacun doit jouer sa mission dans la société. Et celle de la femme, d’après lui, est de rester à la maison !