LE LADIES CLUB, CE COCON DES SÉNÉGALAISES
Le réseau social, qui compte plus de 60 000 membres, est devenu en deux ans une plateforme d’entraide et de soutien incontournable
Des commerçantes, des policières, des étudiantes, des grands-mères, des avocates, des femmes au foyer, des entrepreneuses, des adolescentes… Avec plus de 60 000 membres venant de toutes les sphères sociales et professionnelles de Dakar et de sa région, le Ladies Club est désormais connu de toutes et de tous dans la capitale sénégalaise.
Cette communauté réservée exclusivement aux femmes a une particularité : c’est sur Facebook que ses adhérentes se retrouvent pour débattrepolitique, société, commerce ou tout sujet qui touche à la condition féminine. Le groupe, sur le réseau social, est classé « secret » : l’on n’y accède que sur recommandation de l’une des « ladies », et après une vérification poussée de son profil par l’une des administratrices. Il faut éviter que la plateforme ne soit infiltrée par un homme : cet espace de parole sécurisé en serait affecté.
« Beaucoup de femmes ont des choses à dire, mais n’osent pas le fairepubliquement, et encore moins en présence d’hommes », explique Oumy Ndour, ex-présentatrice à la RTS, la télévision publique sénégalaise, et cofondatrice du Ladies Club avec la réalisatrice Mame Codou Dieng Cissé : « Une dame qui se brûle vous savez où avec de la crème dépilatoire et qui a besoin urgemment d’un remède de grand-mère, une autre qui a perdu sa perruque en public et cherche des trucs pour que ça ne lui arrive plus, une femme paniquée par une grosseur dans son sein qui a besoin d’aide pour financer une mammographie, une épouse victime de violences conjugales… Ces sujets ne peuvent pas être abordés dans des groupes mixtes ! »
Succès immédiat
C’est en avril 2016 que, exaspérées de voir les réseaux sociaux et les médias féminins inondés de questions « futiles », Oumy Ndour et Mame Codou Dieng se lancent dans ce projet. L’objectif : « Créer une plateforme de discussion et de réseautage pour permettre aux femmes de parler des problématiques qui les touchent, et d’y trouver des solutions. »
Le succès est immédiat. Après trois jours et déjà plus de 10 000 membres, les fondatrices se voient obligées de bloquer les demandes d’admission pendant plusieurs semaines. Deux ans plus tard, le nombre d’adhérentes a été multiplié par six. Petites annonces, partage de conseils, propositions d’emplois mais aussi mobilisation citoyenne : la solidarité entre femmes est au cœur de cette communauté en ligne.
La plus grande fierté du Ladies Club, à ce jour, remonte à la mobilisation pour leur campagne « Billet vert » en 2016. Alertées par une adhérente de la panne du seul appareil de radiothérapie du pays, essentiel dans le traitement des cancers du sein et du col de l’utérus, les Ladies sollicitent leur groupe pour une levée de fonds au profit de la Ligue sénégalaise contre le cancer (Lisca). Plus de 11 millions de francs CFA (16 770 euros) seront finalement collectés afin de financer l’évacuation des malades vers des centres de soin au Maroc.
Depuis, le Ladies Club s’est imposé comme un lieu de mobilisation et de soutien entre femmes. « On joue un rôle de veille, d’orientation, on envoie des demandes de financement ou de levées de fonds, explique Oumy Ndour. On organise des rencontres mensuelles, des ateliers de formation à l’entrepreneuriat, on aide beaucoup de femmes à trouver un travail, un logement, des médicaments. »
En mars, après les propos scandaleux du professeur Songué Diouf, accusé d’apologie du viol lors d’une émission télévisée, les administratrices de Ladies Club sont assaillies de témoignages spontanés d’agressions sexuelles ou de violences conjugales. Cette affaire, pour laquelle une plainte a été déposée, a fait sauter un verrou. « Les langues se délient », se réjouit Oumy Ndour. Pour « aider à faire bouger les choses », les deux administratrices décident de publier ces témoignages, tous vérifiés, sur la page Facebook du Ladies Club. Et redirigent les victimes vers des centres de prise en charge médiacel ou de soutien pour les aider à porter plainte, tels que l’Association des juristes sénégalaises.
Critiques virulentes
La direction d’un groupe d’une telle envergure n’est pas de tout repos, d’autant plus que ce travail est totalement bénévole. Les deux fondatrices ont dû quitter temporairement leurs emplois respectifs à la télévision pour se dédier exclusivement à ce projet. Contrecoup du succès, les détracteurs se multiplient : certains hommes se sentent exclus de cet espace de discussion. « Un groupe avec des milliers de femmes ne peut pas créerl’unanimité, ça fait un peu peur, concède Oumy Ndour, mais nous ne sommes pas dans la logique de taper sur qui que ce soit. »
Paradoxalement, les critiques les plus virulentes viennent d’autres femmes, notamment d’adhérentes dépitées par l’interdiction de publications commerciales sur leur groupe Facebook. Mais, comme l’explique la journaliste, « notre essence première n’est pas la vente, et les publicités finissaient par noyer les problématiques majeures que les femmes partagent ». A cela s’ajoutait le nombre insurmontable d’annonces qui devaient être approuvées par les administratrices avant publication : « Cela nous a valu des disputes épiques dans nos ménages ! », admet Oumy Ndour dans un éclat de rire.
Au Sénégal, les bonnes actions réalisées depuis deux ans au travers du Club ne se comptent plus. Oumy Ndour se remémore l’appel à l’aide, une nuit de mars, d’une femme dont l’enfant hospitalisé nécessitait d’urgence une transfusion d’un groupe sanguin rare. « Moins de dix minutes plus tard, une Lady est allée à l’hôpital au milieu de la nuit pour donner son sang. Elle a vu la publication, a pris un taxi et s’est rendue d’elle-même à la clinique. Et l’enfant a pu être sauvé. »
La communauté, peu à peu, se trouve une structure, et les projets se multiplient. Un magazine féminin gratuit, destiné aux femmes comme aux hommes, est sur le point d’être lancé début août, et le Club s’exporte désormais dans les pays voisins, en France et sur les cinq continents au travers de la diaspora sénégalaise. Jusqu’à inspirer d’autres femmes, puisqu’une plateforme similaire a vu le jour récemment au Bénin. Pour les fondatrices, la concurrence n’est pas une source d’inquiétude, au contraire : « L’essentiel, c’est qu’on occupe cet espace, et que les femmes prennent la parole. »