LE DURCISSEMENT DE LA LOI N’ENDIGUE LES VIOLS
Les chiffres et les faits divers tragiques qui continuent d'émailler l'actualité témoignent d'une réalité implacable : les femmes et les filles sénégalaises restent des proies pour les prédateurs sexuels
En décembre 2019, l’Assemblée nationale votait à l’unanimité la loi criminalisant le viol et la pédophilie. Les acteurs de la société, notamment les défenseurs de la cause féminine, fondaient beaucoup d’espoir sur cette loi qui a été promulguée par l’ancien président de la République, Macky Sall, en janvier 2020. Aujourd’hui, force est de reconnaître et de regretter qu’elle n’a pas servi à redresser la barre. Les femmes et les filles continuent d’être abusées sexuellement, parfois au prix de leur vie.
La lutte contre les violences basées sur le genre (VBG) est loin d'être gagnée au Sénégal. Malgré l'existence d'une loi criminalisant le viol et la pédophilie et les nombreuses campagnes de sensibilisation, les femmes continuent de subir des violences sexuelles. Pourtant, ce fut dans un hémicycle bondé de députés tout de blanc vêtues que la loi 2020-05 portant criminalisation du viol et de la pédophilie a été votée à l’unanimité et par acclamation le 30 décembre 2019, dans l’espoir que la sévérité des peines encourues (prison à perpétuité), découragerait les prédateurs. Promulguée par l’ancien président de la République, Macky Sall, le 10 janvier 2020, cette loi n’a pas pu changer réellement la donne. Les femmes continuent d’être violées et abusées sexuellement. Rien que les cas répertoriés ces derniers temps attestent de ce mal pernicieux dans la société sénégalaise. A Malika, en pleine banlieue dakaroise, une fillette de 12 ans est morte étranglée par son bourreau dans la soirée du 31 décembre 2024. Les faits concordent sur une tentative de viol même si l’autopsie n’a conclu qu’en une mort par strangulation. A Liberté 6 extension toujours dans la capitale, une fille de 9 ans est victime d’une tentative de viol d’un homme qui voulait l’appâter avec 500 francs CFA. A Joal, une mineure est tombée enceinte après un viol. Ces cas rapportés par les médias sont peu illustratifs de la situation. Le viol est souvent caché par l’entourage de la victime. De jeunes filles continuent ainsi d’être abusées dans le silence total de leur entourage.
Qui plus est, au Sénégal, les violences sexuelles ne sont pas très souvent documentées. Cependant, selon une enquête nationale sur les femmes et les filles de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) et de ONU-Femmes publiée en novembre 2024, « au Sénégal, 17,3% des femmes âgées de 15 ans ou plus ont subi des violences sexuelles hors union au moins une fois dans leur vie. Parmi ces femmes, 14,7% étaient victimes de violences sexuelles modérées et 2,6% de violences sexuelles sévères. Chez les femmes ayant subi les violences sexuelles avant l’âge de 18 ans, la prévalence s’élève à 15,1% dont 13,5% pour des violences sexuelles modérées et 1,7% pour des violences sexuelles sévères ». Rappelons que même si elle durcit les sanctions, la loi criminalisant le viol comporte des limites selon les acteurs.
Criminalisation du viol, les limites d’une loi
Analysant la loi, Fatou Touré Thiam, chargé de programme au réseau Siggil Jiggeen, explique qu’il lui manque une appropriation communautaire. « Au-delà de son aspect juridique et coercitif, la loi est d’abord communautaire. Ça veut dire que c'est la communauté qui utilise la loi, la défend et se s'approprie. Nous avons tous constaté qu'il a manqué cette vulgarisation », regrette-t-elle. A son avis, « la vulgarisation n'a pas été très efficace ». En juillet 2023, lors d’une rencontre sur le traitement médiatique de la violence sexuelles, organisée par l’Association des juristes sénégalaises (Ajs), le juge d’instruction et formateur au Centre de formation judiciaire (Cfj), Makha Barry, avait estimé que «la principale difficulté dans l’application de la loi est d’établir s’il y avait consentement ou non de la victime». Les errements dans la chaine pénale sont aussi des pratiques qui ne garantissent pas l’établissement des faits par le juge.
Pour Makha Barry, «le viol demande des techniques spéciales d’enquêtes qui ne sont malheureusement pas maitrisées par des officiers de police judiciaire». Il trouve que «si l’on veut appliquer les techniques classiques d’interrogatoire, l’enquête passe à côté de son objectif». Dans la liste des manquements, le juge déplore aussi l’absence de dispositifs pour accueillir les victimes (présumées) de viols dans les Commissariats et Gendarmeries. L’attitude de l’enquêteur ne promeut pas aussi la mise à l’aise des victimes, surtout des mineures. Pis, les protocoles d’interviews sont parfois inexistants ; d’où la pauvreté des procès-verbaux d’interrogation. Ils ne concourent pas ainsi à étayer les faits, à la manifestation de la vérité. Les magistrats ont aussi des difficultés à interpréter les certificats médicaux. De plus, la difficulté à assoir la contrainte et la menace constituent également des problèmes pour l’application de la loi.