NDATÉ YALLA MBODJ, DERNIÈRE GRANDE REINE DU WAALO
Au XIXème siècle, alors que la citoyenneté féminine est encore utopique en Occident, ce n’est pas sans surprise que les colons français la découvrent à la tête de l’armée - Elle reste à ce jour, un symbole de la résistance coloniale
Au XIXème siècle, alors que la citoyenneté féminine est encore utopique en Occident, ce n’est pas sans surprise que les colons français découvrent à la tête de l’armée, Ndaté Yalla Mbodj, reine du Waalo. Durant cette époque les souverains des Royaumes wolofs portaient le titre de « Brack » tandis que leurs mères, filles et sœurs étaient communément désignées sous l’appellation « Linguères ». Ndaté Yalla Mbodj s’avère être la seule Linguère dont le public dispose du dessein. En effet, un portrait d’elle pris le 2 septembre 1850 par Abbé David Boila, la présente entourée de plus de cinq cent femmes en tenue traditionnelle, en face de tous les princes et guerriers de la Reine. Figure féminine et couronnée en octobre 1846 comme reine du Waalo, Ndaté Yalla Mbodj reste un symbole de la résistance coloniale.
Le Waalo : un exemple d’égalité des genres
En 1816, suite au décès du Brack Kouly Mbaba Diop, la Linguère Fatim Yamar Khouriaye Mbodj accéda au trône et décida d’élire à ses côtés son mari, Amar Fatim Bourso alors Brack du Waalo (royaume situé sur le delta du Fleuve Sénégal et issu de l’éclatement de l’empire du Djolof). Ce moment est décisif puisqu’il s’agit de la première fois qu’une Linguère est en même temps l’épouse d’un Brack. Ndaté Yalla Mbodj, née en 1810, est issue de cette union. Elle est seconde dans l’ordre de succession au trône.
Dotées d’une formation politique et militaire, les Linguères sont aussi bien formées que les Bracks. Ainsi, durant le 12ème siècle, huit femmes Linguères succédèrent au trône. Par ailleurs, guerrières aguerries, elles savaient défendre le Royaume en l’absence des hommes comme l’attestent les évènements de Nder. En effet, quand en mars 1820, des guerriers maures profitent de l’absence du Brack pour attaquer le Royaume, c’est la Linguère Fatim Yamar avec ses troupes et tous déguisées en homme, de la riposte. Elles parviennent dans un premier temps à les repousser mais en ôtant leurs turbans, dévoilant ainsi leur féminité, les maures pris d’orgueil revinrent à l’attaque et finalement eurent raison de ces guerrières. Fatim Yamar et ses campagnes décident alors de se brûler vives plutôt que d’être prises comme esclaves. Toutefois, la Linguère réussit à faire échapper ses deux filles, Ndjeumbeut Mbodj et Ndaté Yalla, avant de mourir.
Souveraine du Waalo
Ndjeumbeut, en tant qu’aîné, est la première à accéder au titre de souveraine du Waalo en 1831. Dès le début de son règne, elle tenta de sceller la paix avec le Royaume Trazar, en épousant leur souverain, Mohamed El Habib. Cette alliance stratégique inquiète alors la France qui lance ses premières offensives contre le Royaume. Pourtant réputée comme souveraine calme, le règne de Ndjeumbeut est ainsi marqué par ces tensions perpétuelles avec la France. C’est naturellement que Ndaté Yalla Mbodj lui succéda à sa mort en 1846.
En succédant à sa sœur, la Linguère hérite d’une situation géopolitique complexe. En effet, sur la rive droite du Fleuve Sénégal se présentaient les Maures qui semaient la terreur afin d’alimenter en esclaves le commerce arabo-maghrébins ; tandis que sur la rive gauche, esclavagistes et colonisateurs français sont installés depuis le 17ème siècle dans leurs comptoirs de Saint-Louis. Par ailleurs, rappelons que ces derniers souhaitaient neutraliser les royautés africaines, frein à leur expansion et pillage.
Figure de résistance contre le colonialisme
Se considérant comme unique souveraine du Royaume du Waalo, elle décide dès 1847 de défier les autorités françaises en réclamant le libre passage des troupeaux conduits par les Soninkés, vers la ville de Saint-Louis. Rapidement, la Linguère devient l’interlocutrice principale des Français au sein des royaumes wolofs. En effet, alors qu’à la norme les accords entre les français et le peuple wolof étaient exclusivement signés par les Bracks, la signature de la Linguère y fait figure dès son intronisation. Progressivement, les français vont ignorer les autres dignitaires du Royaume tant la personnalité de Ndaté Yalla Mbodj est impressionnante. Par ailleurs, des archives montrent des lettres envoyées au gouverneurs ne portant que la signature de la Linguère. Ainsi, les relations diplomatiques ne passent désormais que par elle. Toutefois, bien que muse des colons, Ndaté Yalla Mbodj reste consciente des réelles motivations des français et fait preuve de méfiance et d’intellect face aux doléances françaises.
Tenant tête aux Français sans relâche, elle pille et interdit le commerce avec les Français en 1950. En 1951 elle écrit à l’Administrateur Faidherbe afin de faire prévaloir ses droits sur les territoires du royaume du Waalo, ces mots devenus maintenant célèbres : « Le but de cette lettre est de vous faire connaître que l’île de Mboyo m’appartient depuis mon grand-père jusqu’à moi. Aujourd’hui, il n’y a personne qui puisse dire que ce pays lui appartient, il est à moi seule ». En réponse, ce dernier décide une expédition militaire en fin 1854. En février 1855, ce sont 15 000 hommes qui débarquent armés de fusils que ne possèdent pas les guerriers du Waalo. Face à cela, Ndaté Yalla Mbodj confesse aux dignitaires wolofs : « Aujourd’hui nous sommes envahis par les conquérants. Notre armée est en déroute. Les tiédos (guerriers) du Waalo, si vaillants guerriers soient-ils, sont presque tous tombés sous les balles de l’ennemi. L’envahisseur est plus fort que nous, je le sais, mais devrions-nous abandonner le Waalo aux mains des étrangers ? »
Rapidement vaincue, Ndaté Yalla Mbodj meurt en 1860 en tant que dernière souveraine du royaume de Waalo. Son fils, Sidya Ndaté Yalla Diop, lui succèdera dans la révolte contre les colons français après quelques péripéties au sein de l’administration coloniale.